Jean-François Draperi, directeur du Centre d’économie sociale du Conservatoire des Arts et métiers à Paris, considère l’économie sociale et solidaire comme une utopie non violente de changement social. Ce mythe deviendra-t-il une réalité comme le fut la conquête de l’espace, les drones ou les nanotechnologies ?

En réalité, face au capitalisme sauvage, qui autorise les plus puissants à profiter des plus faibles et des plus vulnérables pour assurer leur mode de vie confortable, un système économique plus juste s’impose aujourd’hui avec pour socle des pratiques plus collaboratives et plus inclusives entre pays riches et pays pauvres.

C’est dans cette optique que Samira Labidi, franco-tunisienne opérant sur la place de Paris en tant que courtière en assurance et réassurance, œuvre à travers son Association « Entreprendre au Maghreb ».

Les 18 et 19 octobre prochain à Tunis aura lieu un colloque international parrainé par la Tunisie et le Luxembourg  et intitulé : «l’Économie Sociale et Solidaire en Tunisie : le Temps de l’action».

Entretien.

WMC: Tout d’abord pourquoi une courtière en assurance et en réassurances comme vous a préféré être une partie prenante dans l’organisation d’un forum à propos de l’économie Sociale et solidaire plutôt que traiter un thème étroitement lié à vos activités dans le secteur des Finances? 

Samira Labidi: Effectivement, je suis courtière en réassurances et en banques, et c’est plutôt un atout pour moi car mon activité s’est toujours inscrite dans une démarche inclusive à travers les produits que je conçois. L’intérêt que je porte à l’économie sociale et solidaire (ESS) n’est pas le fruit d’un hasard. Il est le résultat d’un cheminement et des formations suivies au Luxembourg ; pays pionnier, mais aussi des rencontres organisées au cœur de l’Europe par le comité économique et social européen à Bruxelles.

Entreprendre au Maghreb organise ce colloque avec l’appui du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle, du BIT (Bureau International du Travail) et en partenariat avec le Luxembourg.

En quoi votre travail dans le secteur financier vous a soutenu dans vos activités associatives ?

Mes deux casquettes aussi bien professionnelle qu’associative ne sont pas incompatibles. Je m’explique : les exemples sont nombreux pour étayer mes propos, je prendrais à titre d’exemples le concept dédié à la population agricole en Tunisie conçu par le Cabinet LABIDI en partenariat avec la compagnie d’assurance El Amana Takaful et l’UTAP ; un concept qui permettra de protéger ces petits agriculteurs qui subissent les aléas climatiques et qui ne bénéficient d’aucune protection sociale.

L’activité financière ne doit pas nous éloigner de l’humain, « je suis une Mutualiste Née » et ma vision des choses repose sur une charte des valeurs à savoir l’entraide,  le partage et la solidarité dont le but suprême est l’épanouissement des bénéficiaires issus des milieux défavorisés. Je souligne que la solidarité est le citoyen de demain.

Dans votre présentation, vous parlez de l’Economie sociale et solidaire comme s’il s’agissait d’un moyen de parer aux crises par lesquelles passent nombre de pays dont le nôtre, hors cette économie représente en fait l’avenir face aux échecs successifs du capitalisme sauvage de par le monde. Tant que l’homme n’est pas au cœur du développement et tant que son bien-être n’est pas réellement pris en compte, aucun pays ne pourra résister aux bouleversements sociaux dans les années à venir. Pourriez-vous nous expliquer ? 

La pauvreté s’accroît, le fossé se creuse, les inégalités n’ont jamais été aussi criantes. Des jeunes par milliers traversent la Méditerranée au péril de leur vie. Une mer devenue un cimetière. Comment combattre ces injustices ? Comment redonner espoir à cette jeunesse ? Comment faire reculer ces maux sociaux qui ont été l’élément déclencheur de la révolution tunisienne ?

Le capitalisme sauvage a montré ses limites à travers le monde ces dernières décennies car comme vous le soulignez si bien dans votre question, l’élément humain n’est pas au cœur du développement.

Pourquoi le choix de la Tunisie pour l’organisation de ce forum, pensez-vous que le choix de l’économie sociale et solidaire pourrait œuvrer à sortir le pays de ses crises successives ? 

D’abord parce que la Tunisie c’est mon pays de cœur et il est de mon devoir de m’impliquer pleinement dans la relance économique, et le pays a besoin de toutes ses forces vives à cet effet la diaspora doit jouer un rôle déterminant aujourd’hui plus qui jamais dans cette période transitoire.

La Tunisie n’a pas de pétrole mais elle dispose d’un potentiel humain qu’il ne faut surtout pas perdre.

Pourquoi l’ESS en Tunisie ? Car l’environnement naturel de notre pays s’y prête parfaitement à ce type de modèle économique qui ne doit pas reposer exclusivement sur la richesse au sens capitaliste du terme mais plutôt sur l’équité et la justice sociale.

Quel rôle pourrait jouer le Luxembourg, votre partenaire avec le ministère tunisien de l’Emploi et de la Formation professionnelle et le BIT dans le développement de cette économie  dans notre pays? 

Comme je l’avais déjà souligné dans ma précédente réponse, le Luxembourg est le pays pionnier en matière de l’ESS, qui a mis en œuvre un arsenal juridique, il détient une grande expertise dans ce domaine. La Tunisie pourrait bénéficier de cette expérience à la foi sur le plan institutionnel et aussi la formation et l’accompagnement des créateurs d’entreprises, (incubateurs, startups).

Le ministère tunisien de l’Emploi et de la Formation professionnelle est l’institution concernée par excellence dans le cadre du développement de cette stratégie.

Quant au BIT il y a déjà une dynamique qui a été amorcé en mai 2015à travers le projet PROMESS lancé en juin 2016, dans le cadre du plan quinquennal 2016-2020 qui a permis d’initier un processus de réflexion sur l’ESS.

Avez-vous perçu un véritable intérêt des autorités tunisiennes pour cette nouvelle économie ? 

La réponse est bien sûr Oui, le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle est partie prenante dans l’organisation de ce colloque en partenariat avec le BIT ce qui prouve son intérêt pour cette nouvelle économie porteuse de valeurs humaines et d’espoirs pour les démunis de ce monde.

Visiblement cet événement arrive au bon moment  puisque la Tunisie doit sous peu légiférer sur la place de l’ESS dans l’économie du pays.

Vous pensez que les entreprises qui adoptent des modes de gestion participatifs et proscrivent les profils personnels pourraient réussir? Et comment d’après vous allier ambition personnelle et utilité sociale ?

A l’ère de l’économie collaborative les modèles participatifs ont déjà prouvé leur efficacité à travers le monde, en revanche l’ESS n’est pas une recette magique. Il faut savoir que tout développement durable qui n’allie pas richesse avec utilité sociale est voué à l’échec.

Devons-nous nous attendre à du concret lors de ce forum? Car nous n’arrêtons pas d’assister à des rencontres qui n’aboutissent à rien ou à peu?

Notre colloque s’intitule : l’ESS en Tunisie : le temps de l’action. Ce grand rendez-vous qui réunie des experts, des institutionnels et de nombreux acteurs économiques doit déboucher sur des recommandations.

L’association Entreprendre au Maghreb ambitionne à travers cette initiative d’impulser une nouvelle dynamique grâce à un échange d’expérience et un regard croisé autour de thématiques ciblant :

– Le rôle des femmes et de la jeunesse dans la valorisation de l’ESS

– La question de l’accès aux soins pour tous et la création d’une mutuelle Santé solidaire pour les femmes.

– La mise en œuvre des outils du digital dans l’organisation et la promotion de l’ESS.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali