En dépit sa désunion et les scandales qui ont émaillé son parcours, la classe politique née des dernières élections générales (novembre 2019) a paradoxalement à son actif quelques belles réalisations inclusives. 

Il s’agit, principalement, de l’initiative du chef de l’Etat actuel, Kaïs Saïed, de mettre fin à la grève d’investissement observée par les chefs d’entreprise depuis 2011, de l’adoption par le Parlement de la loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) et d’une décision prise par la présidence du gouvernement portant institution par ordonnance du statut d’autoentrepreneur.

A première vue, bien accompagnées et bien encadrées par les structures d’appui en place, ces initiatives-décisions sont capables, à elles seules, de garantir le succès de cette classe politique, et ce quels que soient les changements qui peuvent survenir (changement de gouvernement, dissolution du Parlement…).

Précisons que ces initiatives s’inscrivent dans le droit fil des valeurs scandées lors du soulèvement du 14 janvier 2011, et des slogans brandis à cette époque, à savoir : emploi, liberté et dignité…

Par Abou SARRA

Dans cette première partie, nous essayerons de jeter la lumière sur l’initiative du président de la République et sur ses éventuels impacts sur la dynamisation du développement dans les régions.

A l’origine, une proposition Kaïs Saïed

Cette initiative concerne le suivi d’une ancienne proposition que Kaïs Saïed avait faite, il y a huit ans. Celle-ci consistait à obliger les hommes d’affaires impliqués dans des affaires de malversations du temps de Ben Ali, et dont les biens ont été confisqués, à investir dans les régions défavorisées.

Kaïs Saïed est revenu sur cette affaire, dans ses discours prononcés depuis son accès à l’investiture à la tête du pays. Il s’est constamment interrogé sur ce que sont devenus la somme que 460 hommes d’affaires, retenus en 2012 comme corrompus au temps de l’ère Ben Ali, devaient verser aux caisses de l’Etat.

L’enjeu est énorme puisqu’il s’agit de la coquette somme de 10 milliards de dinars, presque l’équivalent du montant des ressources d’emprunt que la Tunisie devrait mobiliser à l’étranger pour boucler le schéma de financement de son budget de 2020.

Pour mémoire, les hommes d’affaires listés s’étaient engagés, à l’époque, à financer, chacun dans son champ d’activités, des projets de développement dans les régions de l’intérieur du pays.

Pour donner une base juridique acceptable à ce compromis, l’Assemblée nationale constituante (ANC) et le ministère des Finances de l’époque avaient été chargés d’assurer le suivi et le traitement dudit dossier. A savoir l’ANC pour «la mise au point d’un cadre juridique légal» et le ministère des Finances pour «les aspects techniques et financiers». Malheureusement, le dossier devait brusquement disparaître sans qu’aucune structure ne s’interroge sur l’endroit où il a pu atterrir.

Sans être jamais démenti, l’ancien conseiller politique du président provisoire, Moncef Marzouki, en l’occurrence Aziz Krichen, en a parlé dans son livre “La promesse du printemps“. Selon ce dernier, «le dossier subitement envolé n’avait pas été perdu pour tout le monde. Il avait été récupéré par la direction du parti Ennahdha qui allait désormais le gérer dans la plus grande opacité et sans le moindre garde-fou institutionnel».

Et Aziz Krichen d’ajouter : «Et l’on a vite compris les raisons de détournement. Les dirigeants islamistes se sont livrés à une opération de racket selon les termes suivants : les chefs d’entreprise se voyaient invités à alimenter les caisses du parti en échange de quoi on leur garantissait la cessation des tracasseries à leur égard».

Plaidoyer pour une amnistie pénale

C’est ce dossier-là que Kaïs Saïed a dépoussiéré, aujourd’hui, et demandé des éclaircissements sur son parcours et aboutissement. Concrètement, le chef de l’État a appelé à une amnistie pénale avec les personnes impliquées dans la corruption au temps de Ben Ali afin de pouvoir récupérer ce qu’il appelle “l’argent du peuple“. «Cette opération doit être supervisée par une commission chargée de redistribuer cet argent au profit des régions de Tunisie, notamment les plus défavorisées», a-t-il dit.

L’initiative du président de la République, qui vise à gagner la confiance des investisseurs locaux et à mettre fin à la grève d’investissement qu’ils observent depuis 2011, a trouvé de l’écho à l’échelle internationale.

Ainsi, le Conseil scientifique et consultatif du Tribunal international permanent d’arbitrage (TIP) a annoncé, le 24 juin 2020, son soutien à l’initiative législative du président tunisien concernant “la réconciliation avec les hommes d’affaires“.

Dans un communiqué, le TIP estime que «cette initiative est légale, surtout qu’elle concerne un certain nombre d’hommes d’affaires qui sont constamment soupçonnés et endettés envers les services de l’Etat».

Le TIP ajoute, à l’occasion de la tenue de son assemblée ordinaire, que cette initiative prévoit de convertir la valeur de la dette, en sa totalité ou une partie, en projets de développement dans différentes régions, selon des normes déterminées par les services concernés.

Il exprime sa volonté de contribuer effectivement à la formulation de cette initiative qui sera rendue publique conformément aux normes juridiques.

Le Conseil estime qu’il s’agit d’une garantie de droits et d’un point de départ pour parvenir à une réconciliation nationale globale afin de réaliser la transition démocratique de la manière la plus simple.

A travers ce précieux soutien du TIP, le chef de l’Etat obtient une reconnaissance internationale de son initiative et lui confère crédibilité, légitimité et légalité, comme il aime à le répéter souvent.

Il reste aux services de l’Etat de concrétiser cette initiative dans le strict respect du droit même si certains partis comme celui d’Ennahdha vont payer, dans son sillage, les frais.

Suivra deuxième partie.

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