Tunisie – Education : Quand la réforme de l’enseignement se réduit à l’augmentation des salaires!

greve-enseignement-secondaire-2015.jpgUn spectacle affligeant que celui des élèves désorientés dans les collèges et les lycées qui espéraient démarrer lundi 2 mars la semaine bloquée. L’élan brisé à cause du bras de fer tenu et maintenu entre le ministère et les syndicats et la peur suscitée chez les élèves qui comptaient se rattraper lors du deuxième trimestre et se trouvent handicapés à cause d’une crise qui a trop duré.

Les maux de l’éducation nationale et de l’enseignement secondaire ne datent pas d’aujourd’hui. L’une des principale victimes du régime Ben Ali a été l’enseignement lequel, malheureusement n’a jamais bénéficié de l’attention des politiciens à deux sous ou de celle des mercenaires des droits de l’homme. Pourtant, ce sont les politiques de l’ancien président et ses mauvaises décisions qui ont rendu les syndicats aussi forts. Des syndicats plus soucieux de leur confort matériel que de la qualité de l’enseignement ou du cadre général dont lequel ils travaillent pour former les générations futures. « Une inspectrice avec une note pédagogique de 6%, c’est ce que le syndicat de l’enseignement secondaire a permis de nommer » témoigne un haut fonctionnaire du ministère. Mais il n y a pas que cela, il y a toutes ces entreprises de cours particuliers donnant pignon sur rue dans toutes les disciplines et à leur tête les disciplines scientifiques comme les maths et physiques. « Savez-vous que certains professeurs travaillent 24 h sur 24 h et dispensent des cours à 4h du matin à des bacheliers ? » déplore une inspectrice de l’enseignement secondaire ?

Pire, Ben Ali, habitué à « donner pour mieux diriger » a encouragé indirectement les traditions des cours particuliers alors que les lois portant leur organisation stipulent qu’il est interdit de dispenser des cours particuliers à ses propres élèves et autorisent les cours particuliers uniquement dans le cadre de l’établissement scolaire lui-même, les après-midi du mercredi, vendredi et samedi. Aujourd’hui, vous avez une partie du corps enseignant richissime qui possède des biens au-delà de ce que peut lui permettre « le modeste salaire » dénoncé par les Lassad Yacoubi et les Sami Tahri avec autant de férocité. On ne leur demande pas d’où ils ont eu les moyens de s’enrichir autant et à l’époque, cela indifférait Ben Ali à partir du moment où on ne le dérangeait pas et où les riches pouvaient placer leur progéniture dans des institutions telles que celles créées par sa femme. Que l’enseignement public se casse la gueule, ce n’était pas son problème, ce n’était pas un despote éclairé comme Bourguiba et ça ne le dérangeait pas de gouverner une poussière d’individus. C’est le cas aujourd’hui, après l’âge d’or de Bourguiba en matière d’éducation, c’est devenu le moyen âge avec Ben Ali.

Ce qui est triste à ce jour, est que nous n’avons pas entendu le syndicat de l’Enseignement secondaire se plaindre des conditions de travail ou la nécessité d’améliorer le niveau du corps enseignant, de former mieux et plus les sculpteurs des esprits et d’exclure les médiocres et incompétents ou au moins de pénaliser les défaillants et de les recycler.

Une nouvelle mode, on ne rend plus les copies des devoirs aux élèves !

Les enseignants, rappelons-le, travaillent 18 h par semaine soit 3 h/jour à 30 Dt de l’heure. Les contribuables s’acquittent des taxes pour les rémunérer et nombre d’entre eux s’enrichissent grâce aux cours particuliers négligeant les élèves étudiant dans le secteur public. Pire, il y a des professeurs qui ne rendent plus les copies des devoirs aux élèves pour que ces derniers ne s’aperçoivent pas de la différence des notes entre leurs amis qui prennent des cours particuliers chez le professeur concerné et eux-mêmes : « Résultat, les élèves ont fini par photographier les devoirs avant de les rendre aux professeurs pour avoir des preuves tangibles au cas où », dénonce une pédagogue révoltée.

20 000 professeurs donnent des cours particuliers estime Hassan Zargouni de Sigma Conseil avec des recettes mensuelles moyennes de 2000 Dt, des recettes sur 10 mois de 20 000 Dt et totales par an de 400 millions de Dt. Ces professeurs ne sont pas taxés « Si l’on applique le principe de la retenue à la source des 15% à ces professeurs, elle reviendra à 60 millions de dinars et les enseignants pourraient à eux seuls assurer les augmentations de salaires qu’exige leur syndicat » conclut—il.

