L’Union européenne vient de présenter son “Programme d’investissement extérieur“, de 44 milliards d’euros, en faveur du développement de l’Afrique. En étendant son partenariat de la Méditerranée vers tout le continent africain et le Moyen-Orient, l’UE passe au stade de “politique globale de bon voisinage“.

Ce plan repose sur le mixage entre les financements public et privé. Le tout est assorti d’un fonds de garantie contre les risques en tous genres. Un choix de rupture pour vaincre l’aversion au risque et débrider l’investissement.

Vendredi 15 courant a eu lieu à Tunis une journée de promotion du “PIE” (Programme d’investissement extérieur), lancé par l’Union européenne. Une mission de l’UE, conduite par Michael Kohler, DG du voisinage Sud au sein de la Commission, a fait le déplacement dans notre pays à cette occasion.

Il fallait exposer l’origine, les objectifs et les impacts attendus du “PIE” aux partenaires tunisiens du public et du privé. La délégation itinérante de l’UE effectue un road show continental pour le lancement du programme. Après Le Caire, Amman et Rabat, Tunis est la quatrième étape de ce périple.

Une vision globale de la politique du bon voisinage

Cette initiative, à n’en pas douter, élargit l’étendue du champ de la politique de bon voisinage de l’Union européenne. Elle-même fait suite au partenariat Euromed lancé à Barcelone en 1995 avec 12 pays de la rive Sud*. Depuis 2016, l’UE a eu ce souci d’élargir le cadre de la politique de bon voisinage à l’ensemble du continent africain et du Moyen-Orient.

De notre point de vue, l’UE cherche à se ménager face à des faits d’importance. Elle cherche à se prémunir dans cette course à l’hégémonie économique, attisée par les deux compétiteurs directs de l’UE, à savoir les USA et la Chine. Il ne faut pas non plus négliger la volonté d’endiguer les flux migratoires. Pour hâter tout cela, une des solutions serait de dégager plus de ressources au service du développement en Afrique. Là-dessus, le “PIE” apporte des outils supplémentaires et des sources nouvelles de financement.

Il vient diversifier et augmenter les mécanismes de financement au service du développement des pays concernés. La BEI (Banque européenne d’investissement) puis la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) seront les principales institutions multilatérales à s’engager. Elles seront rejointes par la coopération française (AFD) ainsi que la coopération allemande (KFW), essentiellement.

Le projet “PIE”, réplique le schéma initié par le “Plan Juncker“. Ses initiateurs soutiennent qu’il fallait calquer un modèle qui a déjà fonctionné.

Faut-il rappeler à ce stade que la Tunisie est le premier pays bénéficiaire de l’aide européenne par tête d’habitant. Et en soi, l’aide publique européenne est assez conséquente. Elle a été de 76 milliards d’euros en 2016. Ce qui représente 60% de l’aide totale. En dépit de cela, il persiste un sentiment de frustration quant aux résultats des accords de libre-échange passés entre les pays de la rive Sud et l’UE.

Alors avec cette cagnotte de 44 milliards d’euros, l’Europe entend frapper un grand coup. Il y a d’abord les fonds mais également toute la partie d’ingénierie en matière de montages financiers et de garantie des risques lesquels, aux yeux des représentants de l’UE, feraient la différence.

Peut-on espérer une transformation en profondeur de la physionomie du développement sur le continent ? Quand bien même le PIE’ à lui tout seul n’y pourvoit pas, il vient insuffler une approche de financement de rupture. Celle-ci peut laisser espérer rallumer l’engouement de la prise de risque chez les investisseurs privés et publics, locaux et internationaux.

“Nous venons en appui“, dixit Michael Kohler

A l’ouverture de la journée, Zied Ladhari, ministre tunisien du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, déclare que cette initiative arrive à point nommé. La Tunisie est en dynamique de redressement de son attractivité comme site d’investissement.

Après avoir grimpé de 8 places dans le classement “Doing Business“, elle s’emploie à se hisser dans le Top 50 pour l’année 2020. Et la veille, soit le jeudi 14 janvier, le projet de loi sur la mobilisation de l’investissement et l’amélioration du climat des affaires a été ficelé en attendant d’être présenté à l’ARP. Par conséquent, le contexte national est propice.

En réponse, Michael Kohler dira “Nous venons en appui” et partout où le PIE sera sollicité, il y aura du répondant.

