L’ARP a adopté au mois de juillet 2017 la loi intégrale sur la lutte contre la violence faite aux femmes. Cela faisait longtemps que les femmes subissaient des violences aussi bien physiques que morales et que les lois laxistes laissaient faire jusqu’au point où il suffisait qu’un violeur exprime le vœu d’épouser sa victime, on tolère cet acte le considérant comme la réparation. Et les séquelles morales dans tout cela? Eh bien, on n’en tenait pas compte, après tout, celui qui a «défloré» la jeune femme l’a prise pour épouse. Les apparences ont été sauvées! L’horreur! Ce n’est qu’une petite victoire dans les batailles qu’ont livrées les femmes tunisiennes depuis des siècles et des siècles pour agir et non subir.

Et pourtant, l’histoire des femmes en Tunisie a toujours été brillante par leurs réalisations et leur participation dans l’édification de la nation.

Au fil des siècles, elles ont créé de nouvelles formes de luttes pour changer leur société en profondeur et agir sur leur environnement direct.

Un devoir de mémoire s’impose dans lequel nous devons citer des exemples historiques originaux, d’initiatives prises par des femmes qui ont trouvé leur chemin et qui ont réellement métamorphosé notre société, lentement mais sûrement.

Depuis la prise du pouvoir par les islamistes en 2011, une réelle menace a pesé sur les acquis historiques des femmes en Tunisie. Mais tout d’abord osons rappeler ce que nous avons toujours essayé d’ancrer dans les esprits de nos concitoyens: les femmes tunisiennes n’ont jamais cessé de lutter depuis des milliers d’années.

Les femmes à travers l’histoire en Tunisie

Quand on a demandé à Bourguiba : «Quelle différence y a-t-il entre vous et les Frères musulmans?», il a répondu: «Entre eux et moi, il y a 14 siècles». En fait ce qui nous sépare, nous Tunisiens, aujourd’hui, des islamistes ou de ceux qui ont adopté leur doctrine et leur façon de faire se contentant tout juste de changer d’appellation, c’est bien plus que 14 siècles. C’est trois mille ans d’histoire et un rôle prépondérant des femmes dans l’édification d’un pays appelé Tunisie et une histoire jalonnée d’exploits féminins. Ce qui nous sépare aujourd’hui du projet passéiste qu’on a voulu faire voter à la Constituante et illustré par les articles 22 et 28 et dans lesquels on parlait des femmes comme “complémentaires des hommes“, ce sont les valeurs de liberté, d’indépendance et d’autonomie héritées de femmes comme une certaine Didon ou Elyssa, fondatrice de Carthage, sœur de Pygmalion, roi de Tyr.

Cette femme qui, plutôt que de se marier au roi du peuple nomade des Gétules Larbas, préféra se sacrifier sur un bûcher. Elle enfanta Carthage et avec elle de la culture phénicienne. Carthage fut, grâce à elle, une démocratie et l’une des plus grandes puissances maritimes, commerciales et militaires de l’antiquité. De son temps, les femmes tunisiennes étaient des femmes de sciences et exerçaient la médecine.

Une tradition transmise aux civilisations qui avaient succédé à celle de Carthage dont celle arabo-musulmane. D’après Ibn Khaldoun, le père de la sociologie (1332-1406), «les tabibet (les femmes médecins) valaient mieux que le meilleur médecin pour traiter les maladies infantiles» à Kairouan en Tunisie.

Il y eut aussi la Kahena, une guerrière d’un courage et d’une
abnégation rarissimes qui régna sur nombre de tribus berbères de l’an 685 à 704. Elle fut décapitée au bout d’une lutte sans merci qui l’avait opposée aux conquérants arabes venus occuper le Maghreb. En désespoir de cause et devant son incapacité à empêcher l’occupation de son territoire, elle voulut protéger ses deux fils et leur intima l’ordre de rejoindre les rangs des musulmans sortis vainqueurs de longues batailles.

Le Code du statut personnel de 1956 a sacré les droits des Tunisiennes, mais bien avant, nombreuses parmi elles étaient des femmes instruites et cultivées et participaient à la vie publique autant que les hommes. Selon l’historien Ibn Badis, les Kairouanaises «écrivaient et lisaient couramment. Il y a mille ans, dans cette ville sainte, les pères étaient invités à envoyer leurs enfants garçons et filles à l’école. Les femmes se pressaient comme les hommes aux leçons d’un professeur célèbre».

Les Tunisiennes étaient également des mécènes et nombreux témoignages montrent qu’elles finançaient la construction de bibliothèques et d’hôpitaux, telle Aziza Othmana. Avant-gardiste en matière des droits des femmes, Ourwa Al Kairaouania a imposé le fameux contrat qui lui accordait le droit de demander le divorce et de l’avoir si elle le souhaitait. “Ce contrat kairouanais avait pour source le contrat à clauses par lequel la femme pouvait exiger d’être l’épouse unique, il accorde à la femme le pouvoir matrimonial faisant passer chez elle le droit de répudiation».

