Aller vers un “Marrakech Bis“, plaide Taïeb Baccouche, le secrétaire général de l’UMA, avec conviction. L’idée est louable de faire dialoguer les pays de la région. Cependant, le projet maghrébin reste à définir.

Le SG de l’UMA, Taïeb Baccouche a participé au sommet des cinq gouverneurs des Banques centrales des pays du Maghreb. Que peut faire un diplomate à une réunion de banquiers centraux ? Il apporte un désir d’avenir. Ce sentiment est partagé par tous. C’est une affaire de cœur que tous portent à cœur, mais dont ils n’arrivent pas à en faire leur centre d’intérêt. Voilà un obstacle majeur. Comment dès lors le dépasser ?

Chacun pour soi, le Maghreb pour tous ?

Lors d’un aparté, Taïeb Baccouche nous informe qu’il a donné le strike en vue d’un “Marrakech Bis“. Il nous a assuré qu’il a adressé une correspondance à Mohammed VI, l’assurant que les quatre autres chefs d’Etat sont disposés à retourner à Marrakech.

Rappelons que c’est en 1995 à Marrakech qu’est né le projet de l’UMA. Et depuis, plus rien. Le projet est resté figé, en l’état. Et de ce fait, il a quasiment gelé toutes les tentatives d’amélioration des échanges économiques.

Divers Think tank ont tiré la sonnette d’alarme. Le non-Maghreb prive chacun des pays de 2 points de croissance, disent-ils. C’est un manque à gagner en matière d’emploi, d’investissement et de performance économique, pour les pays de la région. Et même si l’hypothèse reste à vérifier, elle n’en est pas moins plausible. On voit donc Taïeb Baccouche verser dans un acharnement diplomatique, à l’effet de ranimer ce projet fantôme. Il y croit, ferme. C’est normal, il est dans son rôle.

Avec enthousiasme, il s’empresse à mettre ensemble les cinq chefs d’Etat. Et l’adresse de Mohammed VI au président algérien, l’invitant à renouer le dialogue abonde dans ce sens. Le contexte général se prête bien à un “Marrakech Bis“.

Nous ne cherchons pas à savoir si elle est la conséquence de l’initiative de Taïeb Baccouche -c’est pour nous un point de détail-, nous retenons toutefois qu’elle abonde dans le même sens. Mais il reste un mystère à élucider.

Quand les chefs d’Etat se mettraient ensemble, pour fumer le calumet de la paix et enterrer la hache de guerre, est-ce qu’on passerait ensuite au dépoussiérage du projet ? Cependant, le contenu du projet reste énigmatique. Il y a un vague désir d’être ensemble. Et on a pu le vérifier le samedi 17 novembre à la clôture du Sommet des gouverneurs des Banques centrales des pays du Maghreb. Mais la consigne est qu’on continuerait à travailler chacun pour soi. Alors, quid du Maghreb pour tous ?

Le Maghreb à trois puis à cinq : le couscous et le burnous

Si on remonte aux origines, on trouve que le sentiment de Maghreb était un élan de rapprochement et non d’union. C’était une initiative des “compagnons de libération“. Les chefs historiques du Maghreb central, une fois la Tunisie et le Maroc indépendants et celle d’Algérie en cours, avaient émis le vœu de faire front. C’était en 1959, lors d’un sommet à Tanger.

C’était une belle idée au sortir des mouvements de libération autour de la croyance que l’union fait la force. Face aux défis du développement de l’époque, cela convenait à tous. Alors, les Tunisiens avaient proposé de créer un consortium du phosphate entre la Tunisie et le Maroc.

D’une certaine façon, l’Union européenne est née de la CECA, c’est-à-dire la Communauté européenne du charbon et de l’acier. L’offre était repoussée net par le Maroc. Le projet s’en est trouvé mort-né.

En réalité, les nationalismes forgés lors des guerres de libération n’ont pas pu être transcendés et ont imposé le cloisonnement des trois pays. On a pensé qu’en élargissant le projet à la Mauritanie et à la Libye, le projet se donnerait plus de punch. L’idée ne passait pas parce que le Maghreb central avait une communauté de destin. On la représentait dans la formule magique “Le Maghreb s’arrête là où finit le couscous“.

Voulant transcender le déterminisme géographique et culinaire, les adeptes de l’UMA ont rétorqué, comme le rappelait avec humour Taïeb Baccouche, ce sera le couscous et le burnous. Et ça ne passe toujours pas.

Faisons le décompte. La Libye pense qu’elle est dans la situation de la mariée trop belle et que tout le monde la courtise pour ses ressources. La Tunisie est en mal de masse critique. L’Algérie a toujours eu l’ambition d’être le champion continental. Le Maroc se sent dans la posture de la Prusse et ne veut composer avec personne et a trouvé sa voie avec l’Afrique de l’Ouest. La Mauritanie s’accommode de l’attelage, sans grand enthousiasme.

Comment dès lors donner corps et vie au projet de l’UMA ? La question a irrité Taïeb Baccouche. On le comprend, elle heurte ses convictions. Mais en dehors de la question des susceptibilités, comment prouver la faisabilité du projet UMA ?

Le slogan de Benjamin Franklin : “Join or die“

Taïeb Baccouche se lance corps et âme dans cette vaste entreprise de réconciliation des chefs d’Etat de l’UMA. Mais la pacification des relations tout en favorisant la concertation n’ouvre pas pour autant la voie à l’intégration maghrébine de manière automatique. En son temps, Benjamin Franklin, dans sa tentative de fédérer les treize Etats de l’Amérique, était ferme et catégorique en lançant “Join or die“.

Taïeb Baccouche sera-t-il le Benjamin Franklin de l’UMA et saura-t-il atténuer les nationalismes économiques ? Les pays du Maghreb voient la région comme un terrain de jeu, un laboratoire d’idées mais pas comme un socle commun vital. La preuve est que les sentiments concurrents sont dominants.

Comment voir autrement l’âpre compétition entre les projets domestiques ? Comment voir la compétition entre Parc El Ghazal et Cas Near Shore ? Les Maghrébins, de notre point de vue, ont eu les yeux plus gros que le ventre. Ils ont laissé entendre qu’ils iraient vers l’union et l’intégration. Et ils rappellent tous, comme tout dernièrement au Sommet des banquiers centraux, qu’il s’agit d’un idéal. On ne sait s’ils usent de candeur ou de perfidie, mais un idéal est difficile à atteindre.

Pour avoir les pieds sur terre ne vaut-il pas renoncer à l’idéal et aller vers le souhaitable et le possible. Au lieu de l’UMA, ne faut-il pas une “Organisation Maghrébine“? Des projets à notre taille peuvent être mis sur pied, dans cette perspective. C’est, du moins le pensons-nous, le cas d’un Maghreb de l’énergie, d’une politique agricole commune, d’une unité de compte monétaire commune ? La convergence plutôt que l’intégration.

L’urgence est de se réunir, c’est entendu. Mais en se réunissant il faut se rencontrer. Y a-t-il communauté d’intérêt ? Personne à ce jour n’en a apporté la démonstration. Pire que tout, les institutions internationales noient encore la question dans un espace plus large, à savoir la région MENA. Faut-il que l’UMA continue son expansion géographique pour reporter indéfiniment son refus de décider des résolutions concrètes clairement définies et démocratiquement validées ?

Marrakech Bis, s’il devait se tenir, déciderait-il du tracé définitif. Et répondrait-il à la double question lancinante : irons-nous vers la convergence ou l’intégration et à quel rythme ?