“Nous nous attendions à ce que le chef du gouvernement développe, dans sa dernière interview, le contenu du plan de relance et les chantiers prioritaires prévus pour la période post-Covid-19, mais il ne l’a pas fait”, regrette l’universitaire Fatma Marrakchi Charfi.

Interrogée par l’agence TAP, elle souligne que “peut-être que le chef du gouvernement réserve la primeur à l’ARP…”.

Mais en attendant, la professeure de sciences économiques n’a pas manqué de relever quelques imprécisions et incohérences dans l’entretien télévisé d’Elyès Fakhfakh.

En effet, selon elle, le taux de croissance, qui constitue un chiffre clé sur lequel doit se baser la nouvelle loi de finance 2020, n’est pas actualisé, dit-elle. Il se base sur un taux de croissance estimé par le FMI à la mi-avril à -4,3%, soit 7% de moins que ce qu’a prévu la LF 2020, estimé alors à 2,7%. Or, dans son rapport “OECD Economic Outlook” du 10 juin 2020, l’OCDE a publié les prévisions des taux de croissance en se basant sur deux scénarios.

Un scénario optimiste avec un seul choc Covid-19 et un deuxième scénario moins optimiste, qui prévoit deux chocs successifs, avec une deuxième vague et une reprise en W. Le scénario le plus optimiste prévoit pour la Tunisie un taux négatif de -6% alors que le plus pessimiste prévoit un taux de -8,2% pour l’année 2020, explique Mme Charfi.

Pour elle, “si on reste uniquement sur le scénario optimiste, l’OCDE prévoit un taux de croissance pour la zone euro, principal partenaire commercial de la Tunisie, de -9,1% bien plus mauvais que celui estimé par le FMI qui était de -7,5% à la mi-avril. Ainsi, une récession plus forte de la zone euro affectera encore plus négativement notre activité économique, ce qui rend le chiffre de -6% plus réaliste, dans le meilleur des cas”.

“Par ailleurs, et même si on suppose que le taux de croissance annoncé de -4,3% par le chef du gouvernement est le bon, il ne correspondrait aucunement à la perte en recettes fiscales annoncées de 4,5 milliards de dinars. Un tel recul des recettes fiscales signifierait un taux de croissance nettement plus bas”, a-t-elle encore indiqué.

S’agissant de l’affirmation du chef du gouvernement qu’”il n’y aura pas de recours au financement externe en plus des 8,8 milliards de dinars prévus par la LF 2020″, la Professeure a souligné que “ce choix est certainement partagé par la majorité des Tunisiens. Mais de toutes les façons, la Tunisie ne pourra pas solliciter le marché international qui coûtera trop cher, étant donné la prime de risque élevée. On emprunterait sûrement à un taux d’intérêt à deux chiffres, en cas de recours au marché international”.

En ce qui concerne l’augmentation de la retenue à la source sur les dépôts à terme et instruments financiers équivalents, prévue par le décret-loi n°2020-30, Marrakchi considère qu’une imposition supplémentaire ne servira qu’à faire fuir les déposants et le retrait de leurs dépôts du secteur bancaire. Ceci privera ce dernier (secteur bancaire) d’une partie importante de l’épargne qu’il aurait pu investir dans le secteur productif.

Sur un plan plus général, la prof d’économie estime qu’”avant de parler de relance, il faut protéger les ménages les plus vulnérables, pour assurer une reprise de la demande après la crise et préserver le tissu industriel en aidant les entreprises en difficulté”.

“Une enquête effectuée par le ministère de l’Industrie et des PME, sur 467 entreprises, a montré que 58% d’entre elles ont enregistré une baisse de plus de 50% de leurs chiffres d’affaires et 70% comptent réduire leurs effectifs, ce qui présage d’un taux de chômage plus important. Et l’enveloppe consacrée au sauvetage qui est d’environ 2,5% du PIB reste faible, comparée à d’autres pays qui ont réservé 10% de leur PIB. On ne peut bâtir un avenir sur des entreprises essoufflées. Même si on choisit de financer la reprise par l’inflation, on ne peut laisser notre tissu industriel se démanteler”.

Marrakchi a toutefois retenu quelques points positifs de l’interview du chef du gouvernement. “Le premier est relatif aux entreprises publiques qui restent un boulet d’étranglement pour le budget de l’Etat. Fakhfakh a parlé de la réforme de gouvernance des entreprises publiques, notamment de la refonte des conseils d’administration, comme cela a été fait pour les banques publiques. La professionnalisation des conseils d’administration est désormais à l’ordre du jour, comme le suggère la nouvelle version de la loi 89/9 présentée à l’ARP, fin 2019”.

“Un autre point positif consiste à s’attaquer à l’économie de rente qui gangrène l’économie nationale ainsi qu’au secteur informel. Mais Fakhfakh n’a pas précisé comment le gouvernement va s’y prendre. L’utilisation de l’identifiant unique et l’interopérabilité des différentes bases de données sont-elles suffisantes pour faire intégrer l’informel dans l’économie réglementée ? Espérons avoir des réponses claires quand le président du gouvernement passera devant l’ARP dans une dizaine de jours”, a-t-elle conclu.