«T’a bien parlé des femmes» ! C’est ainsi que s’est adressée une journaliste tunisienne au président français, Emmanuel Macron, lors du 17ème sommet de la Francophonie à Erevan, avec une familiarité outrancière frôlant l’irrespect, ce qui a soulevé un tollé chez la classe éclairée de la Tunisie.

Une classe -du moins les plus de 40 ans- généralement parfaitement bilingue choquée de voir le niveau très approximatif de la maîtrise des langues des représentants des médias ! Ils ne sont pas beaucoup en effet à bien écrire et parler l’arabe, le français et l’anglais.

Les gens demandent la critique, mais ils veulent seulement l’éloge, assure W. Somerset Maugham, un romancier britannique. Les temps sont venus pour nous autres de nous remettre en question et nous remettre en cause sans complexes et sans hésitation, car l’exemple cité plus haut n’est que la toute petite, toute petite partie visible de l’iceberg d’une Tunisie évoluant dans un océan de médiocrités.

Les journalistes reflètent à des degrés divers cette médiocrité. Il y en a des bons, d’autres moyens ou très moyens, et beaucoup ne sont dotés d’aucune culture. Par contre, ils sont d’une arrogance, d’un aplomb et d’une effronterie incroyables, vices qui caractérisent généralement les ignorants et les populistes devenus aujourd’hui les maîtres d’une société en pleine débandade morale, culturelle, intellectuelle et professionnelle.

Les chaînes de télévision en sont le parfait exemple, et le dernier en date, celui d’une Mariem Ben Mami qui provoque en direct un homme marié pour le pousser à la faute, testant sur lui son pouvoir de séduction et le ridiculisant devant des centaines de milliers de téléspectateurs, ne respectant ni ses enfants ni sa femme et sa famille, en est le parfait exemple. Une scène d’une grande vulgarité qui a suscité une grande indignation auprès des Tunisiens respectable.

A qui la faute ?

Pour le cas de la représentante d’un média prestigieux qui a parlé de manière aussi familière au président français, n’allons surtout pas rejeter toute la responsabilité sur elle ou sur les journalistes de manière générale, la responsabilité incombe en premier aux services de communication de la présidence qui doivent faire le choix des médias en prenant en compte leurs formations, les particularités des manifestations internationales, leurs thèmes et les langues pratiquées dans les pays auxquels le président se rend.

Depuis 2011, les journalistes faisant partie des délégations officielles sont malheureusement sélectionnés non pas par rapport à leurs compétences -et nombreux en ont-, mais par affinité. Brahim Oueslati, journaliste chevronné, a commenté ainsi la scène d’Erevan: «La liste des journalistes devant accompagner le président de la République ou le chef du gouvernement est parfois préparée en dehors de Carthage et de La Kasbah. Parmi ceux qui sont actuellement à Erevan, certains pourraient être qualifiés d’analphabètes bilingues».

La pseudo-révolution a-t-elle mis fin au népotisme ?

Le népotisme à cause duquel il y a eu soulèvement reste maître des lieux et partout ! Ce sont les mêmes qui font toujours partie des déplacements à l’étranger des deux «chefs» de la Tunisie. La presse écrite et électronique reste souvent, à part les quelques amis «proches des deux pouvoirs», le parent pauvre.

Mais pire que tout, c’est la nouvelle mentalité encourageant l’ignorance, le populisme à outrance, la médiocrité et les lacunes chez ceux et celles-là mêmes qui doivent les combattre qui est la plus révoltante. Ainsi en est-il des réactions malveillantes de certains représentants des médias envers leurs collègues, gratuites et injustifiées.

Souraya Ben Mostapha, journaliste qui a préféré carrément fuir le métier à cause de l’hostilité de ses homologues témoigne : «Amel, je suis devenue la cible à abattre des médiocres. On me taxe de tout “petite bourgeoise“, “petite intello“, “élitiste et bien entendu “houthela francophonia“. A la conférence d’Hillary Clinton quelques mois après le 14 janvier, nous n’avions droit qu’à très peu de questions, à se partager en plus entre médias nationaux et étrangers. J’ai eu droit à la première question et par la même occasion à une pluie d’insultes de la part de mes confrères tunisiens. La personne chargée de modérer la conférence de presse a eu aussi droit à toutes sortes d’insultes et d’accusations ridicules. Ce n’est plus possible de travailler aujourd’hui. On reste journaliste à vie. Je reprendrai du service sous des jours meilleurs».

Elle ajoute : «Dans le monde entier, il y a des journalistes accrédités pour couvrir les activités du président, du PM, du MAE et de tous les membres du gouvernement. Ils connaissent leurs dossiers, le dress code, comment s’adresser aux officiels, comment poser leurs questions… En Tunisie le populisme a tout tué. J’ai jeté l’éponge».

