Quelque 31 affaires d’exploitation économique et sexuelle ont été recensées dans une vingtaine de tribunaux de première instance répartis sur l’ensemble du pays visités au mois de novembre 2018, indique un rapport sur la traite des personnes en Tunisie : Lecture de dossiers judiciaires Etat des lieux réalisé dans 20 Tribunaux de première instance.

Le rapport, qui vient d’être publié, indique que deux affaires sur 31 sont en lien avec des personnes de nationalité étrangère et 16 affaires concernent des enfants.

Le document, dont la TAP a reçu une copie, présente une synthèse des résultats d’une étude sur le traitement judiciaire des affaires relatives à la traite des personnes en Tunisie réalisée par Avocats Sans Frontières, le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux en collaboration avec l’Instance Nationale de la Lutte contre la Traite des Personnes, dans le cadre du projet Briser les Chaines: Lutter contre la traite des êtres humains en Tunisie, financé par L’Union Européenne.

Le but de cette étude, réalisée par Samar Jaidi, juge chercheuse au Centre des études juridiques et judiciaires, est de faire la lumière sur le traitement judiciaire des affaires de traite en effectuant une analyse d’un échantillon d’affaires enregistrées au niveau de la justice et qui sont liées à la traite des personnes.

Le rapport mentionne que les données fournies par le ministère de la Justice indiquent que 18 cas de traite ont été portés devant la justice depuis l’entrée en vigueur de la loi fondamentale n°2016-61 du 3 août 2016 relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes jusqu’à janvier 2018 soit sur une période de 16 mois.

Dans 7 de ces affaires, la qualification du crime de traite a été retenue sans précision sur le type d’infractions. Pour les autres affaires, il s’agit soit du crime d’exploitation économique (9), soit d’exploitation sexuelle (2). Sur ces 18 affaires, 4 affaires ont reçu un jugement (soit 22%), tandis que les 14 autres affaires sont toujours soit en phase d’enquête préliminaire soit en phase d’instruction. Sur ces 4 affaires, deux seulement ont reçu un verdict, les deux autres ont été classées sans suite à l’instruction.

La quasi majorité de ces affaires (17/18) concerne des victimes mineures à l’exception d’une affaire portée devant le tribunal de Siliana.

Aucun jugement de condamnation ne trouve son fondement juridique dans la loi organique n°2016-61 du 3 août 2016 relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes, souligne le rapport. 45% des affaires liées à la loi relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes sont toujours en phase d’instruction.

Les données fournies par le ministère de la Justice sont essentiellement quantitatives et n’apportent pas des éléments qualitatifs sur les affaires. En vue de pallier à cette carence d’informations et de collecter des données plus précises et actualisées, une étude de terrain a été engagée.

Sur une période d’un mois (novembre 2018), des visites ont eu lieu dans 20 tribunaux de première instance de la Tunisie sur 27 possibles. Cette recherche a permis de recenser 31 affaires relatives soit à de l’exploitation sexuelle, soit à de l’exploitation économique sur les 20 tribunaux visités.

Ces affaires sont réparties comme suit :

Tribunal de Tunis 5 affaires (3 affaires d’exploitation économique et deux affaires d’exploitation sexuelle) ;

Tribunal de Tunis 2 une seule affaire d’exploitation économique ;

Tribunal de l’Ariana et de la Manouba une seule affaire d’exploitation sexuelle chacun ;

Tribunal de Grombalia 3 affaires une affaire d’exploitation économique et sexuelle à la fois, une affaire d’exploitation sexuelle et une affaire dont l’information n’a pas été disponible ;

Tribunal de Zaghouan une seule affaire dont l’information n’a pas été disponible ;

Jendouba trois affaires d’exploitation économique ;

Siliana une affaire d’exploitation économique ;

Sousse 5 affaires d’exploitation économique (cas d’enfants victimes de mendicité) ;

Sousse 2 4 affaires d’exploitation économique ;

Kairouan une affaire d’exploitation économique d’un enfant mineur ;

Mahdia une seule affaire d’exploitation sexuelle de victimes adultes,

Sfax 1 4 affaires d’exploitation économique.

En revanche aucune affaire n’a été enregistrée dans les tribunaux de première instance de Nabeul, du Kef, de Monastir, de Kasserine, de Tozeur, de Gafsa et de Médenine.

Les 31 affaires de traite des personnes répertoriées se trouvaient au stade suivant de la procédure pénale : une affaire se trouvait en phase d’enquête préliminaire devant le juge d’instruction. 14 affaires étaient en cours d’instruction et pour lesquelles l’enquête préliminaire a été clôturée. 6 affaires ont fait l’objet d’un classement sans suite au niveau de l’instruction. Dans 5 de ces affaires, la qualification de crime de traite n’avait pas été retenue. 5 affaires ont été renvoyées devant les chambres d’accusation.

Il est également mentionné dans le rapport que 9 des 20 tribunaux visités dans le cadre de ce travail de terrain, ne disposent pas de registres spéciaux pour les crimes de traite des personnes, soit environ la moitié des tribunaux.

L’absence de registres spéciaux relatifs aux crimes de traite ne facilite pas le suivi, signale le rapport.

L’auteure du rapport fait état de deux constats principaux. Le premier est l’absence de condamnation sur la base de la loi de lutte contre la traite des personnes et la lenteur du traitement des affaires de traite par la justice. De par la nature du crime de traite, ces derniers doivent être traités d’une façon prioritaire et rapide que les dossiers de droit commun. La sensibilisation des juges à ce type de crime est donc fondamentale, souligne-t-elle.

Ainsi le rapport propose une série de recommandations telle que la réforme du système judiciaire, le renforcement du traitement des affaires de crimes de traite de personnes par les structures concernées, la révision du traitement de la victime pendant le processus judiciaire, en particulier pendant son audition, le renforcement de capacités des intervenants du système judiciaire et la sensibilisation à la gravité du crime de traite des personnes outre le recours aux moyens d’investigation exceptionnels prévus dans la loi relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes.