Selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2012, les emplois sont la pierre angulaire du développement de pays, tel que le nôtre et «ont un impact bien au-delà des revenus qu’ils procurent. Ils sont essentiels à la réduction de la pauvreté, au fonctionnement des villes et à l’ouverture aux jeunes de perspectives autres que la violence».

C’est en résumé ce que s’attelle à faire Faouzi Abderrahmane, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle dans une phase, le moins qu’on puisse dire, cruciale pour notre pays tant le contexte sociopolitique figure parmi les plus difficile depuis l’indépendance de la Tunisie.

Que peut faire un ministre engagé, ferme et volontaire débarquant du secteur privé et élu d’un parti libéral pour repenser la question du chômage dans notre pays, redonner de l’espoir à des jeunes chômeurs –désillusionnés- et de la valeur au travail qui a perdu son sens ?

Pour Faouzi Abderrahmane, quand on approfondit notre connaissance de l’économie et des mutations qu’elle traverse dont la troisième révolution industrielle, quand nous placerons l’homme au cœur de tout développement, nous serons à même de mettre en place des plans d’action pour se battre contre tous les maux, et en premier le chômage.

Entretien 

Nous vivons dans une phase charnière de l’histoire de l’humanité. C’est la première fois qu’il y a une conjonction des technologies pour dessiner un monde nouveau. Les technologies qui sont en train de converger sont, en premier, l’informatique, l’intelligence artificielle, les sciences cognitives qui englobent l’intelligence artificielle, mais il y a aussi les nanotechnologies et la biologie. Cette conjonction est en train de créer des capacités nouvelles pour l’homme du 21ème siècle. Elle est en train d’influencer les activités de l’homme.

La finance est également en train de changer, le management, les sciences et l’organisation de l’industrie changent, l’industrie est en train de changer.

Aujourd’hui, nous parlons de l’industrie 4.0, de développement de nouvelles industries liées à la 3ème Révolution industrielle incluant la robotique et l’informatique. C’est une industrie qui ne se base plus sur l’effet de masse mais sur une jonction avec la big-data. On produit en usant des technologies nouvelles, de l’intelligence artificielle et de la big-data pour créer des produits innovants qui s’adressent à des pans de consommateur identifiés a priori.

WMC: Quelle est la place d’un pays tel que la Tunisie dans ce monde où tout a été défait et qu’on est en train de refaire ?

Faouzi Abderrahmane : De par le monde, toutes les rivalités tournent autour de l’intelligence artificielle. A titre d’exemple : la France veut être le pôle mondial de cette intelligence, mais la Russie aussi. Le monde est en train de changer.

Le bloc asiatique avec la Chine en tête révolutionne le monde de la finance grâce à un savoir-faire impressionnant en matière de High Tech.

Nous nous attendons à la disparition des unités de régulation, quelles qu’elles soient et dans tous les métiers. Nous allons vers des systèmes nouveaux dans d’organisation des entreprises. Mais nous où nous situons-nous par rapport à toutes ces évolutions et ces révolutions ? Sommes-nous conscients de ces grands bouleversements à l’échelle planétaires ?

Tout d’abord, sommes-nous conscients de ces changements ? Je réponds que oui. Nos jeunes le sont mais pas les adultes et pas les politiques. Et si nous sommes conscients de tout cela, devons-nous nous frayer une place dans ce monde en mutation continuelle ? La réponse est oui, sauf que si nous le voulons vraiment, il faut engager des discussions entre nous : quelle place voulons-nous occuper ?

Il faut identifier cette place dans l’échelle de valeur mise en place par ce nouveau monde et il faut bien arracher un rang important, et je ne parle pas du 10ème ou 8ème rang, de la première ou deuxième place à l’international. Nous avons un petit pays avec 12 millions d’habitants qui abonde en compétences, tout est possible mais il faut choisir : être premiers ou non.

Ce que vous dites fait rêver mais comment comptez-vous y parvenir ?

C’est simple, il faut commencer par croire en notre capacité à figurer parmi les grands de ce monde dans certains secteurs, principalement ceux en relation avec l’intelligence humaine.

Pour ce, il faut une véritable politique pour aligner tout le dispositif des ressources humaines que nous possédons, toute notre organisation, toute notre éducation, toute notre formation, sur ces objectifs principaux et pour être au diapason de ce changement spectaculaire du monde. C’est indispensable.

