La campagne électorale pourrait, une fois encore, occulter l’urgence de faire repartir l’économie. Comment dès lors mettre le débat d’idées sur la bonne voie ? Rien de mieux que de montrer la voie des réformes aux futurs dirigeants du pays. Il faut leur signifier que le seul impératif en politique est le courage politique.

Mercredi 8 mai 2019, l’IACE, bravant les contraintes familiales des soirées ramadanesques, a réuni le premier rendez-vous avec les représentants des partis politiques, à son siège aux berges du lac. Ils étaient nombreux à répondre à l’appel. L’IACE veut les associer à son initiative dénommée : Economy first. Ce think tank juge utile et nécessaire de cadrer la réflexion économique avant le démarrage de la campagne électorale.

La première réunion a été consacrée à la réflexion qu’il convient d’avoir autour du budget de 2020. Un planning de débats est programmé jusqu’au mois de septembre à l’effet de véhiculer une discipline de réflexion autour des sujets sensibles et notamment l’économie. Mais également à l’effet de tenir l’opinion informée des éventuels dérapages populistes ou des surenchères qui ouvrent la voie aux promesses électorales irréalistes.

Mercredi donc (8 mai), on a vécu le coup d’envoi, et le rouleau compresseur de cet exercice d’agora est lancé. On aura remarqué qu’avec beaucoup de responsabilité, cette tentative de “parlement de l’économie“ s’est déroulée dans une ambiance d’où les rivalités politiques n’ont pas perturbé une certaine forme de communion, du moins sur les pistes à explorer en matière de réforme et de choix.

On peut espérer qu’en bout de course, l’opinion puisse disposer d’un référentiel en matière de politique économique lequel éclairerait sur une matrice de réformes, réalistes et pourquoi pas consensuelles.

Le budget d’abord

Convenons-en, le budget est le premier levier d’action pour un gouvernement. A la veille des élections, il est bien naturel qu’il soit au centre de ce premier rendez-vous.

Comment configurer le budget 2020 ? Ou on continue à laisser filer les déficits en tous genres. Ou l’on s’inscrit dans un esprit de rupture avec le passé, ouvrant la voie au nouveau modèle économique qu’on n’a pas encore formalisé.

Ce que vient rappeler l’IACE est qu’en matière de budget, les contraintes sont trop rigides. Les grands agrégats sont figés. Ainsi en est-il de la masse salariale qui gravitera à 14 % du PIB et 41 % du total du budget. Pareil pour la dette.

L’insuffisance des recettes propres pousse inévitablement l’Etat à s’endetter. La masse des subventions ne laisse pas de grandes possibilités. A moins de prendre le risque de contestation sociale.

Nous avons tous en mémoire les dégâts de la déflagration sociale de 1983, causée par l’ajustement des prix des produits de première nécessité.

L’investissement, à défaut de ressources d’épargne en retrait flagrant, ne sera pas mieux loti et lui aussi avoisinera les 6 milliards de dinars. Et en la matière, on rappelle que la masse d’absorption du pays se situe autour de 3,2 milliards de dinars.

L’on voit donc que le budget ou dans une hypothèse d’arithmétique comptable, c’est-à-dire d’une simple progression linéaire ne fera pas revenir la dynamique de développement et la relance de la croissance. Quels sont les autres leviers d’action ?
L’esprit des réformes

Si l’on veut reprofiler le budget, il faudra passer par la case des réformes. Le sujet qui s’impose en la matière est celui de la fiscalité. Continuer à coller à un standard fiscal nous propulsera dans le mur. Outre cela, à trop pomper les contribuables et les divers agents économiques, au-delà de leur capacité contributive est désastreux.

Par ailleurs en matière de pression fiscale, la Tunisie a fini par être au palier maximal, en comparaison avec tous les pays du voisinage méditerranéen. Continuer l’escalade fiscale serait suicidaire et ruineux.

Comment donc s’inspirer des réformes qui ont marché ailleurs ? La Suède et les Etats-Unis de Reagan ont choisi le chemin inverse. Faire baisser l’impôt et alléger les charges et se débarrasser de quelques transferts sociaux. Il s’agit en l’occurrence des dépenses, dit-on, de maquillage qui sont vaines car elles ne font que camoufler les dérapages dangereux.

Dans le même esprit, on a cherché à savoir comment on peut échapper à la fatalité de la surcharge des services de la dette. Ne faut-il pas momentanément s’orienter vers un rééchelonnement purement et simplement ? Dans la même perspective, comment doper l’investissement public par d’autres affluents et notamment le PPP ?

Et comment augmenter les ressources de l’Etat en redonnant du punch au secteur public sans passer obligatoirement par la privatisation, solution décriée par les syndicats ? Par des contrats-programmes, évitant les programmes sociaux c’est-à-dire de restructuration par le licenciement des agents sont possibles. Tout est possible, encore faut-il avoir le courage de secouer le cocotier. Et c’est là où l’initiative de l’AICE a permis une percée considérable.

Réformer, un exercice complexe et délicat

Sans reprendre la conclusion de la Banque mondiale, l’esprit de cette première rencontre mettait en avant le mood d’une révolution inachevée. L’ensemble des représentants des partis politiques ont convergé vers une conclusion qui, même si elle n’a pas l’unanimité, faisait l’objet d’un timide consensus : c’est le temps de l’économie. Elle doit revenir comme première priorité dans la vie publique. Elle doit fonctionner selon les standards de la rationalité économique. Et que les réformes ne sont pas douloureuses si on sait les accompagner par des mesures d’ajustement. Et que l’administration à l’heure actuelle est la principale inertie du pays.

D’aucuns sont allés jusqu’à soutenir que l’immobilisme et l’archaïsme de l’administration constituent un paravent à la mauvaise gouvernance, et à la corruption.

Voilà la messe est dite. Lors de ce premier round on a convergé vers une grande idée force. En toute vraisemblance, compte tenu de la mosaïque des partis et de la loi électorale actuelle, l’on s’oriente vers un gouvernement de coalition.

Il faut expliquer à l’opinion qu’un pouvoir faible nous contraindrait à l’immobilisme et à l’inaction.

Dans cette hypothèse, tous doivent faciliter l’émergence d’un pouvoir fort. Il faut expliquer à l’opinion qu’un pouvoir faible nous contraindrait à l’immobilisme et à l’inaction. Il faut donner la possibilité au nouveau gouvernement de se mettre en intelligence avec les appels de modernité du système et aux aspirations de prospérité des masses.

Pourquoi pas une conférence nationale sur les résolutions sociales

Il faut lui procurer la légitimité de ses dépassements, de ses franchissements, c’est-à-dire des réformes importantes. On a même recommandé la tenue d’une conférence nationale sur les résolutions sociales à prendre. Suggestion lucide. Il s’agit d’amener les membres de la coalition à s’engager à des choix définitifs, sans calculs électoraux et que chacun ne se défaussera pas à tirer le drap vers soi.

Imposer une éthique en politique est un défi sociétal. C’est un challenge de taille.