Dans les médias, plus on est effronté et impoli plus on a du succès auprès des organes de presse !

Il faut dire que cette brillante journaliste en a bavé et ce qu’elle a vécu en 2011 comme pratiques reflétant le manque de savoir-vivre, l’inculture et l’impolitesse n’a fait que se confirmer depuis. Et ce en l’absence d’un bon encadrement, de formations et surtout d’autorité, le moins que nous puissions dire, morale de la part des seniors eux-mêmes dépassés par l’invasion de jeunes dans l’univers des médias et dont beaucoup n’ont pas été formés pour et qui estiment que plus ils sont effrontés, plus ils ont du succès. Ils ont raison, les médias audiovisuels leur ont donné tout le crédit dont ils avaient besoin dans leur course à l’audimat.

La médiocratie est donc devenue structurelle ! La HAICA ne s’en soucie guerre, elle est satisfaite de son exercice et ses syndicats ! Syndicat ! Ce mot magique dans la Tunisie post-révolutionnaire qui ouvre toutes les portes, balise toutes les difficultés, gomme toutes les médiocrités et efface tous les dépassements ! Dans la nouvelle Tunisie, être un haut cadre, un cadre moyen ou un patron est la pire des malédictions. Vos employés ou vos collaborateurs vous ont à tous les coups, même s’ils sont les pires des criminels, s’ils font des grèves de zèle et n’obéissent pas aux instructions ! Les syndicats les protégeront contre vents et marées ! Quoi de plus normal, si vous voulez détruire une institution, créez un syndicat et faites y la loi, c’est comme «iftah y a semsem», personne ne peut se mettre au travers de vos choix, de votre tyrannie et même de votre clientélisme et corruption ! Vous aurez toujours un représentant syndical pour les justifier !

Un dernier acte malfaisant toujours raconté par Soraya Ben Mostapha et qui a été un parmi des milliers d’autres à avoir sonné le glas des bonnes manières et de la politesse tunisienne dont on faisant l’éloge:

«Janvier ou février 2011, au palais de Carthage, Foued Mbazaa recevait la présidente suisse. Dans le salon bleu (où on attendait la présidente pour une déclaration après l’entretien), un journaliste a tiré vers lui la table basse, sorti un sandwich kafteji et a commencé à manger tranquillement. Je croyais halluciner. J’ai essayé d’intervenir auprès du collègue en question (que je ne connaissais pas et n’avais jamais vu ni à Carthage, ni à La Kasbah, ni au MAE), il m’a envoyé sur les roses. J’ai demandé au responsable du protocole d’agir en expliquant que la petite salle sentait fort le “kafteji“. J’étais catastrophée. Il était abattu. Il m’a expliqué que les choses avaient beaucoup changé et qu’il se ferait malmener par les journalistes s’il intervenait. Le gars a fini tranquillement son sandwich, ses olives et son “felfel barr laabid“ et s’est à peine essuyé les mains. J’ai ouvert la fenêtre pour aérer, personne n’osait intervenir. J’avais honte !  L’été 2011, à La Kasbah, un autre officiel était l’invité du Premier ministre. Nous attendions dans la salle de conférence, un journaliste se ramène en claquettes et “mdhalla“. Oui, au Premier ministère ! J’ai compris, alors, que c’était le début de la fin».

Ce que nous vivons aujourd’hui en est la parfaite illustration.

La culture, le civisme, l’éducation de qualité, l’administration performante, la maîtrise des langues : tout cela n’était que du verni, car dans notre pays :

– la médiocrité est devenue la règle, la compétence l’exception ;

– la corruption est devenue la règle, l’intégrité l’exception ;

– la sauvagerie, l’impolitesse, la brutalité sont devenues la règle, le civisme l’exception ;

– la paresse est devenue la règle avec les encouragements des syndicats, le travail bien fait, l’exception ;

– la traîtrise est devenue la règle, la loyauté l’exception.

Mais tout cela nous est arrivé à cause de notre lâcheté, de nos peurs et de notre incapacité à stigmatiser les comportements incorrects, discourtois, grossiers, paresseux, intéressés et non civilisés.

Et c’est parce que le responsable du protocole de la présidence a été lâche en 2011 et beaucoup avaient, comme lui, peur des représailles des nouveaux occupants de la scène publique et médiatique, que la Tunisie souffre aujourd’hui dans sa chair de l’invasion des barbares dans toutes ses institutions de la plus prestigieuse à la plus insignifiante.

Amel Belhadj Ali