Les Tunisiennes furent des saintes et prêtresses. Lella Manoubia (Saïda Aïcha Manoubia), qui vécut au douzième siècle, fut l’une des disciples les plus brillants de Belhassan El Chedli, l’un des grands patrons de Tunis à l’instar de Sidi Mehrez. Saïda Aïcha Manoubia a revendiqué ouvertement le statut de «pôle des pôles», le grade le plus élevé dans la hiérarchie soufie. Cette femme très instruite sur le coran et le fikh priait à la mosquée Zitouna en compagnie des hommes.

Au 9ème siècle, Fatima el Fehria, une Kairouanaise, émigrée avec sa famille au Maroc, construisit la mosquée el-Qaraouiyyîn qui fait aussi fonction d’université et devient la première de l’histoire. On y enseignait la religion, la grammaire, la médecine et les mathématiques.

La sultane Atef a pour sa part construit le lieu qui abrite aujourd’hui l’université théologique de la Zitouna.

Ce n’est donc pas uniquement le Code du statut personnel qui, uniquement, a fait des femmes en Tunisie ce qu’elles sont aujourd’hui. Ce code promulgué courageusement en 1956, consacre les combats des Tunisiennes à travers les âges et les époques et ça n’est que leur rendre justice. Elles n’ont jamais failli et n’ont jamais trahi jusque dans la Tunisie colonisée, époque où elles s’étaient battues, ont milité, manifesté et furent emprisonnées.
Autant dire que le CSP a été un aboutissement naturel à l’histoire d’un pays où la femme a joué un rôle prépondérant à travers toutes les époques. Le peuple l’a adopté tout naturellement parce que son héritage civilisationnel l’y préparait et parce que le moment s’y prêtait, il n’a pas été forcé de le tolérer et il ne l’a pas senti comme une agression.

La condition des femmes en Tunisie est et a été sans équivalent dans le monde arabe et à bien des égards dans d’autres pays évolués dans le monde. Les Tunisiennes ont été de tous les combats et ont incarné la révolte contre toute autorité aliénante et assujettissante. Dans les stratégies de survie, en situation de crises et de problèmes sociaux, elles ont fait preuve de génie ; et dans l’adversité, elles ont fait preuve de courage.

Les nouvelles formes de luttes féminines après le 14 janvier

Après le 14 janvier 2011 et l’élection d’une Constituante à majorité islamiste, ce sont les femmes qui ont fait basculer la balance des forces en organisant une marche qui avait regroupé 17.000 personnes pour protester contre l’article proposé par les islamistes et stipulant que “les femmes étaient les complémentaires des hommes“.

Durant ces 7 dernières années, nombreuses sont les femmes qui ont engagé des actions pour, non seulement, consolider leurs acquis mais pour sauver la Tunisie d’une islamisation rampante via des prêcheurs religieux venus des pays du Golfe et du Moyen-Orient et d’autres endoctrinés en Tunisie avec pour cible principale : les femmes, source de tous les maux d’après eux. Il y en a même qui ont appelé à l’excision des femmes, une pratique qui n’a jamais existé en Tunisie.

Pour faire face à ce raz-de-marée islamiste, des regroupements de femmes ont été constitués et ont travaillé sur plusieurs axes.

Parmi ces regroupements, nous pouvons citer la Coalition des femmes de Tunisie, qui est un réseau associatif regroupant plus de 20 associations de différentes natures: spécialisées dans des domaines diverses comme celui juridique relatif aux élections et à la citoyenneté active, la santé, la culture, l’économie participative et solidaire, l’éducation et la femme rurale. Elles sont présentes sur tout le territoire national.

Ce réseau a été fondé par des militantes féministes qui se sont battues du temps de l’ancien régime contre la dictature et qui ont une grande expérience du travail sur terrain (Ligue des droits de l’Homme, syndicat, partis de gauche et culture).

La Coalition a pour référentiel les droits universels et l’égalité totale. Pour elle, servir la cause féminine doit se faire avec tous les actants qui jouent un rôle fondamental dans son évolution et la réalisation de ses objectifs. Ses actions ne se limitent pas aux seules femmes, elles touchent au même titre les jeunes et les hommes avec pour domaines d’intervention l’éducation, la culture, la santé, l’information et la sensibilisation à l’importance de défendre les valeurs républicaines.

Pour la Coalition des femmes, une cause ne peut atteindre ses objectifs qu’en changeant la donne sur le terrain et c’est à travers l’écoute, les enquêtes sur terrain que les programmes d’actions sont mis en place assurant ainsi l’impact recherché: celui de changer les mentalités et de renforcer les capacités de la population à devenir agissante là où elle est.

