Les officiels tunisiens ont découvert, à la faveur de la dure épreuve que la Tunisie vient d’endurer pour sortir de la « liste grise des pays exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme » (BA/FT) du GAFI et de l’Union européenne, qu’il leur reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour se prémunir contre la criminalité financière et se conformer aux normes-conventions mises en place à cette fin, à l’international.

La règle à suivre ne consiste plus, comme c’était le cas auparavant, à se contenter d’adhérer à ces normes mais de prouver qu’elles sont appliquées effectivement sur le terrain et qu’elles profitent à des bénéficiaires effectifs et non à des intermédiaires écrans.

Conformité, effectivité et bénéficiaire effectif

Pour résumer, la conformité aux normes internationales -ce que les Américains appellent «compliance»-, l’effectivité de leur application et le ciblage du bénéficiaire effectif sont désormais les trois axes majeurs autour desquelles s’articule, de nos jours, toute lutte efficace contre la criminalité financière.

Et c’est toute une nouvelle culture qu’il faudrait diffuser dans la plupart de nos banques et entreprises.

En plus clair, ces dernières sont appelées, pour survivre dans une économie ouverte comme la nôtre, à se conformer aux règles de ce qui est convenu d’appeler les « best practices », l’équivalent de “charte de bonnes pratiques“, et ce en y intégrant une dimension éthique. C’est seulement à ce prix qu’elles éviteront tout risque d’irrégularité dans leur système de gestion, d’exploitation, productif, commercial, financier, informationnel, organisationnel, réglementaire et humain.

Les autorités tunisiennes en sont heureusement conscientes. En effet, lors d’une conférence de presse tenue le 25 octobre 2019 à Tunis, consacrée justement aux enseignements à tirer de la sortie de la Tunisie de la liste du GAFI, Marouane Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Mohamed Karim Jamoussi, ministre de la Justice, Ridha Chalghoum, ministre des Finances, et Fayçal Derbal, ministre-conseiller auprès du chef du gouvernement chargé de la fiscalité, se sont relayés pour mettre en garde contre toute tendance à jubiler après la sortie de la liste du GAFI.

Ils ont appelé les banques, les entreprises et les institutions à ne pas « baisser la garde » et à continuer à faire preuve de vigilance en matière de lutte contre la criminalité financière. Concrètement, ils les ont invitées à se préparer à se conformer en toute urgence à la mise en œuvre incessante de deux nouvelles normes.

Norme européenne pour tarir le financement de la criminalité

La première est une nouvelle directive européenne portant prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

Publiée le 19 juin 2018 au Journal officiel de l’Union européenne et dictée par la vague d’attentats terroristes en Europe en 2016, cette directive définit un cadre juridique global et efficace de lutte contre la collecte de biens ou d’argent à des fins terroristes, en imposant aux États membres d’identifier, de comprendre et d’atténuer les risques de blanchiment de capitaux, de l’évasion fiscale et de financement du terrorisme».

Ultime objectif : assécher le financement de la criminalité sans créer d’obstacles au fonctionnement normal des systèmes de paiement. Elle vient renforcer les règles existantes par l’introduction d’importantes nouveautés.

En voici les principales.

A signaler tout d’abord que cette directive donne des pouvoirs accrus pour les Cellules de renseignement financier (CRF). Celles-ci auront accès aux informations stockées dans les Banques centrales et aux registres des comptes de paiement pour améliorer l’identification des titulaires de comptes.

Autre nouveauté introduite : l’accès aux registres des bénéficiaires effectifs : les registres nationaux et l’échange d’informations entre les États membres de l’UE offriront un degré de transparence plus élevé en ce qui concerne les véritables propriétaires d’entreprises.

La BEPS pour dissuader l’évasion fiscale à l’international

La deuxième sera initiée, en 2020, par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il s’agit du projet “Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices (BEPS) en vertu duquel les pays sont tenus d’échanger les renseignements pour s’assurer de l’évasion ou de la non-évasion fiscale.

Lancée par le G20 en 2012 et mis en œuvre par l’OCDE, l’initiative vise à faire échec aux stratégies d’optimisation fiscale mises au point par certaines entreprises qui tirent profit de l’absence d’harmonisation fiscale à l’échelle internationale pour transférer artificiellement leurs profits vers des États dont le taux d’impôt sur les sociétés est très faible voire nul, diminuant ainsi fortement les recettes fiscales des États.

Cette optimisation est préjudiciable aux États et particulièrement aux États émergents qui sont tributaires des recettes fiscales provenant de l’imposition des entreprises multinationales.

Le BEPS fait référence aux stratégies de planification fiscale qui exploitent les failles et les différences dans les règles fiscales en vue de faire «disparaître» des bénéfices à des fins fiscales ou de les transférer dans des pays ou territoires où l’entreprise n’exerce guère d’activité réelle.

Le Cadre inclusif sur le BEPS rassemble plus de 125 pays et juridictions qui travaillent en collaboration pour mettre en œuvre les mesures BEPS et lutter contre le BEPS, note l’OCDE sur son site.

A titre indicatif, en Tunisie, cette norme une fois appliquée, ne manquera pas d’accélérer l’harmonisation de la fiscalité entre les entreprises locales et les 3 000 sociétés offshore implantées dans le pays et d’accroître, par conséquent, les recettes fiscales de l’Etat.

Lire aussi : La Tunisie adoptera, en 2020, la charte de l’OCDE contre le dumping fiscal

Cela pour dire que les responsables tunisiens qui avaient, à la faveur de la controversée loi 72, opté pour le dumping fiscal pour attirer les investissements directs étrangers, ce qui nous a valu, en 2017, le blacklistage dans la liste des paradis fiscaux, sont sommés, aujourd’hui, de comprendre que l’investissement dans la transparence et dans l’équité des affaires est non seulement un investissement rentable –comme l’a souligné Marouane Abassi- mais surtout une option soutenue et défendue par la communauté internationale.

A bon entendeur.