Les prix des logements ont quasiment doublé et se loger coûte de plus en plus cher en Tunisie, depuis la révolution, engendrant ainsi un tassement de la demande. 

Pour certains analystes, cette tendance nourrit le risque d’éclatement d’une bulle immobilière aux lourdes conséquences sur le pays, dans les prochaines années.

La spirale inflationniste a également touché les loyers qui se sont envolés, laissant la classe moyenne désemparée.

Cette classe est-elle condamnée à abandonner son rêve de devenir propriétaire de son logement ? Les promoteurs immobiliers en sont-ils responsables comme le pense une large frange de la société ? Les mesurettes décidées par l’Etat pourraient-elles régler la situation ?

Le désespoir grandissant des citoyens

Croisé à la sortie d’une agence immobilière, un couple de jeunes fonctionnaires touchant plus de 1000 dinars par mois chacun, voient leur rêve de dénicher un appartement, s’éloigner en raison d’une “offre très chère”.

“Quand des petits appartements (s+2) se vendent à plus de 200 mille dinars, on peut dire que le rêve du citoyen moyen d’acquérir son logement n’est plus accessible”, soupire la jeune femme.

“Nous nous sommes trouvés contraints de sacrifier le critère de proximité. J’espère que nous n’aurons pas à sacrifier d’autres critères où à être obligés d’opter pour la location”, commente amèrement son époux.

Un autre couple de fonctionnaires avec trois enfants, et gagnant mensuellement 3.800 dinars, a carrément été contraint d’abandonner l’idée de devenir propriétaire de son logement. Il a eu recours au programme “Premier logement” pour acheter un appartement de 200 mille dinars. Se trouvant obligé de payer 1.650 dinars par mois, il a jugé cette charge insupportable vu les autres charges de la vie.

L’autre expérience recueillie par la journaliste de la TAP, c’est celle d’un jeune couple ayant contracté un crédit bancaire pour acheter un logement. Suite à un retard accusé par le promoteur dans la livraison de l’appartement, qui a coïncidé avec une hausse du taux directeur de la BCT, induisant une importante augmentation dans le remboursement mensuel du crédit, ce couple s’est désisté, n’étant plus capable de supporter les coûts de l’emprunt.

La situation du marché des locations n’est pas non plus, meilleure. Sur l’un des sites spécialisés dans la location immobilière, une annonce propose à la location, un appartement S+2 dans le centre ville de Tunis. Une visite de l’appartement permet de découvrir son état très moyen, alors que la propriétaire annonce, sans hésitation, “un loyer mensuel de 980 dinars”.

“Ne pensez-vous pas que c’est un peu cher, Madame ?”. Réponse: “Pas du tout, vu son emplacement en plein centre-ville”.

Flambée des prix : Les promoteurs immobiliers rejettent toute responsabilité

Interrogé sur la possibilité pour la classe moyenne d’accéder à la propriété de son logement, le président de la Chambre syndicale nationale des promoteurs immobiliers (CSNPI), Fahmi Chaâbane, répond: “de quelle classe moyenne parlez-vous aujourd’hui ? Le pouvoir d’achat de cette classe, qui constituait, jadis, notre clientèle principale, s’est nettement dégradé depuis la révolution, au point qu’elle n’a plus aujourd’hui la capacité d’épargner ou d’envisager de grandes acquisitions”.

“Avant 2011, notre travail se basait sur une planification de la demande qui était forte. Aujourd’hui, cette demande fait défaut, en raison d’une forte augmentation des prix”.

Chaâbane considère, toutefois, que les promoteurs immobiliers n’y sont pour rien dans cette flambée des prix “due à un contexte général post-révolutionnaire marqué par la hausse vertigineuse des prix du foncier. On ne peut pas construire du social ou de l’économique sur du foncier acheté à 2.000 dinars/m2. Et c’est la raison pour laquelle plusieurs promoteurs favorisent aujourd’hui le standing, car il a toujours sa clientèle et il permet une certaine rentabilité”.

Chaâbane épingle aussi “l’entrée sur le marché de l’immobilier d’intrus et de spéculateurs favorisant les constructions commerciales ainsi que la rareté et la cherté des terrains constructibles, en raison de la détérioration du stock foncier de l’AFH surtout dans le Grand Tunis, Sousse et Sfax. Une situation exploitée par les particuliers ayant sensiblement, augmenté les prix des terrains à usage d’habitation”.

Autres raisons invoquées, “la montée des coûts de la main-d’œuvre et des matières premières (dépréciation du dinar et création de nouvelles taxes), outre les augmentations successives des prix des hydrocarbures et des tarifs de l’énergie pratiqués par la STEG”.

Et de critiquer aussi “les frais supplémentaires engendrés par les retards souvent accusés par les prestataires de services publics (Steg, Sonede, Onas, etc.), et ceux relatifs à l’obtention de certaines autorisations”.

Il fustige, encore, les hausses successives du taux directeur de la BCT qui sont à l’origine du renchérissement des crédits aussi bien pour le promoteur que pour les particuliers désireux d’acquérir un logement.

D’après une enquête réalisée, dernièrement, par l’IACE, “les problèmes financiers sont perçus par les ménages comme le plus grand obstacle devant toute décision d’achat de biens immobiliers, bien que 37% de ces ménages gagnent plus de 1.000 dinars par mois”.