Le plaidoyer pour la parité pour en faire une question nationale a ciblé aussi bien les femmes que des hommes dans les régions et les jeunes.

Parmi les actions les plus importantes, nous pouvons citer:

-La mobilisation de milliers de citoyennes et citoyens et de centaines de partis, associations et organisations nationales contre l’article de la complémentarité en (2012).

-La formation de centaines de femmes pour les élections législatives (entre candidates, chefs de bureau et observatrices) (400).

-La présentation d’un rapport sur l’image de la femme dans les médias et le lancement d’un plaidoyer dans toutes les régions en y associant les médias ainsi que d’autres actions adaptées au contexte économique, politique et social.

-La réalisation d’un rapport sur la participation des femmes dans l’espace public et la création d’un collectif jeune relié structurellement au réseau pour en faire des actants et des leaders de l’avenir.

La Coalition a adopté dans toutes ses actions un discours simple accessible à tous les pans de la population. Ses fondatrices font partie des élites intellectuelles de Tunisie.

Les femmes garantes de la sauvegarde du patrimoine civilisationnel de la Nation Tunisie !

«Si nous n’avons pas d’intérêts matériels, immédiats et personnels, sommes-nous censées ne rien faire pour notre pays?. Que faisons-nous de l’essence du bénévolat? Que faisons-nous de la notion de patriotisme? Serait-ce devenu inenvisageable de se donner à une cause? Le pays, l’économie, le futur de nos enfants ne sont-ils pas une raison suffisante?

Pour nous, Be Tounsi, être Tounsi, c’est l’essence même de l’existence du groupe: aider une économie souffrante en encourageant le Made in Tunisia. Avec l’espoir de nous voir toutes et tous adopter une attitude consciemment citoyenne et responsable: consommer tunisien. Le bénévolat est une notion ancrée dans nos traditions, ne la perdons pas».

C’est la déclaration de Héla Bennour, une des initiatrices du groupe be tounssi (Soyez Tunisien). Attention, le but de ce groupe n’est pas de se fermer aux autres cultures mais de participer au sauvetage d’un secteur économique très fragilisé depuis 2015: à savoir l’artisanat.

Le Groupe Be Tounssi a été créé en 2016, il compte aujourd’hui plus de 58.000 membres actifs. Sa raison d’être est l’absence de touristes après l’attentat de Sousse en 2015 et la fermeture de plusieurs commerces et ateliers d’artisanat menaçant de disparition des métiers hérités depuis des millénaires.

Les initiatrices du groupe ont également voulu secourir les potières de Sejnane, une zone très pauvre où l’on vit de l’artisanat. Les femmes qui sont les plus actives dans ce secteur ne pouvaient pas participer au Salon national de l’artisanat pour manque de moyens financiers.

Le groupe a beaucoup évolué depuis sa création et son impact direct fut que beaucoup de femmes portent aujourd’hui des touches d’habits traditionnels revisités.

Le mouvement est très suivi car toutes ses actions sont illustrées par des photos et diffusées sur la page Be Tounssi. On y adhère et on partage, à 90% sont des femmes. Les réseaux sociaux et principalement Facebook ont été un outil important pour faire gagner au groupe la notoriété qu’il mérite.

Be Tounssi est un acte de solidarité nationale pour soutenir les entreprises qui souffrent d’une concurrence déloyale de tous les produits qui inondent le marché national sous forme de franchises et en plus à très bon marché. Ce qui revient à dire que des usines locales, qui emploient des milliers de personnes en ouvriers, designers, commerciaux et vendeurs doivent fermer boutique.

Porter local, c’est sauver des salaires et des familles, alors au lieu de chercher la bête à abattre ou peut-être le sensationnel et le politiquement correct, le groupe Be Tounssi s’est dévoué à préserver ce qui est resté des secteurs textile, cuir et chaussure et agroalimentaire.

Be Tounsi a organisé un Salon de l’artisanat tunisien, a participé avec un autre groupe citoyen baptisé «On a été embêté pour vous à une action au Musée du Bardo» et intitulé: arrêtons de piétiner notre patrimoine.

Il a réalisé le Concours de la meilleure table tunisienne durant les 4 semaines ramadanesques en 2016 pour mettre en valeur la poterie et les arts de la table tunisiens et à nombre d’actions qui visent à injecter une nouvelle dynamique dans des pans vulnérables de l’économie tunisienne.

Le rôle des femmes en la matière n’a pas été dans le militantisme féministe basique mais dans des actions efficientes et pour sauvegarder des secteurs économiques en détresse et pour réconcilier les Tunisiens avec leur identité, leur patrimoine et leur héritage vestimentaire.

