L’allocution de Rached Ghannouchi samedi 17 novembre 2018 devant le groupe parlementaire du mouvement Ennahdha à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), à l’occasion de l’élection de son président, devait être une question purement interne. Elle est devenue une affaire nationale parce que le président du parti islamiste a dérapé. Se laissant emporter par son élan triomphaliste, M. Ghannouchi a accusé de corruption certains ministres sortants –ils sont au nombre de sept (Ghazi Jeribi, Riadh Mouakhar, Mabrouk Korchid, Radhouane Ayara, Mohamed Salah Arfaoui, Faouzi Abderrahmane et Majdouline Cherni). Ce qui lui a valu les réactions indignées des concernés et l’annonce par certains d’entre eux qu’ils vont porter plainte contre le président d’Ennahdha.

Le premier à avoir déclaré son intention de croiser avec Rached Ghannouchi devant les tribunaux est l’ancien ministre de la Justice, Ghazi Jeribi. Dans une déclaration à Mosaïque FM, il a annoncé le 19 novembre 2018 avoir chargé un avocat de déposer une plainte contre Rached Ghannouchi qui doit, selon lui, dévoiler la liste des “ministres corrompus” et fournir des preuves pour appuyer ses allégations.

Ceux des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières et de la Jeunesse et des Sports ont ensuite emboîté le pas à l’ancien ministre de la Justice.

Suite à ces réactions, le mouvement Ennahdha publie le jour même, le 19 novembre, un communiqué dans lequel il réaffirme que son leader «n’accuse personne de corruption et parle seulement du critère adopté dans l’évaluation des candidatures et des performances en coordination avec le chef du gouvernement qui a choisi son équipe de sa pleine volonté, ce qui fait de lui le responsable de ses résultats en premier et dernier ressort».

Le communiqué «regrette» aussi que «certains se soient précipités pour faire dire aux propos (de Rached Ghannouchi, ndlr) plus qu’ils ne pouvaient supporter, d’autant qu’il ne voulait porter atteinte ni directement ni indirectement aux ministres sortants, dont le frère Imed Hammami, leader de premier plan au sein du mouvement».

Enfin, Ennahdha réitère son «respect pour les ministres sortants et leur souhaite plein succès dans les domaines professionnel et politique».

Pourtant, au-delà de ce démenti, l’attitude du mouvement Ennahdha et de son président dit autre chose : les deux ont retiré de leurs pages Facebook respectives l’enregistrement du discours du leader du parti islamiste à l’origine de la tempête politico-médiatique. Et c’est bien compréhensible, puisqu’on y trouve un cinglant démenti du démenti publié par le parti islamiste.

En effet, M. Ghannouchi a bel et bien accusé les ministres sortants de corruption. Certes, la première partie du passage de son discours n’est pas très explicite à ce sujet. Il y dit seulement que «nous nous sommes limités (à l’occasion du remaniement ministériel, ndlr) à opposer des vétos contre certaines personnes que nous ne croyons pas bons dans leurs postes. Notre plus grand acquis a donc été de lutter contre ce que nous croyons être de la corruption».

Les propos du leader du parti islamiste deviennent ensuite plus directs et explicites puisqu’il parle des «éléments corrompus et incompétents au gouvernement, auxquels nous avons opposé des vétos et dont la plupart ont été limogés». On ne limoge pas un candidat à un poste ministériel mais quelqu’un qui l’occupe déjà.

Le communiqué d’Ennahdha n’ayant permis d’éteindre l’incendie provoqué par les propos de Rached Ghannouchi, le porte-parole du mouvement, Imed Khemiri, et son président lui-même vont monter au créneau mardi 20 novembre 2018 pour essayer de clore le dossier.

Dans le droit fil de la ligne de défense tracée par le communiqué du parti, M. Khemiri clame haut et fort, sur la chaîne Al Hiwar Ettounsi, qu’Ennahdha «n’a de problème avec aucun des ministres sortants et les respecte tous» et que les propos du président d’Ennahdha visaient les candidats à l’entrée au gouvernement. Cependant, ce n’est pas exactement ce que va dire M. Ghannouchi le même jour.

En effet, le président d’Ennahdha va, dans un communiqué publié le même jour, faire ce qu’il n’a pas osé ou voulu faire dans un premier temps, préférant laisser son parti prendre sa défense : présenter des excuses aux ministres sortants, mais sans aller jusqu’à admettre qu’il les a effectivement accusés de corruption, puisqu’il fait seulement référence à «quelque chose» dans son allocution du 17 novembre «dont on a compris que des soupçons de corruption pèsent sur les ministres sortants».

Cela suffira-t-il à calmer les ministres concernés et à renoncer à porter plainte ? Wait and see.