Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, en appelant, à l’occasion de la Fête de la femme, à l’ouverture d’un débat sur l’égalité entre l’homme et la femme en matière d’héritage, semble avoir atteint son pari. Les Tunisiens toutes catégories confondues –droit-hommistes, politiques, religieux, féministes, sociologues, médias…-, bien que préoccupés par d’autres priorités (rentrée scolaire, mouton de l’aïd…) ne cogitent ces jours-ci que du bien-fondé ou non de cette initiative présidentielle. Une question qui divise du reste les Tunisiens fifti-fifti selon un sondage du cabinet Sigma.

Cette initiative, pour peu qu’elle soit menée à terme, devrait réparer certaines injustices socio-économiques dont se disent victimes les femmes en matière d’héritage.

Pour mémoire, depuis 1400 ans d’Islam, en matière d’héritage, les femmes ne reçoivent que la moitié de ce qui revient aux hommes.

Mais dans un pays où la question est si sensible, le débat sur ce dossier ne peut être que fort passionné. Et c’est le cas.

Pour les détracteurs de BCE, cette initiative a des relents politiques et élitistes. Elle serait justifiée par la tendance de Bajbouj à courtiser les femmes à des fins électorales –référence aux 1,2 million de bajboujettes qui l’ont élu en 2014.

14 siècles de retard nous séparent des ulémas daechiens

Pour les religieux, mobilisés à bloc autour de gourous qui se disent des ulémas d’Ezzeitouna lesquels ne se manifestent que lorsqu’il s’agit de leur thème unique, les femmes, le débat a été une précieuse opportunité pour refaire surface après l’échec cuisant de l’Islam politique. Ils ont appelé à l’application stricte de la Chariaa.

Conséquence: ils ont rejeté l’initiative de Bajbouj, la jugeant contraire aux préceptes de l’islam et “dangereuse” pour la société tunisienne. “L’héritage en islam est clairement expliqué dans le Coran”. Il “ne peut être ni modifié ni interprété”, a déclaré, lors d’une conférence de presse, l’ex-ministre des Affaires religieuses au temps de la sinistre Troïka, Noureddine Khadmi.

Quid de la dimension économique de l’héritage ?

Pourtant, à analyser de près cette affaire d’héritage, loin d’avoir une dimension politique ou religieuse, elle est avant tout une problématique socio-économique qu’il faudrait résoudre, tôt ou tard, et ce pour plusieurs raisons.

La première relève du simple bon sens et de la simple cohérence. En effet, contrairement à certaines déclarations de certains, l’initiative de Bajbouj est en harmonie avec la nouvelle Constitution de 2014 laquelle stipule clairement que les «citoyens et citoyennes sont égaux en droits et devoirs».

Moralité: toute éventuelle loi sur l’égalité entre homme et femme en matière d’héritage ne serait qu’en conformité avec la Constitution, la loi des lois.

La deuxième raison est d’ordre démographique. Elle est développée de manière exhaustive par les auteurs de l’orientation du 13ème Plan de développement (2016-2020) dans le volet “ressources humaines”. On y lit notamment que “compte tenu du fait que la population tunisienne a tendance à vieillir de plus en plus, la femme va constituer une des solutions pour y remédier, en jouant un rôle plus dynamique dans le développement de l’économie et dans la prise d’initiatives génératrices d’emplois et de sources de revenus”.

La députée Leila Hamrouni du groupe parlementaire El Horra a vu juste, à ce propos, quand elle avait déclaré, sur le plateau de la chaîne française France 24 que “la consécration de l’égalité en matière d’héritage est une contribution à la solution des problèmes rencontrés en matière de développement”.

L’égalité dans l’héritage est un besoin pressent dans l’arrière pays

Lui emboîtant le pas, la députée de Nidaa Tounes, Wafa Makhlouf, estime, dans une interview accordée à un magazine de la place, que le besoin d’égalité dans l’héritage est un besoin pressent et réel dans l’arrière-pays et dans les campagnes:”Si je relève cette problématique, dit-elle, c’est qu’en ma qualité de chef d’entreprise qui visite beaucoup de régions du pays, j’ai constaté qu’il existe beaucoup de femmes qui veulent entreprendre et faire des affaires mais elles ne peuvent pas le faire parce qu’elles n’ont rien à hypothéquer”.

Et Wafa Makhlouf d’en tirer une conclusion: “Ainsi, le problème se pose non pas au plan religieux mais au plan social en ce sens où la femme doit avoir les mêmes chances et moyens que l’homme pour entreprendre et créer la richesse”.

“L’égalité dans l’héritage n’est pas un privilège”

En somme, tout indique que «la Tunisie, comme l’avait dit Bajbouj, se dirige inexorablement vers l’égalité dans tous les domaines». Et pour reprendre cette déclaration de la militante Zeineb Turki:”L’égalité dans l’héritage n’est pas un privilège. C’est une évidence dans un État de droit”. Et ce n’est que justice au regard du rôle qu’avaient joué et jouent les femmes dans la préservation du pays contre toutes sortes de dictatures, particulièrement celles des islamistes moyenâgeux.