Chaâbane critique l’absence d’une stratégie urbaine long-termiste sur les 50 ans à venir, qui puisse donner aux promoteurs suffisamment, de visibilité sur leurs projets d’avenir.

“Tous ces facteurs réunis sont à l’origine de l’augmentation vertigineuse des prix des biens immobiliers. Lesquels ont carrément doublé entre 2010 et 2019”

Les statistiques de l’INS confirment que le volume des échanges immobiliers s’est rétracté de 9,1% durant le 3ème trimestre de 2018 par rapport à la même période de 2017. La raison étant la baisse des ventes des appartements de 21,6%, des maisons de 8,1% et des terrains constructibles de 6,3%.

L’avenir de la promotion immobilière est sérieusement menacé, s’alarme Chaâbane. “En 2010, les promoteurs construisaient près de 16 mille logements par an, contre 8.500-9.000 logements en 2017. En 2018, on n’a pas dépassé les 8.000 logements, mais ce chiffre se rétractera davantage en 2019”.

Comme solutions, Chaâbane plaide “pour l’instauration d’un taux fixe de 5%, tous frais confondus, pour l’acquisition de logements, afin de protéger les citoyens contre la volatilité des taux”.

Il appelle les autorités à “supprimer les autorisations du gouverneur imposées à la vente de biens immobiliers aux étrangers. Cette suppression n’aura aucun impact sur les prix de l’immobilier appliqués aux Tunisiens”.

“Les algériens et les libyens sont déjà exonérés de toute autorisation, mais leur demande sur les biens immobiliers tunisiens demeure très faible. Il ne faut pas croire que les étrangers vont faire la queue pour acquérir des biens en Tunisie, car cela dépend aussi, du contexte général dans le pays”.

“Au Maroc, au Liban, aux Emirats, en Turquie, ces autorisations ont été supprimées depuis plusieurs années et cela a permis de dynamiser fortement le secteur de l’immobilier et, partant, toute l’économie. L’adage dit bien quand le bâtiment va, tout va”, conclut-il.

La machine de l’habitat, grippée depuis les années 2000

Pour le directeur général de l’Habitat au ministère de l’équipement, de l’habitat et de l’aménagement du territoire, Néjib Snoussi, “les mécanismes d’intervention mis en place au fil des années (SNIT, AFH, SPROLS, FOPROLOS, ARRU, Banque de l’habitat …), n’ont pas été évalués et révisés, au moment opportun. Pour cette raison, les problèmes ont commencé à surgir à partir des années 2000, avec notamment un manque en matière de logement social”.

“Ces problèmes ont été accentués par la crise financière mondiale liée au secteur de l’immobilier. Cette dernière a généré une montée des coûts des matières premières à l’échelle internationale, ce qui a fortement impacté le niveau des prix de l’immobilier”.

“Après 2011, le pays s’est trouvé dans une situation institutionnelle, législative et financière très difficile. Les municipalités ne jouaient plus aucun rôle dans la gestion de l’espace urbain, ce qui a ouvert la voie à la spéculation foncière. A cela s’ajoute, l’augmentation des coûts des matières premières et de la main d’œuvre”, précise-t-il encore.

La nouvelle stratégie de l’habitat, tributaire de la promulgation du nouveau code de l’urbanisme

Interrogé sur le rôle de l’Etat dans cette crise, Snoussi souligne que “le ministère de l’Equipement a engagé, en 2014, des études pour mettre en place une nouvelle stratégie de l’habitat. Ces études ont permis d’évaluer la situation et d’esquisser les contours d’une nouvelle stratégie en la matière. Celle-ci reste tributaire de la question foncière et de la promulgation du nouveau code de l’urbanisme qui n’a pas encore vu le jour”.

Il assure que “la stratégie pour la prochaine décennie pourrait entrer en vigueur dans quelques mois. Cette stratégie touche à toutes les composantes de la gestion urbaine et foncière. Elle prévoit également, la révision du rôle de l’AFH et l’optimisation des mécanismes de financement de l’habitat”.

“Nous avons surtout, lancé le programme du premier logement qui constitue une solution provisoire visant à faciliter l’accès à la propriété, pour la classe moyenne. La formule initiale de ce programme n’a pas connu un grand succès. Elle a été révisée en janvier 2019, pour élargir la base des catégories concernées et assouplir les conditions de remboursement du crédit relatif à l’autofinancement”.

“Au 31 janvier 2018, 770 logements ont été financés à travers ce programme, mais on s’attend à ce que les nouvelles facilités puissent lui donner un nouveau souffle”.

S’agissant du marché des locations qui ne semble obéir à aucun critère clair, le responsable indique que la stratégie évoquée prévoit également, d’établir le diagnostic du parc locatif, reposant en grande partie sur l’offre des particuliers.

L’orientation du ministère consiste à réorganiser l’offre destinée à la location, à étudier les possibilités d’encourager les promoteurs à produire du logement destiné à la location, tout en instaurant les critères, les conditions et les garde-fous nécessaires.

Les propos du responsable se veulent rassurants, reste que souvent, en Tunisie, les beaux discours ne débouchent sur rien de concret.