Il est important d’avoir une politique industrielle de production. Notre PIB aujourd’hui est un PIB de négoce et pas de production industrielle, donc il faut transformer notre PIB en PIB de production industrielle. Il faut produire, parce que nous ne produisons pas assez. Et pourquoi nous ne produisons pas assez ? C’est parce que nous ne savons pas quelle direction prendre.

Nous sommes sans vision et nous nous suffisons du peu de textile, du peu d’agriculture, du phosphate, du peu de tourisme

Nous sommes sans vision et nous nous suffisons du peu de textile, du peu d’agriculture, du phosphate, du peu de tourisme, du peu de services et du peu de composants automobile ou aéronautique, mais nous n’avons pas mis en place une véritable activité économique basée sur la production industrielle.

Nous pourrions peut-être focaliser sur la production des composants automobiles qui pourraient être un excellent vecteur pour nous. Si nous ciblons 30 ou 40% du marché mondial de l’automobile, nous pourrons y réussir. Mais à condition de le vouloir et de mettre les moyens pour assurer notre succès.

Vous le pensez vraiment avec la valeur travail en voie de disparition, une absence de discipline et une productivité en baisse ?

La réponse est oui. Mais cela nécessite une refonte de notre éducation et de notre appareil de formation. Le problème est conjoncturel. Et même si nous n’arrêtons pas de dire que la valeur travail a baissé, je crois qu’à partir du moment où on met le Tunisien dans un environnement de production sain, la productivité augmente.

Je peux vous donner plusieurs exemples où nos compatriotes sont dans les normes de productivité internationales, parce qu’on les a mis dans un environnement favorable qui les incite à performer.

Il faut apprendre à valoriser le travail fourni par les travailleurs et leur offrir des perspectives d’évolution.

Il faut apprendre à valoriser le travail fourni par les travailleurs et leur offrir des perspectives d’évolution. Il est important de les rendre conscients de leur importance dans la chaîne de production. Si nous les mettons dans une ambiance qui favorise la productivité, on ne peut qu’être satisfaits.

Je peux en parler en connaissance de cause, parmi ceux qui vous disent que les Tunisiens ne veulent pas travailler, beaucoup ne comprennent pas que c’est parce qu’on ne leur offre pas de meilleurs horizons dans leur carrière professionnelle.

Les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus les jeunes des années 70 qui sont dans l’obéissance et la discipline aveugle.

L’approche socioculturelle est également absente. Les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus les jeunes des années 70 qui sont dans l’obéissance et la discipline aveugle. Le problème se situe au niveau de nos comportements avec nos employés et l’absence de motivation. Je travaillais auparavant dans le secteur privé, nos ingénieurs sont de loin plus performants que ceux des pays d’Europe.

Est-ce que Dieu a fait du Tunisien un cancre ? Non, pas du tout. Mais nos salaires sont trop bas, les gens n’arrivent plus à vivre convenablement. Nous payons le minimum requis, donc nous avons un problème de productivité, l’un ne justifie pas l’autre bien entendu, mais c’est notre réalité. Certains disent : “la productivité baisse à cause des salaires bas“, d’autres déplorent “la baisse de la productivité et justifient automatiquement celle des salaires“.

En réalité, c’est l’environnement général qui constitue le problème de fond, ce qui suppose une longue réflexion et beaucoup de discussions de fond que nous devons mener ensemble pour trouver des solutions.

Et à la base de l’amélioration de cet environnement, il y a la planification stratégique : où nous allons et où nous voulons nous rendre et comment orienter notre dispositif ? Malheureusement, nous avons été incapables d’engager des discussions de fond qui répondent à ces priorités…

Et donc ?

Aujourd’hui, nous avons énormément de problèmes, des problèmes institutionnels et des problèmes politiques. Nous souffrons d’une crise politique qui dure depuis quelques temps et qui influence la vie économique d’une manière manifeste. Cela dure depuis un bon bout de temps alors que nous endurons des difficultés économiques et sociales.

Il est vrai que le problème politique pèse très lourd. Nous sommes en train d’apprendre la démocratie, et c’est un long processus d’autant plus que les partis politiques ne jouent pas leur rôle principal, à savoir former des cadres et les préparer au leadership politique.

Nous n’avons pas d’Ecole de Sciences Politiques -à peine un cours qu’on enseigne dans certaines universités dont celle de Droit.

