Les Tunisiens en général et les politiques en particulier ont rarement aussi unanimes sur une question qu’ils le sont aujourd’hui à propos de l’arrestation de Nabil Karoui, président et candidat de “Qalb Tounes“ à l’élection présidentielle. Toutes les personnalités et partis politiques ayant réagi à l’annonce de l’arrestation de Nabil Karoui ont plus ou moins clairement et plus ou moins directement pointé un doigt accusateur vers le chef de gouvernement, lui imputant la responsabilité de la décision de jeter le patron de Nessma TV en prison et estimé que l’opération vise à écarter un concurrent sérieux –favori même, du moins à ce jour, d’après les sondages.

Le premier à avoir fait entendre un son de cloche assez critique dans ce dossier est le mouvement Ennahdha. Le jour même de l’arrestation du candidat de Qalb Tounes, vendredi 23 août 2019, le parti islamiste publie un communiqué dans lequel, faisant preuve d’une prudence de Sioux, il se contente de réitérer son «ferme attachement à l’indépendance de l’institution judiciaire» et sa «tenue à l’écart des affrontements politiques et de tout soupçon d’instrumentalisation qui porte atteinte à sa crédibilité et à indépendance» ; appelle «les parties concernées à donner les explications nécessaires pour éclairer l’opinion publique au sujet des motivations de la mesure prise» ; exprime sa crainte que «le temps judiciaire et le temps politique se mêlent et perturbent le processus électoral» ; et, enfin, «dénonce avec force les tromperies auxquelles certains ont recours en impliquant le nom d’Ennahdha dans cette affaire».

Autrement dit, Ennahdha a essayé en quelque sorte de ménager le choux –Youssef Chahed, un ex-allié qui peut le redevenir- et la chèvre –Nabil Karoui, un «ami» qui peut devenir beaucoup plus que cela au lendemain des élections à venir.

Au sein de la même famille politique, Hamadi Jebali a été plus tranchant. L’ancien chef de gouvernement et ex-secrétaire général –démissionnaire- d’Ennahdha a estimé que l’arrestation de Nabil Karoui ouvre la porte devant «une nouvelle dictature usant des moyens de l’Etat dans l’élimination des rivaux politiques».

Proche de la sphère islamiste, Moncef Marzouki est quasiment sur la même longueur d’ondes que M. Jebali. L’ancien président, qui s’est déclaré «inquiet pour la démocratie en Tunisie», considère que l’arrestation du président de Qalb Tounes «nuisait à la démocratie ainsi qu’à l’image de la Tunisie», appelant les partis politiques à rester à l’écart des «règlements de comptes politiques».

A l’autre extrémité du spectre politique, on retrouve grosso modo le même son de cloche. Abdelkrim Zbidi, concurrent à la fois de Youssef Chahed et de Nabil Karoui dans la course à Carthage, a déploré le timing de cette arrestation à quelques jours du scrutin présidentiel –qui, selon lui, s’est opérée dans des conditions douteuses, qui pourraient nuire à l’image du pays»-, qui est de nature selon lui à «pourrir le climat général du pays».

Mehdi Jomaa, président du parti Al Badil et candidat à la présidentielle, n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, la détention de Nabil Karoui «n’est pas une application de la loi mais plutôt une instrumentalisation de la loi».

Ahmed Nejib Chebbi ne dit pas autre chose, mais de manière plus crue lorsqu’il assimile l’arrestation de Nabil Karoui à un «kidnapping visant à écarter un concurrent» et «d’ingérence injuste du pouvoir exécutif dans l’opération électorale».

Bien sûr, Youssef Chahed et son parti ne l’entendent pas de cette oreille. Avant que le chef du gouvernement écarte d’un revers de main ces accusations lors de son intervention mardi 27 août 2019, dans l’émission “Midi Show” sur Mosaïque FM, Tahya Tounes s’est fendu trois jours plus tôt d’un communiqué dans lequel il a condamné «la campagne de dénigrement qui cible le parti et son président, à propos d’une affaire à laquelle ils sont totalement étrangers et qui relève exclusivement de la justice».

Mais Youssef Chahed et sa formation ne sont pas sans savoir qu’en politique la perception est fondamentale. L’un et l’autre auront beau multiplier les dénégations, ils ne risquent pas de convaincre grand monde.

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