Etre ministre indépendant est-ce un atout ou une faiblesse ? Difficile à dire dans le contexte de la Tunisie post-2011. Car Tawfik Jelassi, qui a fait partie du gouvernement Mehdi Jomaa, en qualité de ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des Technologies de l’information et de la communication, a pu, en seulement une année, laisser une empreinte indélébile, mais en a vu des vertes et des pas mûres.

Témoignage.

WMC : Au sein du gouvernement Jomaa, qui a dirigé la Tunisie en 2014, vous avez été ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des Technologies de l’information et de la communication. Dans quel état avez-vous trouvé ces trois secteurs? 

Tawfik Jelassi : M. Mehdi Jomaa avait décidé de fusionner les ministères de l’Enseignement supérieur, des Technologies de l’information et de la communication, et le secrétariat d’Etat à la Recherche scientifique.

Lors de notre premier entretien, il m’a dit : «Je vous propose un portefeuille sur mesure. Vous êtes un professeur universitaire et un doyen, donc votre domaine de compétence c’est l’enseignement supérieur et la recherche, et dans l’enseignement, votre spécialité c’est la technologie et les télécommunications».

Le ministère qui m’a pris le plus de temps, parce que posant beaucoup plus de défis, est incontestablement celui de l’Enseignement supérieur. Pour deux raisons.

En 2014, on comptait dans les universités tunisiennes plus de 350.000 étudiants, de 30.000 professeurs universitaires, et des milliers de techniciens dans les centres de recherche. Quantitativement donc, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique était un département très lourd et, de surcroît, je n’avais pas de secrétaire d’Etat.

La deuxième raison est que mon prédécesseur (feu Moncef Ben Salem) -paix à son âme-, n’a pas pu, en raison de son état de santé, exercer son travail à plein temps durant les quatre derniers mois précédant mon arrivée à ce poste, c’est-à-dire entre fin septembre 2013 et janvier 2014. De ce fait, beaucoup de dossiers importants et urgents se sont accumulés.

Lors de mon arrivée au ministère, j’ai eu, comme de coutume, un entretien en tête-à-tête avec feu Moncef Ben Salem. On était assis dans la partie salon de son bureau. Au début de l’entretien, il a pointé du doigt une table de l’autre côté sur laquelle une vingtaine, voire une trentaine de parapheurs étaient empilés les uns sur les autres, en me disant : «Si Tawfik, il y a certains dossiers que je n’ai pas pu traiter à temps ; je me permets donc d’en souligner la priorité».

Bien sûr, le chef de cabinet du ministre a essayé de gérer au mieux mais il n’avait pas le pouvoir de signature d’un ministre.

Donc, il me fallait rattraper le retard pris, essayer de résoudre certaines problématiques urgentes et d’arrêter des grèves d’étudiants qui traînaient depuis des mois.

Et au ministère des Technologies de l’information et de la communication ?

La situation était très différente. D’abord parce que ce département traite d’un domaine ayant une rationalité économique. On n’est plus dans l’idéologie et les écoles de pensée, comme dans l’enseignement supérieur.

Ensuite, mon prédécesseur, Mongi Marzouk, était présent et a exercé pleinement ses prérogatives. Enfin, chose extrêmement importante, au ministère des TIC, contrairement à l’enseignement supérieur, les décisions sont fortement décentralisées.

Par exemple, Tunisie Telecom, premier opérateur télécom du pays, a, comme tous les autres, ses propres instances de gouvernance -un président directeur général, un conseil d’administration, et un comité exécutif- qui prennent les décisions qui s’imposent. Ce n’était pas au ministre de le faire.

Dans l’enseignement supérieur, c’est le contraire. Tout remonte au ministre. A titre d’exemple, aucun président d’université ne peut signer un ordre de mission pour permettre à l’un de ses professeurs de prendre part à une conférence à l’étranger. C’est le ministre qui doit le faire. Avec plus de 30.000 enseignants et chercheurs, il suffit que chaque semaine un ou deux pour cent d’entre eux demandent à se rendre à l’étranger pour que le ministre soit submergé d’ordres de mission dont chacun doit être signé en quatre exemplaires !

De ce fait, c’est au ministère de l’Enseignement supérieur que je passais le plus clair de mon temps.

Propos recueillis par Moncef Mahroug

(Suite)