Point d’orgue de la présidentielle anticipée prévue pour le 15 septembre 2019, l’organisation, durant trois jours par la chaîne publique El Watanya 1, de débats inédits en Tunisie avec les concurrents en lice pour la magistrature suprême.

Au regard des impressions recueillies par les médias auprès des téléspectateurs, ces débats ont été une initiative fort positive dans la mesure où ils ont permis aux Tunisiens de connaître les candidats et de prendre connaissance de leurs programmes, du moins dans la limite des thèmes sur lesquels ils ont été interpellés.

Des débats pour donner une chance aux candidats pauvres

Ils ont eu pour avantage d’assurer un minimum d’équité entre les candidats dans la mesure où certains d’entre eux n’avaient pas les moyens logistiques et matériels de sillonner tout le pays et de toucher toutes les composantes de la population partout où elles se trouvent. C’était pour ces derniers un raccourci pour se faire connaître.

Au plan du contenu, il faut reconnaître que tous les candidats avaient des projets forts intéressants pour la Tunisie. Globalement, l’accent a été mis sur la souveraineté du pays, sur ses richesses naturelles, la révision du système éducatif, la consécration du pouvoir local, la primauté de la loi, la diplomatie économique (conquête de l’Afrique, attraction de nouveaux flux d’IDE…), élaboration d’un nouveau modèle de développement, la sécurité globale qui transcende le simple volet sécuritaire pour englober toutes sortes de menaces qui pèsent sur la Tunisie (terrorisme, déficit alimentaire, déficit hydrique, réchauffement climatique, pauvreté, délinquance, contrebande, évasion fiscale…).

Au rayon de la politique, de l’idéologie et de la diplomatie, trois interventions virulentes ont fait grincer les dents des candidats de certains partis.

Ces interventions qui ont fait grincer les dents de certains

La première est celle d’Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL). Elle s’est engagée, sil elle est élue présidente de la République, à ouvrir les dossiers sur la sécurité nationale, le terrorisme et des parties politiques qui se cachent derrière les assassinats politiques, et la rupture avec les partis ayant un rapport avec les organisations terroristes.

La deuxième est à l’actif de Hachemi Hamdi, chef du parti Mahabba. Ce dernier a jeté un pavé dans la mare quand il a évoqué la question identitaire et promis, une fois élu président, d’amender l’article 1 de la Constitution. L’objectif est de faire en sorte que les lois tunisiennes soient inspirées dorénavant de la Chariaa (loi islamique).

Il a été rappelé, frontalement, à l’ordre par le candidat de gauche, Mongi Rahoui, initiateur de l’article 6 de la Constitution sur l’institution de la liberté de conscience en Tunisie.

C’était aussi le cas de Lotfi Mraihi, secrétaire général de l’Union populaire républicaine (UPR), quand il a surpris les représentants du «parti de France» en Tunisie en révélant que les conventions conclues avec ce pays en matière de ressources naturelles datent de 1955. Une révélation qui a déplu particulièrement au candidat indépendant et ancien nahdhaoui, Hatem Boulabiar.

Par-delà ces mentions spéciales pour ces interventions, les deux premiers débats qui ont eu lieu samedi et dimanche ont été empreints de beaucoup de correction et de discipline.

Sans tendre à la perfection, ce qui est normal en cette période transition, ces débats ont constitué un excellent exercice d’apprentissage de la démocratie et du respect du peuple.

C’est en soi un exploit à l’honneur d’un bien public, en l’occurrence la chaîne publique El Watanya 1 qui retrouve, avec ces débats, des couleurs.

C’est aussi en l’honneur des politiques tunisiens qui commencent à apprendre à vivre ensemble malgré leurs différences.

Ces débats n’étaient pas du goût de tout le monde

En dépit du succès de cette initiative, ces débats, à la mesure du degré de maturité et de conscience du Tunisien, ne sont pas du goût de toutes les chaînes privées.

Les chroniqueurs de ces chaînes, habitués à instituer de fait la pensée unique en exerçant de jour et de nuit dans les radios et les chaînes de télévision, ont tiré à boulets rouges sur ces débats et se sont permis même de s’en moquer. Ils reprochent, entre autres, à ces débats l’occultation du rôle des journalistes lequel s’est limité à poser les questions, et l’absence de clash, donc de bagarres. Ce qui dit long sur le psychique de ces «leaders d’opinion».

Et pourtant, quand on regarde de près cette option, on ne peut que la saluer pour une simple raison : regroupées dans des réseaux fermés et généreusement payés à la faveur de la publicité politique, les équipes d’animateurs, soi-disant vedettes qui ont animé depuis 2011 les débats politiques, ont été toujours du côté du plus offrant.

Pis, ces chroniqueurs ont porté un énorme préjudice au pays et à sa stabilité.

Pour mémoire, c’est au nom de l’objectivité professionnelle que ces animateurs -qui continuent à faire la pluie et le beau temps sur les plateaux- avaient fait le lit, au temps de la Troïka, du terrorisme en invitant les djihadistes islamistes sur leurs plateaux.

Conséquence : faire taire les journalistes véreux, en cette période délicate, ne peut être qu’une cause juste. On l’aura dit.