En cette période de pandémie du coronavirus (Covid-19), les membres du gouvernement et autres PDG des grosses entreprises tiennent des discours catastrophistes et n’évoquent, en public, que des indicateurs négatifs. L’ultime objectif serait de préparer l’opinion publique à accepter, d’ici la fin de l’exercice 2020, de probables contreperformances et bilans négatifs.

Abou SARRA

Le chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh, est le premier à s’adonner à cet exercice. Dans son discours prononcé, le 20 mai 2020, sur la chaîne publique Al Watania 1, il avait indiqué que sous l’effet de la Covid-19, l’économie tunisienne se contracterait de 7% par rapport aux prévisions de 2020.

Il s’agit là d’un chiffre gonflé. Des bailleurs de fonds, comme le FMI et la Banque mondiale, ont prévu, pour les mêmes raisons (Covid-19) et en référence aux mêmes indicateurs officiels disponibles, des contractions respectives de 4,3% et de 3,4%.

Le gouvernement, qui s’est rendu compte que sa contraction était exagérée, a très vite rectifié le tir et a chargé le ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, Slim Azzabi, de le faire.

Ce dernier a mis à profit la publication, le 17 juin 2020, d’une étude du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur l’impact économique de la Covid-19 sur l’économie tunisienne pour l’année 2020, pour expliquer le bien-fondé de cette prévision d’une contraction de 7%.

Il a déclaré que «par prudence, le gouvernement va prévoir un taux de croissance de -6% ou de -7%, dans la loi de finances complémentaire (LFC) 2020, contre un taux de croissance positive de 2,7% prévu initialement dans la LF2020».

Une étude du PNUD pour légitimer le pessimisme officiel

Cet éclairage n’a pas empêché Slim Azzabi de citer à son tour des chiffres sinistroses en se référant aux conclusions de cette étude qui prévoit un ensemble d’indicateurs : baisse de 4,9% de l’investissement global, baisse de 8% de la consommation des ménages, baisse de 8% des exportations et baisse de 9,6% des importations.

Toujours d’après cette étude, qui serait commanditée à la hâte pour conférer une légitimité internationale aux prévisions pessimistes du gouvernement, le choc de la Covid-19 accentuerait la fragilité financière de certains secteurs d’activité dont les industries non manufacturières (-29%), le tourisme (-23%), le transport (-19,6%) et le textile (-17,7%).

D’autres ministres auraient contribué à la confection de ce tableau sombre, comme celui des Finances, Nizar Yaïche, qui a déclaré que « l’Etat est dans l’incapacité d’honorer ses engagements, ni cette année ni même l’année prochaine, envers les entreprises tunisiennes ayant réalisé des marchés de travaux, de prestation ou de fourniture en faveur de l’Etat et qui n’ont pas été payées ».

Idem pour Mohamed Abbou, ministre auprès du chef du gouvernement chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance. Il a déclaré, le 10 juin 2020, que « les pertes de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), qui finançait auparavant le Budget de l’Etat, est estimé à 200 MDT par an ».

Pour sa part, Anouar Maarouf, ministre du Transport et de la Logistique, a dressé un bilan inquiétant et une situation du port de Radès à travers lequel transitent plus de 70% des échanges extérieurs de la Tunisie. Il a évalué le manque à gagner généré par la mauvaise gouvernance de ce port pour les caisses de l’Etat à 1 milliard de dinars.

Même les externalités positives de la crise sont minimisées

La liste des responsables tunisiens qui tiennent de tels discours n’est pas finie. C’est le cas du PDG de la STEG, Mohamed Ammar. Nommé il y a à peine trois mois à la tête de cette grosse entreprise publique, il n’a pas trouvé mieux que de parler des impayés de la société.

Lors d’un entretien, le 17 juin 2020, sur les ondes de la radio privée Express Fm, Ammar les a estimés à 600 MDT, et ce pour la période de 3 mois. Or, contrairement à ce qu’il prétend, il ne s’agit pas d’impayés mais d’un report de payement des factures décidé par le gouvernement, en mars dernier, pour aider les Tunisiens à supporter les impacts de la crise.

La tendance à présenter la conjoncture socioéconomique du pays sous un jour sombre a poussé certains conseillers zélés de ministres à minimiser les opportunités positives qu’offrait l’impact de la Covid-19 à l’économie du pays. C’est le cas de l’effondrement des prix du pétrole. Ces prix ont baissé jusqu’à 27 dollars le baril que le budget économique de 2020 avait calculé sur la base d’un prix de baril de 65 dollars, ce qui devait se traduire, à travers la conclusion de contrats à terme, par d’importants gains pour le budget tunisien.

Malheureusement, ce n’est pas l’avis du conseiller auprès du ministre de l’Energie, des Mines et de la Transition énergétique, Hamed Matri. Lors d’un entretien avec l’Agence TAP, ce dernier a révélé qu’«une telle mesure n’a pas été adoptée, faute de moyens financiers, d’autant plus que le coût de stockage est élevé et que les finances publiques sont dans une situation difficile, ne permettant pas de conclure des contrats d’achat à terme».

Cela pour dire au final qu’à travers l’ensemble de ces déclarations, l’équipe gouvernementale semble avoir reçu des directives pour justifier négativement les impacts et opportunités positives de la crise de la Covid-19, fût-ce au prix de maquillage et de gonflement des chiffres…