Tawfik Jelassi, universitaire et ancien ministre des TIC, faisait partie des intervenants lors de la première édition du premier Tech Trends by TT. A souligner au passage que ce Tech Trends s’est focalisé sur les enjeux et avantages de l’inclusion digitale, le digital et l’accès à l’éducation, l’impact socioéconomique et de quelques success stories tunisiennes.

L’objectif de TT en lançant cette thématique, c’est de permettre un débat et approfondi en vue de parvenir à réduire l’inégalité numérique sous toutes ses formes. Aujourd’hui, à l’ère du développement des TIC, l’exclusion numérique n’est plus permise, dans quelque endroit que ce soit.

D’ailleurs, dans son intervention, Dr Jelassi a longuement focalisé sur l’apport des ICT à la réduction des inégalités numériques, en prenant l’exemple du Kenya à travers l’opérateur historique, à savoir Safaricom (l’équivalent de Tunisie Telecom).

Selon lui, en 2009, ce pays était confronté à une importante “inégalité bancaire“, car moins de 20% de la population kenyane était bancarisée alors que le pays avait un fort taux de pénétration du téléphone mobile. Dès lors, ils se sont rapprochés du régulateur pour lui demander s’il était possible de remplacer la proximité d’une agence bancaire par une proximité technologique à travers le téléphone portable, raconte M. Jelassi.

Résultat des courses : sept ans après, c’est-à-dire en 2016, c’est seulement 18% de la population kenyane qui n’est pas bancarisée, dit-il. « C’est un effort énorme qui permet d’accéder à toute une panoplie de services financiers et bancaires, de transactions financières même à l’international, et tout ça à travers le téléphone portable ».

« In fine, cela a permis, primo à l’Etat d’avoir plus de transparence sur des transactions financières qui se faisaient un peu dans le noir, à l’utilisateur de gagner en temps et en argent mais aussi en productivité (les paysans n’ont plus à quitter leur ferme pour aller dans la ville où se trouve l’agence bancaire la plus proche). Cela a également permis une augmentation de l’épargne et des investissements, une consommation accrue, et le plus important, la création de nouvelles opportunités d’affaires et de nouveaux emplois dans le pays ».

Aujourd’hui, 25 millions de Kenyans utilisent la plateforme M-PSA, et ses services sont également utilisés dans plusieurs d’Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-est, explique Tawfik Jelassi. Il ajoute : « Aujourd’hui 25% du PIB par an du Kenya transitent par la plateforme M-PSA, c’est l’équivalent de 22 milliards de dollars américains ».

En ce qui concerne la Tunisie, il estime que l’inclusion digitale passera inévitablement par le développement de l’accès aux services numériques publics, mais aussi aux activités économiques et sociales. Il appelle aussi à « inclure les personnes à mobilité réduite, leur permettre de mener des activités normales, et ce afin d’éviter leur stigmatisation sociale (éviter leur mise à l’écart en quelque sorte) ».

L’universitaire évoque également certaines barrières, en cela il cite les prérequis tels que posséder l’Internet (en Afrique les coûts de l’Internet sont les plus élevés au monde), c’est-à-dire que le coût financier du raccordement à Internet, l’illettrisme numérique, le manque d’accompagnement aux usagers numériques, les inégalités sociales.

Alors par rapport à tout ça, où se situe la Tunisie ? Il répond en disant que « je ne vais pas comparer la Tunisie aux pays industrialisés mais avec ses voisins. La Tunisie fait mieux que la Libye et l’Algérie, mais moins que le Maroc. En Tunisie on a presque 60% d’utilisation de l’Internet contre près de 70% au Maroc –pays qui compte plus de trois fois la population de la Tunisie avec des disparités socioéconomiques beaucoup plus prononcées qu’en Tunisie. Donc il y a encore du chemin à faire pour la Tunisie, notamment en termes de taux de pénétration de l’Internet et de temps d’utilisation régulière.

L’universitaire appelle l’Etat à jouer son rôle de locomotive, à faciliter l’accès des citoyens à l’équipement numérique et à l’internet (par exemple en subventionnant les équipements informatiques), offrir des incitations pour utiliser les services numériques (tel que l’e-paiement), valoriser les initiatives d’économie numérique (via une réduction d’impôts), réduire l’illettrisme numérique et renforcer la culture digitale (via le gaming par exemple), utiliser le numérique pour dynamiser les régions défavorisées (via des investissements étrangers et même nationaux), et faire de l’inclusion digitale un axe primordial du nouveau plan quinquennal de développement économique et social.

Talel BAHOURY