La célébration de la Fête nationale de la femme et du 64ème anniversaire du Code du statut personnel (CSP) qui consacre l’égalité entre l’homme et la femme a été, pour le président de la République, Kaïs Saïed, une opportunité pour traiter de trois dossiers délicats qui ont constamment préoccupé et divisé l’opinion publique tunisienne. Il s’agit du rapport religion-Etat, de la politisation de la justice et de l’égalité en matière d’héritage entre homme et femme.

 

L’Etat n’a pas de religion 

Commentant l’article premier de la Constitution tunisienne qui stipule que « la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime », article que la secte Ennahdha (25% de l’électorat du pays) a constamment exploité pour justifier l’islamité de la Tunisie, Kaïs Saïed a été édifiant en déclarant que « l’État n’a pas de religion ».

Et le chef de l’Etat de s’interroger avec beaucoup d’humour : « Les États membres des Nations unies entreront-ils au paradis ou en enfer ? ».

Il rejoint ainsi l’islamologue, le défunt Mohamed Talbi, qui disait : «La religion n’est ni une identité, ni une culture, ni une nation. C’est une relation personnelle avec Dieu, une voie vers lui…».

Le message est on ne peut plus clair : le moment est venu pour séparer définitivement le religieux du politique, et par conséquent des affaires de l’Etat. A l’évidence, c’est un coup dur pour les mercenaires qui ont fait de l’Islam un fonds de commerce.

Plaidoyer pour la dépolitisation de la justice

Le second dossier évoqué par président de la République concerne la politisation de la justice et son instrumentalisation par les partis politiques, et ce depuis l’accès du pays en 1956.  Il déclaré à ce sujet que « malheureusement, les palais de justice ont été infiltrés jusqu’à aujourd’hui par la politique ». Et Saïed d’ajouter : « Lorsque la politique s’infiltre dans les palais de justice et que les politiciens sont assis sur les canapés des juges habillés en juges, la justice sort de ces palais ».

Là aussi, le message est clair : les magistrats sont plus que jamais appelés à faire preuve d’indépendance et à faire prévaloir le droit. Les jeunes migrants clandestins tunisiens qui avaient scandé, ces derniers jours, à Lampedusa (Italie) le slogan : « du pain, de l’eau, oui, mais non à la Tunisie », c’est justement pour protester, entre autres, contre l’injustice et la corruption des juges dans leur pays.

Héritage : le Code du statut personnel est en conformité avec le coran

Le troisième dossier, objet d’une controverse nationale, porte sur le fameux projet de loi sur l’égalité de l’héritage entre hommes et femmes. A ce propos, le président de la République a déclaré que « le débat sur l’égalité dans l’héritage est faux et n’est guère innocent ».

Il a relevé que le texte du coran est clair en ce qui concerne la loi successorale et on ne peut l’interpréter autrement, signalant que le Code du statut personnel est complètement en conformité avec le texte du coran.

D’après lui, la révolution a été déclenchée en Tunisie pour revendiquer la liberté, la dignité et la justice sociale et non pas pour revendiquer l’égalité dans l’héritage. « Le plus important c’est de consacrer l’égalité dans les droits sociaux et économiques », a-t-il dit avant de rappeler que « la loi successorale dans le texte coranique est basée sur l’équité et la justice.

Saïed estime que l’égalité, telle que conçue par la pensée libérale, n’est que formelle et n’est donc pas fondée réellement sur la justice.

Nous pensons qu’à travers ces prises de position audacieuse, le chef de l’Etat vient confirmer son attachement à sa vision développée lors de sa campagne électorale, il y a déjà une année.

Pour rappel, cette vision est articulée autour de trois axes : renversement (au plan institutionnel) de la pyramide des pouvoirs au profit des collectivités locales au détriment de l’administration centrale ; conservatisme moral avec comme pointe l’opposition à la dépénalisation de l’homosexualité et à l’égalité homme-femme dans l’héritage ; souverainisme inspiré du nassérisme-nationalisme arabe.