Orange Tunisie, ce sont 1.500 emplois directs et 5.000 indirects. Orange Tunisie, ce sont plusieurs centaines de millions de dinars d’investissements et des dizaines de millions de dinars d’impôts prélevés par le fisc. 

Pour confisquer les actions d’Orange Tunisie, Al Karama Holding, censé préserver les intérêts de la Tunisie, préfère les batailles juridiques destructrices à l’application des décisions de loi. Qu’il s’agisse de celles émanant du pouvoir judiciaire ou encore celle prononcée par la justice administrative, et ce même lorsque les jugements rendus sont définitifs.

Belle démonstration de l’Etat de droit! Un message des plus rassurants de la part d’Al Karama aux investisseurs locaux et internationaux à l’approche d’une Conférence internationale sur l’investissement.

«Comment voulez-vous qu’un simple citoyen respecte les lois lorsque les institutions, censées être des exemples, ne les appliquent pas? Les jugements, je vous le rappelle, sont prononcés au nom du peuple. Même lorsque nous estimons qu’un jugement rendu ou qu’une loi n’est pas juste, il faut les récuser par la loi ou par un autre jugement et non en refusant d’obtempérer», déplore Me Nomane Fekih qui estime que, dans le contexte actuel du pays, l’Etat de droit peine à se frayer le bon chemin face à l’exercice chancelant de la justice et au respect problématique des justiciables.

Alors comment expliquer pareille attitude? Par l’arrogance? Les rancœurs personnelles? L’incapacité à saisir l’esprit des lois et l’impact de l’exercice de l’institution et de ses pratiques sur un pays souffrant d’une crise économique aiguë? Son acharnement à confisquer, à l’encontre de toutes les règles de loi et des jugements rendus, les actions d’Orange Tunisie, servirait-il la cause, l’image, les intérêts et le comeback tunisien sur la carte internationale des investissements?

«Notre patience a des limites»

Du coup, nous comprenons le coup de gueule de Stéphane Richard, PDG d’Orange, laquelle firme, rappelons-le, compte près de 263 millions d’abonnés de par le monde et figure parmi les leaders dans 75% des pays européens et dans 83% des pays africains et moyen-orientaux.

Dans un article paru sur le magazine Jeune Afrique, le 19 octobre 2016, il a déclaré: «Cette fois, notre patience a des limites!».

La bataille juridique qui a démarré avec le fameux décret-loi «liste noire» de 2011 est la «muse» (sic) de la Commission de confiscation et d’Al Karama Holding face aux parties concernées. Dans le dialecte tunisien basique et populiste, cela se traduit par les mots «Gatlek Gatlek» (traduire: “je finirai par avoir votre peau quoi qu’il m’en coûte“).

Sauf que cela ne coûtera rien à Al Karama mais beaucoup à la Tunisie! En image, en capital confiance des investisseurs, en respect de la justice, etc. Certains responsables oublient souvent que les répercussions de leurs décisions peuvent être désastreuses. Après tout, il suffit de respirer, de boire et de manger de la démocratie pour satisfaire à tous les besoins du peuple. Sauf que sans Etat de droit, sans respect de la justice, il n’y a ni démocratie ni développement économique.

Le cas d’Orange Tunisie pourrait être un cas d’école en matière de non-respect des décisions judiciaires par les institutions de l’Etat. C’est comme si l’Etat se battait contre lui-même! Nous en avons vu d’autres, me diriez-vous. Eh oui cela se passe comme cela, lorsque les décideurs politiques deviennent les otages des révolutionnaires aigris qui se prennent pour des justiciers. Pour ce qui est des cadavres? Beaucoup d’entre eux en ont dans leurs placards, et c’est ce qui explique qu’ils défendent avec autant d’abnégation les principes de «transparence, d’intégrité et la propreté des mains» (sic)!

En temps normal, si malversations, mauvaises pratiques ou passe droits il y en a, c’est par un procès qu’on les prouve, que l’Etat défend ses intérêts et, in fine, décide de confisquer les biens mal acquis à la lumière des éléments dont il dispose. La confiscation automatique n’est pas aussi porteuse qu’on le pense. Bourguiba l’avait fait après l’indépendance avant de revenir au principe des biens “bien acquis” ou “mal acquis” pour mettre fin à la chasse aux sorcières et éviter injustice et iniquité.

«Prêt à renverser la table»

«En l’absence de signaux sans équivoque des autorités tunisiennes, Stéphane Richard serait prêt à renverser la table et se désengager d’un marché où il compte 3,6 millions d’abonnés». Toujours selon J.A, la nomination d’Anouar Maarouf au ministère des Technologies de la communication et de l’Economie numérique, dans le cadre du remaniement du 20 août 2016, n’a rien arrangé. Quelques mois auparavant, le 18 novembre 2015, l’ancien PDG d’Investec, comme il le signe, Anouar Maaroufi, envoyait une «mise en demeure» à Orange en France, «avant d’engager des procédures qui peuvent remettre en cause le crédit de la société Orange Tunisie et surtout les agréments sur la base desquels elle opère en tant qu’opérateur téléphonique en Tunisie». Le même individu aurait déclaré publiquement et officiellement l’importance qu’il tient à la présence d’Orange en Tunisie en tant qu’investisseur leader.

Depuis 2011, Orange Tunisie avance tant bien que mal «escortée» par des procès qui n’en finissent pas et les risques de confiscation ou mise sous séquestre planant sur elle.

Ainsi, le sursis à exécution de la décision de confiscation rendu par le premier président du Tribunal administratif le 30 mars 2015 n’a pas trouvé grâce aux yeux des administrateurs d’Al Karama Holding. La décision du TA implique, entre autres, le retour à la situation initiale, celle de la non-confiscation des actions du propriétaire d’Orange. Une décision contestée par la Commission qui refuse de l’exécuter! Dans l’attente, des affaires au fond ont été soumises à la justice administrative pour l’annulation des décisions de confiscation sur Investec, holding de contrôle du groupe Mabrouk.

Pire, 6 fois gagné devant la justice dont trois pourvois en cassation. Le dernier a été renvoyé et approuvé par la cour d’appel qui a rendu un jugement définitif en faveur de Marouane Mabrouk. Le principe étant que les actions provenant d’un héritage direct sortent du cadre de la confiscation préconisé par le décret-loi 2011. Mais pas seulement. Les produits, les fruits et les dividendes des entreprises héritées et réinvesties dans des projets résultants n’étant pas non plus confiscables!

D’ailleurs, auparavant, un comité d’experts -dont trois désignés par le Tribunal et un autre nommé par la Commission de confiscation- a procédé à des investigations approfondies qui ont conclu que la confiscation ne pouvait se faire car l’héritage du défendeur aurait participé au financement des projets créés par la suite.

La Cour de Cassation s’est aussi prononcée en faveur du défendeur dans le cas de l’espèce. L’affaire a été jugée à la lumière des conventions internationales dont celle des Nations unies relative à la lutte contre la corruption ratifiée par la Tunisie en 2008, ce qui lui accorde par conséquent autorité sur toutes les lois promulguées en interne.

La définition de la Convention des Nations unies des biens mal acquis ne correspondant aux critères appliqués sur les entreprises désignées par le décret-loi sur la confiscation, le jugement a été donc rendu en faveur de M. Mabrouk aussi bien en cassation qu’en appel, sacrant ainsi le droit à la propriété.  La justice a tranché, par conséquent, pas de mise sous administration judiciaire et pas de confiscation.

La gardienne des intérêts des Tunisiens, qui a vécu l’effondrement de groupes autrefois prospères faute de pouvoir les gérer comme il se doit, n’hésite pas à perturber la tenue des conseils d’administration d’Orange Tunisie en envoyant des huissiers notaires et en voulant imposer un mandataire judiciaire à tous bouts de champs.

Grands temps de mettre fin au feuilleton des procès interminables desquels toutes les parties sortent perdantes. Il faut avoir le courage de prendre les décisions qui s’imposent pour mettre fin à la mascarade du décret-loi de 2011. Le courage et l’audace n’ont jamais fait de mal à personne surtout s’ils servent les intérêts du pays.

«Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier», disait Martin Luther King. Que d’injustices commises aujourd’hui en Tunisie au nom d’une logique révolutionnaire qui n’a que trop duré!

Amel Belhadj Ali