La conquête de l’Afrique : Attention à la démarche individualiste!

Par : Tallel

 

marche-afric-680.jpgL’Afrique au sud du Sahara attire, depuis plusieurs années maintenant, toutes les convoitises. Parce que nombre de spécialistes et autres experts estiment que c’est là désormais où il y a de la croissance dont le monde a tant besoin.

A la suite de quelques initiatives individuelles d’entreprises tunisiennes, la Tunisie semble se mettre en ordre de bataille pour aller tenter de décrocher la “lune africaine“. L’intention se justifie, l’ambition est de bonne guerre. Par contre, la démarche suscite débats et interrogations.

Quid de “l’intention“ et de “l’ambition“?

L’intention se justifie, avons-nous. Oui, elle l’est à plus d’un titre, parce que non seulement les marchés européens se referment de plus en plus, mais ceux-ci n’engendrent plus de la croissance dont ont besoin les entreprises tunisiennes, donc de l’économie tunisienne. L’Amérique (Etats-Unis et Canada, essentiellement) a toujours été considérée comme un marché lointain. Les marchés asiatiques (Chine, Japon, Corée, Thaïlande…) sont réputés être difficiles d’accès, sans compter qu’ils sont, eux aussi, très loin. Donc, l’Afrique pourrait la solution pour nos entreprises.

Quant à l’ambition, ou plus exactement la vision, elle aussi a sa raison d’être, pour deux raisons principales, en l’occurrence la proximité géographique et les opportunités d’affaires dans plusieurs pays du continent. Le challenge en vaut la peine.

Ne pas négliger la concurrence…    

Jusque-là tout va bien. Nous disons bien “jusque-là“. En effet, certes l’Afrique au Sud du Sahara fait rêver plus d’un. Certes elle fait l’objet de toutes les convoitises de par le monde… parce qu’elle est désormais considérée comme «un continent fréquentable». Cependant, sommes-nous conscients que les «Africains» ne sont plus naïfs qu’ils l’étaient il y a 20-30 ans? Savons-nous que concurrence sur les marchés africains, avec des mastodontes de tous poils, est déjà des plus rudes?

Le développement des moyens d’information et de la communication devrait pourtant nous ouvrir davantage les yeux pour faire le bon diagnostic, la bonne analyse, afin de mettre en place la bonne démarche.

Car s’il ne fait pas de doute que les opportunités d’investissement d’affaires ne manquent pas en Afrique subsaharienne, il serait vraiment naïf de croire qu’il est facile d’en profiter… seulement parce qu’on est Tunisiens.

La démarche individualiste est vouée à l’échec…

D’où notre inquiétude sur cette course effrénée vers l’Afrique, telle qu’elle est engagée en Tunisie aujourd’hui. En effet, il y a quelques semaines, nous avons publié une interview d’un Tunisien installé en Côte d’Ivoire qui regrette cette attitude-démarche individualiste qu’on a en Tunisie.

Lire l’article : Des entreprises tunisiennes au salon BATIVOIRE à Abidjan : L’approche individuelle chez les opérateurs tunisiens ne marche pas en Afrique ( Ghazzi Sabbagh)

Donc, oui il est urgent d’aller en Afrique. Oui l’Afrique fait rêver. Elle abritera les 25% de la population mondiale en 2050. C’est l’une des plus fortes croissances économiques mondiales depuis plusieurs années. Elle regorge également les plus importantes réserves de matières premières au monde (pétrole, or, diamant, uranium, manganèse, cuivre…). Oui les entreprises tunisiennes ont leur place en Afrique compte tenu du savoir-faire industriel qu’elles ont acquis dans certains secteurs. Mais pour y réussir, nous devons nous débarrasser de l’esprit de l’épicier, et adopter une démarche commune, laquelle démarche commande d’avoir une structure de coordination –gérée par des privés, s’il le faut- avec plusieurs subdivisions. Plus cette démarche sera globale (politique, économique, financière et commerciale) et inclusive (tous les acteurs…), plus la Tunisie aura de fortes chances de s’imposer sur les marchés africains.

Il faut donc regrouper ou tenter de regrouper toutes les structures tunisiennes qui ont des visées sur le continent africain. Et elles sont nombreuses pour un petit pays comme le nôtre. Inutile de les citer, mais elles sont trop nombreuses pour pays comme la Tunisie, ce qui n’est pas sans engendrer des “encombrements”, donc de l’inefficacité.

Ne l’oublions pas, l’union fait toujours la force. Ne l’oublions pas non plus que plusieurs pays africains sont désormais gouvernés de façon démocratique. Autrement dit, les dictatures tombent les unes après les autres; donc plus question d’imposer n’imposer quoi que ce soit aux populations locales. Inutile de citer des exemples. Par voie de conséquence, les choses seront de plus en plus difficiles pour décrocher un marché, surtout que d’autres entrepreneurs ont déjà pignon sur rue en Afrique, avec des moyens financiers et humains nettement plus importants que les nôtres. D’ailleurs, aujourd’hui entrepreneurs français et chinois nouent de relation pour conquérir des marchés en Afrique. C’est dire… 

De ce fait, si on continue à aborder les marchés africains de façon individuelle ou individualiste, on risque de ne récolter que des miettes pour ne pas dire rien. D’ailleurs, même dans notre propre pays, peu d’entreprises tunisiennes sont capables, aujourd’hui, de soumissionner individuellement à certains gros projets, alors que dire dans les pays africains qui ambitionnent de grands projets d’infrastructures.

De la patience…

Les fruits “africains” sont mûrs mais leur cueillette nécessite patience, abnégation et persévérance, comme disent ceux qui sont rompus aux arcanes de la chose africaine. Alors ne jouons pas solo, laissons de côté nos égos et notre esprit de supériorité du genre “je suis le seul capable, les autres sont nuls…”, mettons en place une vraie vision/stratégie/politique africaine de la Tunisie, qui soit globale, claire, bien ficelée, et surtout inclusive. Ce qui est, malheureusement, loin d’être le cas aujourd’hui.

Par ailleurs, il est curieux d’entendre ici et là que la “Tunisie peut jouir de sa position géographique stratégique pour conquérir l’Afrique“, oubliant que les autres pays disent la même chose. On se demande même en quoi la situation géographique est-elle “stratégique“, en tout cas par rapport à l’Afrique ou même d’autres contrées à travers le monde.

On entend également que la “Tunisie et les Tunisiens jouissent d’une bonne réputation en Afrique“. Certes, mais cette idée c’est beaucoup plus dans la bouche des officiels (diplomates) qu’autre chose. Débarrassons-nous de tout cela, soyons modestes mais déterminés pour conquérir les marchés africains.