Mais il n y a pas que le vice des cours particuliers dont souffre le secteur de l’enseignement, il y a aussi celui de l’absentéisme, et des congés longue durée. Quoi de plus normal dans ce cas que d’avoir des suppléants payés une misère et ne bénéficiant d’aucune formation pédagogique, pour ensuite les plaindre parce que sous-payés ? Quoi de plus naturel que de voir dans les régions défavorisées des enseignants et des élèves souffrant de conditions d’enseignement et de travail approximatives puisque les débats entre autorité de tutelle et syndicats n’a jamais porté sur des problèmes fondamentaux se rapportant à l’essence même de l’enseignement : la pédagogie, la compétence, les infrastructures et les conditions du travail.

Cela fait des années que les syndicats de l’enseignement ont la main haute sur le secteur. Ils ont affirmé encore plus leur pouvoir depuis la destitution de Bourguiba et sont devenus les seigneurs de la guerre après le 14 janvier avec la puissance accrue de l’organisation syndicale UGTT.

Ce qui se passe aujourd’hui dans leur approche « jusqu’auboutiste » pour qu’on satisfasse toutes leurs revendications, qui peuvent être légitimes mais déplacées dans le contexte actuel, n’a rien d’étonnant, tant les syndicats, enivrés par la force acquise au fil des ans, crient haut et fort qu’ils sont invincibles. Ils oublient, comme le dit un dicton bien de chez nous que « kol koua wil lidho3f tirja3a » (Toute force finit pas se transformer en faiblesse). Et aujourd’hui nous avons assisté à une montée de violence sans précédent dans les milieux scolaires tels ces parents qui ont forcé les classes du lycée pilote de Monastir et ont violenté les enseignants ou ces élèves qui ont fait des marches à Kébili pour dénoncer les abus du corps enseignant ou encore ceux qui se sont déplacés à la place Mohamed Ali. La montée de violence que l’on dénonce depuis des années se trouve aujourd’hui renforcée par les crises répétitives dont souffre le corps enseignants. Les négociations sociales peuvent aboutir, mais comment juguler la violence accumulée au fil des ans ainsi que les ressentiments des élèves envers ceux qui sont censés leur baliser la route vers un avenir meilleur ?

Il y a une autre forme de violence tout aussi dangereuse, celle exercée par les militants syndicalistes sur leurs propres collègues pour acculer ceux qui ne sont pas convaincus par les positions des syndicats à suivre le mouvement. « Oui j’ai peur, j’ai peur d’être traitée de traîtresse, j’ai peur d’être agressée verbalement par mes confrères et consœurs et mise au pilori » se plaint une professeure. Car l’UGTT a réussi à constitutionnaliser le droit à la grève et « déconstitutionnaliser celui du travail ». Il en est ainsi, reconnaissons-le, dans les pays sous-développés comme le climat de peur instauré par les syndicalistes

Adel Haddad, directeur général au ministère a déclaré lundi 2 mars 2015, invité à se prononcer sur le report de la semaine bloquée a indiqué que certains professeurs se sont présentés à leurs établissements pour la poursuite normale des cours et d’autres ont assuré le passage des examens. Il n’a pas parlé des actes d’agression subis par nombre de professeurs dans des institutions scolaires et c’est malheureusement arrivé.

Lassad Yakoubi, secrétaire général du syndicat général de l’enseignement secondaire a pour sa part assuré sur les ondes de Shems Fm, que les déclarations du ministre de l’Éducation évoquant la possibilité de déduire des salaires grévistes ne feront qu’envenimer le conflit social entre les enseignants et les autorités. Il a reproché à certains délégués régionaux d’avoir refusé les registres d’appel aux enseignants et au ministre de penser à l’intérêt des élèves. Il aurait dû y penser lui-même ainsi que son syndicat et ne pas prendre les élèves en otage.

La lutte pour améliorer les conditions de vie des enseignants et les revendications salariales doivent être accompagnées d’un autre militantisme, celui de la productivité, de l’amélioration de la qualité de l’enseignement, de l’assainissement du secteur des entrepreneurs des cours particulier et d’un engagement plus sérieux dans l’éducation des nouvelles générations.