Honteuses ! C’est le moins que l’on puisse dire des positions mitigées de l’ARP (députés) quant à la grève générale de la fonction publique décidée par l’UGTT ce jeudi 22 novembre. La première du genre dans la Tunisie post indépendance conséquence de l’échec des négociations pour les augmentations salariales.

Honteuses non pas concernant cette décision prise in extremis par l’UGTT suite aux déboires des négociations pour de nouvelles augmentations salariales dans le secteur public mais parce que les députés qui sont l’une des causes essentielles de la dégradation de la situation socioéconomique du pays en raison de leurs incapacités à trancher s’agissant d’affaires hautement importantes pour le pays sont devenus une grande partie du problème et non des porteurs de solutions. Après avoir soutenu en masse le Chef du Gouvernement dans sa dernière composition gouvernementale, ils n’ont pas osé prendre des positions claires allant dans le sens d’un soutien inconditionnel à un gouvernement qu’ils viennent de voter. La plupart d’entre eux ont adopté la posture « entre les deux mon cœur balance », ce qui se traduit par nous comprenons les contraintes que subit le gouvernement et les engagements auxquels il doit faire face mais nous sommes conscients également de la dégringolade du pouvoir d’achat et nous comprenons la posture de l’UGTT. La parfaite position de l’autruche.

Cette grève survient alors que le gouvernement Chahed subit de fortes pressions de la part du FMI à cause d’une croissance inadmissible de la masse salariale due à des augmentations successives des salaires mais ce que l’on ne veut pas dire c’est que c’est aussi à cause d’une injection intolérable des amnistiés nahdhaouis et autres dans la fonction publique avec effet rétroactif tant pour ce qui est des promotions et des salaires, que des postes, des indemnités et des retraites. Des décisions prises depuis 2011 et qui ont pesé lourd sur le budget de l’Etat.

Un pouvoir d’achat qui dégringole

Les augmentations salariales consécutives n’ont pas réussi à pallier à la baisse du pouvoir d’achat des Tunisiens face à une inflation galopante et à l’incapacité de l’Etat de juguler le phénomène spéculatif et de maîtriser la cherté de la vie qui a baissé de 40% et dont les principales victimes sont les fonctionnaires des administrations publiques, parents pauvres s’agissant du niveau de rémunération.

Qui est le responsable de cette dégringolade ? Tout le monde et particulièrement l’ARP estime le parti Al Massar. Pour Hafedh Al Halouani, membre du bureau exécutif de ce parti certes non représenté à l’ARP mais figurant parmi les partis opposants les plus anciens, ceux qui n’ont jamais cédé à la logique des allégeances, les trois présidences sont responsables du pourrissement de la situation politique et socioéconomique du pays.

« Depuis Carthage à l’ARP et passant par la Kasbah tous doivent assumer leurs responsabilités et principalement les députés qui détiennent pratiquement le pouvoir absolu dans un régime parlementaire inédit de par le monde. Ces députés qui ont fait que le parlement ne fonctionne plus en tant qu’institution de législation ou de véritable contrôle du gouvernement, à quelques exceptions près, mais qui sont en train d’agir comme s’ils étaient au service de différentes mafias politiques ou partisanes. C’est comme s’ils se sont positionnés dans le rôle de récompenser l’effritement et la fragilisation de l’Etat. Ils expriment dans leur grande majorité une méconnaissance de l’échiquier politique et une ignorance totale de la complexité économique dans un pays traversant des crises qui se suivent ». Députés qui n’ont même pas osé faire des déclarations aux journalistes à propos de la grève d’aujourd’hui et je cite nombre des parlementaires de la coalition nationale de peur des représailles du gouvernement ou de l’UGTT.