L’apprentissage de la démocratie n’est pas facile. Il faut commencer par les élites et les cadres des partis qui vont diriger le pays

Nous n’avons rien qui puisse aider les jeunes à accéder à assumer des responsabilités politiques tout en ayant des outils académiques ou de formation, même dans l’administration.  Nous avons seulement l’ENA, et ses diplômés devraient être multipliés par 10.

L’apprentissage de la démocratie n’est pas facile. Il faut commencer par les élites et les cadres des partis qui vont diriger le pays et sensibiliser le peuple et lui apprendre que la démocratie ne se résume pas en des élections. Les élections font partie d’une brochette de mécanismes au service de la démocratie.

Il est triste de réaliser que nous sommes aujourd’hui dans une sorte de «ghettoïsation» politique

La démocratie est un choix de mode de vie dans une société où nous apprenons le vivre ensemble dans le respect de nos différences et nous en sommes bien loin. Il est triste de réaliser que nous sommes aujourd’hui dans une sorte de «ghettoïsation» politique, et qu’en plus, nous sommes dans une sorte d’isolement par rapport au monde. Ceci a été nourri par le discours politique, et à cause de cela, nous perdons notre relation avec le monde, et au national nous subissons les aléas d’une vision rétrograde qui tend à gommer notre identité civilisationnelle millénaire et séculaire.

La Tunisie a toujours été ouverte sur le monde. Nous sommes des commerçants depuis que nous existons, les Carthaginois et les Phéniciens ont toujours été des commerçants.

Quel rapport entre ce que je viens de vous dire et ma mission en tant que ministre de l’Emploi et de la Formation ? Je reviens à ce quotidien qui tue, à tous les problèmes que j’ai cités plus haut et qui limitent nos rôles en tant que ministres à ceux de sapeurs-pompiers alors que nous devons avoir la vision et mettre en place des stratégies de relance et de développement.

Quels sont les plus grands problèmes auxquels vous êtes confrontés dans votre département ?

Je vais faire simple : nous avons une demande additionnelle de 55.000 personnes par an, et nous produisons, avec le taux de croissance actuel, 40.000 emplois dans le secteur privé, parce que le secteur public c’est 0 emploi. Si le pays tourne à une vitesse de croisière normale, il va produire 15 à 20.000 emplois dans le secteur public, et associé au 40.000 du secteur privé, nous pourrions répondre à la demande additionnelle annuelle.

Nous créons 15.000 à 20.000 entrepreneurs par an, ce qui nous permettra aussi d’absorber petit à petit les anciens chômeurs et, pour ce, il nous faut une croissance d’à peu près 5%.

Le secteur public doit être ouvert un petit peu à l’emploi, et le support financier pour la création d’entreprises par les jeunes promoteurs via des incitations doit être consolidé. L’investissement privé est aujourd’hui au plus bas, ce qui ne rend pas notre tâche aisée.

Pourquoi d’après vous ce secteur est au plus bas ?

Nous avons aujourd’hui un investissement privé de 17% par rapport au PIB, en 2010 il était de 25%, et à cette époque-là,  on disait que pour pouvoir sortir la Tunisie de la crise du chômage avec une demande additionnelle de 80.000, il fallait atteindre les 25% ou même les 30% ou 32% comme dans des pays similaires au nôtre. Passer de 17% à 30%, c’est 13% du PIB, et 13 milliards de dinars d’investissement.

Nos privés nous parlent tout le temps d’un climat d’affaires inadéquat. Je suis choqué que cela vienne d’eux, cela ne m’aurait pas étonné, si c’était des étrangers qui le disent.

Est-il possible de les avoir ? Oui, à condition que nos privés sacrifient un peu de leur pragmatisme de businessman à l’intérêt du pays. Nos privés nous parlent tout le temps d’un climat d’affaires inadéquat. Je suis choqué que cela vienne d’eux, cela ne m’aurait pas étonné, si c’était des étrangers qui le disent. Nous sommes Tunisiens, nous vivons dans le même pays et sommes touchés par les mêmes problèmes. En partie, nous sommes responsables de la situation dont nous nous plaignons.

Alors pourquoi nos investisseurs privés ne font que parler de climat d’affaires et en usent comme d’un prétexte ? Pourquoi ils ne font rien pour pouvoir débloquer la situation ?

