Pourquoi un nouveau conflit gazier entre la Russie et l’Ukraine?

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à Opari, au sud-ouest de Lviv, en Ukraine, le 30 septembre 2014 (Photo : Yuriy Dyachyshyn)

[26/02/2015 18:38:46] Moscou (AFP) Le ton monte entre Moscou et Kiev depuis que la Russie a décidé de livrer du gaz directement aux zones séparatistes de l’Est de l’Ukraine, faisant craindre une coupure des approvisionnements ukrainiens. Pourquoi ce conflit et quelles conséquences en attendre?

QUESTION: Pourquoi un nouveau conflit gazier entre la Russie et l’Ukraine?

REPONSE: Le groupe russe Gazprom a créé la surprise le 20 février en commençant à livrer du gaz aux régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk, en grande partie occupées par les rebelles. Ces derniers venaient de dénoncer une coupure sans préavis des approvisionnements habituellement fournis par Kiev, qui de son côté a invoqué des dégâts provoqués par les combats dans la zone.

Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a qualifié ces livraisons de gaz d'”aide humanitaire” et le président Vladimir Poutine a estimé que l’arrêt des livraisons ukrainiennes s’apparentait à “un génocide”.

La situation s’est dégradée lorsque Moscou a estimé que Kiev devait payer ce gaz, puisqu’il revenait au territoire ukrainien. L’Ukraine refuse: elle souligne qu’elle n’a aucun moyen de contrôler ni les volumes ni leur utilisation.

L’expert russe Nikolaï Petrov, de la Haute école d’Economie de Moscou, y voit “une mesure politique”: “Kiev insiste sur le fait que l’Est, c’est l’Ukraine, et en réponse Gazprom lui demande de payer pour le gaz consommé dans l’Est. C’est un levier de pression supplémentaire sur Kiev”.

Q: Faut-il s’attendre à une coupure et quelles en seraient les conséquences pour l’Ukraine et l’Europe?

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Europe et transportant le gaz russe (Photo : K.Tian/J.Jacobsen)

R: Le conflit gazier remonte à l’an dernier. A l’arrivée des pro-occidentaux au pouvoir à Kiev, Gazprom a augmenté le prix du gaz. Les Ukrainiens ont refusé et face à l’accumulation des dettes, les livraisons ont fini par être coupées en juin.

En octobre, après médiation européenne, les deux parties sont arrivées à un accord provisoire pour l’hiver, qui court jusqu’à fin mars. Il prévoit que la compagnie Naftogaz paye à l’avance, à prix réduit, tout volume qu’elle souhaite consommer, ce qu’elle fait depuis décembre.

Selon Moscou, les volumes compris dans le dernier paiement ukrainien sont quasiment épuisés. Or Naftogaz refuse désormais tout nouveau règlement, accusant Gazprom de violer l’accord en vigueur en changeant les points d’entrée du gaz au profit des zones rebelles et en lui livrant moins de gaz que commandé.

“Le dernier paiement effectué ne suffira que jusqu’à la fin de la semaine. Si nous ne recevons pas de nouveaux fonds de Kiev, nous ne pourrons naturellement pas continuer à livrer du gaz à l’Ukraine”, a averti jeudi le porte-parole de Gazprom Sergueï Kouprianov.

Le groupe russe a averti que l’Ukraine ne serait pas la seule victime, mais aussi les Européens. Environ 15% du gaz consommé sur le continent transite par le territoire ukrainien et les précédents conflits gaziers en 2006 et 2009 avaient effectivement affecté les consommateurs dans l’Union européenne.

“Les menaces de coupure du gaz constituent un chantage non seulement pour l’Ukraine, mais pour l’Europe”, juge l’expert ukrainien Volodymyr Omeltchenko, du centre Razoumkov. Cet analyste estime cependant qu’une coupure du gaz russe ne serait “pas catastrophique” car le pays a mis en place ces derniers mois des approvisionnements assurés par d’autres pays européens.

Si Naftogaz assure pouvoir assurer le transit même en cas de coupure russe, Bruxelles prend l’affaire au sérieux et a proposé des pourparlers dès lundi, acceptés par Kiev mais sur lesquels Moscou ne s’est pas encore prononcé.

Q:Quels sont les objectifs de la Russie?

R:Plusieurs experts interrogés dans la presse russe ont souligné qu’en mettant la pression pour que Kiev paye pour de nouveaux volumes, Gazprom voulait conserver un cadre légal pour y inclure ce qu’il livre aux zones rebelles.

Pour le journal russe Vedomosti, “Gazprom constitue un instrument politique du Kremlin et les intérêts commerciaux passent au second plan”.

Volodymyr Omeltchenko voit aussi dans ce conflit “un des éléments d’influence sur l’Ukraine par des moyens non militaires”, pour attaquer “la souveraineté” du pays et “discréditer” Kiev auprès des Européens.

A Moscou, Nikolaï Petrov fait le rapprochement avec la Transdniestrie, région de Moldavie contrôlée depuis des années par des prorusses où Gazprom livre du gaz en le facturant aux autorités moldaves.