Une assemblée gangrenée par des partis affairistes

Pour Hassine Dimassi, universitaire, économiste et ancien ministre des Finances rien d’étonnant de voir une assemblée gangrenée par des partis qui sont plus dans les affaires et les combines que dans la défense des intérêts de l’Etat d’agir de la sorte : « Ces partis veulent brasser large et ont confirmé leur appétit du pouvoir et leur opportunisme. La preuve en est la coalition ainsi que les électrons libres qui n’étaient rien et qui ont rejoint d’autres partis pour se positionner. Nous l’avons dit, nous le dirons et redirons : les députés et leurs partis n’ont ni idées, ni projets et ni visions, quoi de plus normal de se réfugier dans les fausses allégeances, les compromissions et le populisme. Pourquoi ils ne se prononcent pas clairement contre la grève décrétée par l’UGTT et bien simplement parce qu’ils lorgnent déjà du côté des élections de 2019 et dans leur incapacité de gérer les affaires du pays, ils n’ont d’autre refuge que le populisme et les actes de sujétion aux plus forts ».

S’exprimant sur la chaîne Nessma, Noureddine Tabboubi,secrétaire général de l’UGTT a estimé que ses relations avec le gouvernement sont l’expression même de l’échec et a rejeté toute idée ou proposition allant dans le sens de privatiser ou opérer des sessions des entreprises publiques.

Le gouvernement pour sa part estime qu’il est dans l’impuissance de satisfaire aux exigences de la centrale syndicale en citant les montants faramineux consacrés aux salaires dans le budget de l’Etat.

Ainsi, les fonctionnaires de catégorie A1 ont vu leurs nombre doubler entre 2015 et 2018 grâce aux promotions et au passage de grades pour atteindre le nombre de 192 500 alors qu’ils étaient 92 356 en 2015 ce qui a eu pour conséquence une moyenne de salaire brut de 1823 Dt en 2018 alors qu’elle était de 1389 Dt en 2015.

Il est pratiquement impossible au gouvernement dans l’état actuel des choses de répondre aux exigences de l’UGTT, car ce que coûterait l’accord de 2015 conclu avec l’ancien Chef du gouvernement Habib Essid est une nouvelle croissance de la masse salariale de l’ordre de 11% soit 18350 MD ce qui revient à 16% du PIB. Les augmentations dans la fonction publique se situeront entre 10 à 21% ce qui veut dire que 70 % des revenus de l’Etat en impôts ira nourrir la masse salariale et que de chaque dinar rentrant dans les caisses de l’Etat, 700 millimes iront vers les salaires et 300 millimes seulement seront consacrés à l’éducation nationale, la santé, les familles démunies, l’emploi, les infrastructures, la compensation et le remboursement des dettes.

Est-ce à dire que les impôts sont les seules revenus de l’Etat tunisien ? Et les exportations tous secteurs confondus ? Pourquoi l’Etat est-il incapable à ce jour à rétablir les niveaux d’exportation du phosphate ? Pourquoi est-il incapable de relancer le secteur d’exploitation des hydrocarbures ? Pourquoi est-il incapable d’imposer la logique de la productivité pour plus de croissance ? Pourquoi laisse-t-il des ministres abuser de leur pouvoir et accorder des promotions à la pelle à leurs amis et alliés ? Pourquoi ne réussit-il pas à contrôler les prix pour que les Tunisiens qui s’appauvrissent de plus en plus puissent nourrir leurs familles ? Pourquoi ne prend-il pas des décisions définitives concernant l’économie parallèle où on ne paie pas d’impôt et où on s’enrichit à vue d’œil ?

Noureddine Tabboubi a déclaré qu’il ne veut aucunement fragiliser le pays et que l’UGTT est une organisation patriote, pourquoi dans ce cas, toutes les réunions tenues avec les représentants n’ont pas réussi ? La Tunisie est-elle dans une posture de faillite d’idées et de portes de sorties ?

Beaucoup d’économistes prétendent que pour trouver des solutions encore faut-il que le gouvernement ne soit pas autiste et qu’il soit prêt à entendre non pas la voix de ceux qui règnent en maîtres à la Kasbah mais celle de ceux qui connaissent à la perfection la mécanique de l’Etat et sont rôdés dans la gestion des pays en crise et ceux dont les transitions économiques sont difficiles.

L’autisme frappe une frange de la classe politique tunisienne, l’opportunisme et la vénalité et la bêtise l’autre.

Où et vers où mèneront-ils la Tunisie ?

God bless Tunisia!

Amel Belhadj Ali