Il faut que la responsabilité de surmonter les difficultés de notre pays soit partagée, et je ne comprends pas que nos compatriotes décident de ne pas investir, en parlant de cours du dinar. Autant, je peux comprendre qu’ils invoquent comme prétexte les difficultés et les tracasseries administratives, autant je suis stupéfait qu’ils prennent la crise socio-politique que traverse le pays pour ne pas y investir.

Peut-être que l’apparition de nouveaux affairistes soutenus par des lobbyistes politiques, des partis et des mafias incrustées dans toutes les arcanes de l’Etat n’encouragent pas les véritables entrepreneurs à investir ?

Vous avez tout à fait raison dans ce que vous avez évoquez, mais d’après moi ces lobbyistes ne peuvent fonctionner que dans les environnements où ils trouvent des réponses à leurs demandes. Il y a des entrepreneurs qui osent et font face aux entraves de tout ordre. Pourquoi jeter toujours la faute sur les autres ? Ça c’est culturel chez nous. C’est toujours l’autre qui a tort mais pas moi. Et là je reviens à ce que je vous ai dit plus haut : cette ghettoïsation que nous vivons est un nouveau tribalisme. Il s’agit de partis, de régions ou de corps de métiers qui se soutiennent et s’entraident envers et contre tous, y compris les lois, et contre vents et marées. Et la Tunisie se perd dans tout cela.

Un monde tribal n’avancera jamais, la démocratie ne peut pas être adaptée à un monde tribal. Pourquoi ne militons-nous pas ensemble contre ce nouveau mode de gouvernance qui se développe sous nos yeux ? Il y a des régions où nous pouvons résoudre le problème du chômage avec une seule usine, il y a des régions un peu plus importantes où je peux résoudre le problème du chômage grâce à un ou deux projets qui offrent entre 800 et 1000 emplois.

La réticence des entrepreneurs tunisiens dont beaucoup sont devenus grands parce que l’Etat tunisien n’a cessé de les aider est incompréhensible d’autant plus que les IDE ne viendront pas si le capital national ne s’investit pas

La réticence des entrepreneurs tunisiens dont beaucoup sont devenus grands parce que l’Etat tunisien n’a cessé, depuis les années 70, de les aider, est incompréhensible d’autant plus que les IDE ne viendront pas si le capital national ne s’investit pas assez, et n’a pas confiance.

Donc, le capital national a un rôle important pour accompagner la transition démocratique, ce qu’il ne fait malheureusement pas actuellement.

Vous êtes quand même d’accord sur le fait que le capital est lâche !

Grands temps de sortir de ce carcan exprimé par ce slogan que je n’aime pas du tout : «le capital est lâche». Figurez-vous que nous pouvons sortir facilement de la crise et plus rapidement qu’on ne le croit. La Tunisie est un petit pays et nous sommes capables de faire des miracles. Il suffit de le vouloir et de le décider et de s’entraider : ceux qui ont de l’argent et qui peuvent investir doivent le faire.

Aujourd’hui, nous faisons le maximum pour encourager l’entreprenariat et le pousser vers plus de création d’entreprises et il faut bien dépasser cette mentalité d’assistés pour être de véritables entrepreneurs.

Evitons de parler de patriotisme puisque tout le monde a adopté la doctrine “le capital est lâche !“.

Qu’est-ce qui nous empêche d’arriver à 25% d’investissement privé, même par intérêt ? Evitons de parler de patriotisme puisque tout le monde a adopté la doctrine “le capital est lâche !“. Nous connaissons tous la situation du pays, réinventons ensemble un climat d’affaires sain et encourageant ! Pourquoi s’entêter à bouder les investissements alors que nous avons un dispositif de loi qui protège les investisseurs ? Le climat des affaires se base sur un bon environnement réglementaire, même si le code des investissements n’est pas très satisfaisant quoique point de vue fiscalité tout va bien. Mais ce qui est positif c’est que le gouvernement est prêt à revoir ce qui bloque dans le code d’investissement.

Les acteurs socioéconomiques se plaignent d’une trop grande ouverture des frontières qui fragilisent nos industries et nos services ?

Je raisonne d’une autre manière. J’estime qu’à partir du moment où nous ouvrons nos frontières, il faut que nos partenaires fassent de même ! Quand j’ouvre mes frontières, cela est valable dans les deux sens.

Prenons l’exemple de l’Europe. D’après vous qu’est-ce qui est le plus intéressant pour un exportateur ou un investisseur : un marché de 12 millions ou un autre de 420 millions ?