L’un des impacts les plus importants est que, grâce à ce groupe, un pull traditionnel appelé «maryoul fadhila» a été remis au goût du jour et on se l’arrache aujourd’hui sur le marché. Une entreprise de textile, après 50 ans de vente de ces pulls chez les grossistes des souks, a ouvert 2 boutiques au dans des zones commerçantes de luxe et a lancé des collections de Fadhila que les femmes portent sur des jeans. Il y a eu un teasing sur FB et un shooting avec grande campagne de communication.

Olfa Terras Rambourg et la culture de la vie contre celle de la mort

C’est une jeune tunisienne, Olfa Terras Rambourg, qui a créé la Fondation Rambourg. Consciente de l’importance de l’éducation, de l’art et la culture comme support et bouclier contre l’extrémisme, la violence et la marginalisation, particulièrement celle des enfants et des jeunes en Tunisie, cette Fondation a œuvré à la valorisation de l’art et la culture et
à la promotion de l’éducation, seule véritable arme qui permettra à la Tunisie de faire triompher la culture contre la barbarie et à de construire un avenir meilleur pour la tous.

Les têtes de chapitres: Construire en agissant, Construire en préservant et Construire en éduquant. Parmi les premiers de la Fondation Rambourg, la favorisation de la réussite scolaire des enfants et la prévention de l’abandon scolaire. Elle a, à cet effet, essayé d’offrir les conditions favorables à l’enseignement dans les écoles à travers un vaste programme de réhabilitation des établissements scolaires dans les milieux défavorisés et à introduire des activités ludiques au sein de l’école afin qu’elle devienne un lieu d’épanouissement de l’enfant. Des bibliothèques ont été aménagées au sein de chaque école réhabilitée pour donner aux enfants le goût de la lecture.

La Fondation Rambourg a également fait de la promotion de l’Art et la culture en Tunisie un de ses axes majeurs. La culture est un secteur économique gagnant et un domaine créateur d’emplois de qualité, qu’il ne fallait pas négliger dans le contexte économique actuel de la Tunisie. Pour ce, il fallait que tous les Tunisiens aient accès à la culture et qu’ils participent librement et sans discrimination à la vie culturelle du pays.

L’une des plus belles actions de la Fondation Rambourg et celle dont Olfa Terras est la plus fière est le financement à hauteur de 200.000 euros d’un centre culturel sur un hectare à Semmama le théâtre de la montagne, une forteresse culturelle sise dans la montagne Semmama, fief des terroristes. Un spectacle y a été organisé et y ont été représentées toutes les générations qui se retrouvent dans cette contrée montagneuse proche de la frontière algérienne. Musique, chants bédouins, poésie, mais aussi danse hip-hop.

Le théâtre du Jbel, ou bien le théâtre de la montagne, ambitionne de créer des traditions théâtrales autour de cette montagne Semmama qui est, ces derniers temps, sinistrée par l’obscurantisme, les attentats, les mines qui ont tué plusieurs soldats.

Grâce à son exposition “L’éveil d’une nation”, la présidente de la Fondation Rambourg, Olfa Terras-Rambourg, a reçu le prix du meilleur investisseur de l’année 2016 dans la culture. Oganisée en partenariat avec le ministère des Affaires culturelles et l’Institut national du patrimoine (INP), l’exposition “l’éveil d’une nation” s’est déroulée du 27 novembre 2016 au 27 février 2017 au Palais Qsar Es-Saïd, au Bardo, pour commémorer le 60e anniversaire de l’indépendance de la Tunisie et le 5e anniversaire de la révolution de janvier 2011. Près de trois cents œuvres et objets inédits -toiles historiques,
manuscrits, dessins, médailles, costumes d’époque- ont été exposés pour retracer l’histoire de l’époque beylicale et de mettre en lumière la période des grandes réformes qui a marqué le XIXème siècle.

Ce ne sont que trois exemples mais il y en a des dizaines si ce n’est des centaines d’exemples de femmes qui militent en toute discrétion et en toute humilité pour une Tunisie meilleure et qui sont surtout des actrices de changements. Elles luttent pour préserver leurs acquis et les consolider et surtout pour protéger la société tunisienne d’une culture obscurantiste venue d’ailleurs. Soit une menace à un héritage d’ouverture et de tolérance aussi bien méditerranéen qu’africain.

Malgré toutes ces menaces, nous n’imaginons pas un seul instant que l’on puisse aujourd’hui sous-estimer les réalisations féminines en Tunisie ou pouvoir les renvoyer au Moyen âge. Elles sont bien décidées à continuer leurs luttes, à être actrices de leur destin et à œuvrer pour garder l’image éclatante d’une Tunisie progressiste et respectueuse de leurs droits.

Amel Belhadj Ali

Les liens pour accéder aux différents groupements