Rappelons que deux grands projets en Tunisie sont déjà dans le pipe. Il y a celui du Métro léger. Et celui du Plan solaire de Tozeur. Un troisième est en cours d’agrément, à savoir le programme de relance de l’investissement et de la modernisation des exploitations agricoles en Tunisie dit “PRIMEA”.

Par ailleurs, un espoir important naît pour tous les projets qui pourraient être financés via le PPP et pour lesquels le cadre réglementaire est fin prêt. L’amorçage pourrait se réaliser grâce au PIE.

Cinq domaines d’investissement et trois piliers d’intervention pour le PIE

Il est difficile d’échapper à la contrainte de l’économie durable, à l’heure actuelle. Et de ce point de vue, le PIE y adhère, totalement. Il se cale en effet sur l’agenda 2030 de l’ONU. Il cible cinq domaines d’investissement prioritaires, à savoir : l’énergie renouvelable, l’entrepreneuriat rural et l’agriculture durable, la digitalisation durable, les villes écologiques -c’est-à-dire sans émission de gaz à effets de serre- et la digitalisation au service du développement.

Le PIE repose sur trois silos. Le premier est le Fonds européen pour le développement durable (FEDD). Avec ce Fonds, le programme propose des subventions non remboursables. Outre cela il assure des montages financiers mixtes entre public et privé avec effets de leviers.

Les leviers pourraient être mobilisés soit sur le marché, tel les “green bonds“, ou auprès d’investisseurs institutionnels et des banques. Le FEDD garantit une liste de 28 risques dont les risques marché, pays et ceux dits contractuels et de performance.

Les 28 risques couvrent la palette la plus large des risques rencontrés, habituellement. Le FEDD permet donc, grâce à son intervention, de peser sur les taux d’intérêt, sachant que sa garantie est irrévocable et qu’elle est actionnée à première demande.

Le deuxième pilier est celui de l’assistance technique. Il fonctionne avec un guichet unique (One Stop shop). Ce guichet élabore, pour tous les projets présentés, un schéma de financement et procède au match-making.

En effet, la mise en contact entre les promoteurs de projets et les investisseurs est également prise en main par le programme.

Le troisième pilier est celui du climat d’investissement. Il n’échappe à personne que c’est un élément d’effet d’appel important dans la prise de décision des investisseurs. Et ce volet concerne notamment les aides budgétaires pour les réformes de gouvernance. Ainsi que le dialogue politique pour pérenniser l’amélioration du climat des affaires.

La concertation avec les pays tiers a manqué

Le PIE pourrait amorcer la modernisation du financement de l’investissement sur le continent. En dopant l’investissement, il accélérerait la croissance économique. Il reste la question du développement. L’UE se serait épargnée tout ce temps de promotion du programme si elle s’était concertée dès 2016, année à laquelle elle s’est résolue pour le projet, avec les pays africains. La configuration aurait été, de notre point de vue, plus opérationnelle.

Souvent, en matière de coopération financière, l’UE décide, seule. L’ennui est que cela nourrit l’opinion, partiale à bien des égards, qu’elle ne prend en compte que ses propres intérêts. Et que ces financements sont d’ordre sécuritaire. On y voit un instrument de maintien des Africains chez eux.

Pour bien concrétiser le projet Euromed, les pays de la rive Sud avaient proposé la création d’une banque euroméditerranéenne. L’UE a fait la sourde oreille. Et en remplacement, elle a offert des mécanismes de financement assez souples avec la BEI. Ces instruments sont efficaces mais on les voit comme des palliatifs.

La BERD est venue à son tour pour proposer un supplément de financement. Tous ces financements sont bons à prendre. Mais ce ne sont pas de véritables accélérateurs de développement. Et la carence du continent est à ce niveau. L’instrument définitif, en se basant sur le groupe de la Banque mondiale, serait de répliquer sa filiale SFI (Société financière internationale).

En effet, la Société financière internationale (International finance Corporation, IFC) est la Banque mondiale du secteur privé. Une solution radicale aurait consisté, nous le pensons, à créer un Fonds des Fonds continental ou d’adjoindre à la BAD une réplique de la SFI.

L’UE aurait définitivement fait pièce au programme des “routes de la soie“ initié par la Chine. Car ne nous cachons pas la vérité, c’est seulement en empêchant la Chine de faire main basse sur l’Afrique que l’Europe y cultivera une position forte.

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*Les 12 pays sont : Algérie, Palestine, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Turquie, Tunisie, Albanie, Mauritanie (la Libye, pour sa part, a un statut d’observateur).