Par ailleurs, nous sommes en face de mastodontes capables de casser le marché tunisien parce qu’ils sont plus compétitifs. Quand il y a eu l’ouverture sur le secteur du textile, certaines entreprises de textile ont fermé par milliers mais le secteur est toujours là et les plus solides ont résisté et sont toujours là, parce qu’elles ont su s’adapter au nouveau monde et au nouveau jeu. Et c’est là l’enjeu dans l’avenir : savoir s’adapter au nouveau monde.

Sommes-nous capables de le faire et de conquérir des marchés en Europe, en Afrique et en Asie ? Je crois que nous le sommes, nous en avons la capacité, la compétence, l’expertise et le savoir-faire, donc il faut qu’on œuvre dans ce sens, sans complexe d’infériorité, et pousser nos entreprises à s’ouvrir sur le monde et y conquérir des positions importantes.

L’accompagnement, le soutien, le lobbysme au niveau des institutions d’encadrement sont aussi importants pour nos entreprises. Un exemple édifiant est celui Mohamed Jegham lors de la première guerre du golfe qui a fait à lui seul la promotion du tourisme tunisien et l’a sauvé de la crise durant les années 90 ?

En Tunisie, qu’avons-nous a à vendre ? L’huile d’olive, les dates, le phosphate, les agrumes, et tourisme, et les composants automobiles et l’industrie mécanique et électrique qui peut se développer ? Mais tout cela ne suffit pas pour occuper une place privilégiée sur le marché mondial. Il nous faut développer d’autres chaînes de valeur, qui occupent des positions 1 ou 2 ou 3 au niveau du monde. Le PIB qui à forte connotation négoce doit se transformer en un PIB à forte connotation industrielle.

Le gouvernement œuvre dans cette direction et le soutien est bel et bien là, mais peut-être que ce n’est pas assez, peut-être faut-il encourager des débats autour de cela et trouver des solutions pour réussir la mutation de notre économie.

Encore faut-il réussir cette mutation sans que ceux qui veillent à sa concrétisation soient désignés pour leurs appartenances partisanes et non pour leurs compétences ?

Vous venez de soulever un problème de gouvernance. La Tunisie a toujours été gouvernée par un pouvoir exécutif très fort qui détient toutes les prorogatives. Maintenant, nous sommes dans une transition démocratique qui doit s’exprimer essentiellement par l’équilibre des pouvoirs. Nous avons mis en place quelque chose de fondamental : le pacte social. C’est un accord de principe entre la production, le capital, les ouvriers et le gouvernement, sur les grands problèmes du pays. Donc vous avez le capital, la force du travail et le gouvernement qui pourraient réussir à faire sortir le pays de ce marasme.

En Tunisie, nous avons une excellente position géographique, nous avons une démographie que nous maîtrisons

Les solutions existent. En Tunisie, nous avons une excellente position géographique, nous avons une démographie que nous maîtrisons, nous ne risquons pas l’explosion démographique et nous avons un bon système éducatif malgré ses problèmes actuels, parce qu’on peut le remettre sur le bon chemin.

Le peuple tunisien est normalement ouvert sur le monde mais nous avons perdu notre connexion avec l’extérieur, nos jeunes ne parlent plus des langues étrangères comme ils l’ont toujours fait. Il faut qu’on réforme notre système éducatif pour accroître nos chances de conquérir le monde. C’est le plus important, il faut lutter contre l’enfermement.

Dans notre département, nous nous attaquons à trois grands chantiers. Nous avons un premier grand projet qui concerne la déscolarisation de la formation professionnelle, pour en faire une formation basée sur la compétence, et pour délivrer des diplômes qui correspondent au marché du travail.

La formation ne doit pas dépendre du programme préétabli du régime de l’éducation mais doit créer des compétences pour répondre à la demande du marché de l’emploi, donc il faut que les programmes correspondent aux critères de ce marché.

Nous allons travailler énormément pour que cela marche, nous formerons des BTS qui peuvent faire du bac +4, et nous augmenterons les capacités de la formation professionnelle.

Nous avons beaucoup de chantiers mais pas beaucoup de moyens ou de lignes de financements, mais je vous promets que nous réussirons le défi de remettre la formation à flot et à juguler le chômage. Il suffit que toutes les parties prenantes s’assoient autour d’une table, parlent de solutions et non de problèmes et appliquent les résolutions qui servent la cause des chômeurs et de l’économie nationale.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali