Le “crowdfunding” pour financer une reprise d’entreprise : pourquoi pas?

Par : Tallel

Il n’est pas rare de faire un petit tour de table de “love money” pour boucler son financement. Pourquoi donc ne pas élargir le cercle et convaincre ses futurs “amis” d’internet? La chronique de Pascal Ferron, vice-président de Baker Tilly France.

capital-invest-680.jpgFinancer sa reprise d’entreprise par la crowdfunding a plusieurs avantages, souligne Pascal Ferron. Vous êtes un défricheur du XXIème siècle? Alors lancez-vous!

Il y quelques jours, nous avons organisé pour nos clients une conférence afin de mieux percevoir ce qu’était et ce que pouvait éventuellement être dans le futur proche le “financement participatif“, terme intellectuel français traduisant la vulgate de l’anglais, ou plutôt de l’Américain “crowdfunding”.

Il est vrai que le “financement par la foule” et ou encore la multitude tient plus du langage parlé, ou de l’image de la multiplication des petits pains et ne fait pas assez recherché. Evidemment, terme pragmatique simple à ne pas confondre avec le “cowfounding” plus orienté vers la localisation de vaches dans les plaines du middle Ouest américain ou de la pampa argentine, à tendance plus ou moins bio, ni encore avec le “crowfooding” ou “crowfunding” soit une nouvelle tendance de plats cuisinés branchés aux pâtés de corbeaux ou alors le financement par les corbeaux ou autres maîtres chanteurs, ce qui oriente progressivement vers le pénalement répréhensible et donc nous écarte du sujet.

A l’origine il y avait une bonne idée

La plupart du temps et quel que soit le pays d’ailleurs, lorsque vous avez une idée, déjà un peu mûrie, et que vous voulez la mettre en œuvre, vous vous heurtez, parfois violemment, au problème du financement. Les bonnes âmes vous expliquent que “cela ne marchera jamais…”, les banquiers de revenir les voir quand il y aura un semblant de chiffre d’affaires, etc. Pour pouvoir faire du chiffre d’affaires, il faut un peu d’argent. On commence par tourner en vrille, puis on se tourne généralement vers sa famille, ses proches, son cercle d’amis… On cherche dans son carnet d’adresses et on finit par s’apercevoir que peu d’amis multiplié par le faible montant qu’ils sont prêts à mettre pour vous aider, cela revient à pas beaucoup, voire à pas assez.

Alors arrivent Internet, Facebook, Twitter… les amis en foultitude, les “followers” du monde entier. Plus de 6 milliards d’individus potentiellement intéressés à votre projet: “Waouh !”.

De là germe l’idée dans l’esprit de quelques “geeks”, principalement américains au départ – puis progressivement suivis, ou en même temps, ils préfèrent qu’on le dise ainsi, de Français et d’autres d’ailleurs – de créer des plateformes internet sur lesquelles on vient expliquer son projet, on le défend et on lance un appel au peuple virtuel : donnez un peu pour un superbe projet qui me tient à cœur. Une multitude de un peu cela peut faire beaucoup et en tous cas suffisamment pour réussir mon projet. Et ça marche !

Alors on se professionnalise

Des plateformes se créent tous les jours. Au départ il y avait surtout des projets sociétaux, une oeuvre de musique, un film, une pièce de théâtre… puis les projets sont devenus plus entrepreneuriaux.

Au départ, il ne s’agissait que de dons : “Vous aurez le plaisir d’avoir contribué à une œuvre ou à un projet sympa réalisé par quelqu’un de sympa”. Quoi de plus sympa?

Puis cela s’est professionnalisé petit à petit. Pour remercier les donateurs sympas, on a eu l’idée de leur donner une contrepartie : une place de théâtre, un enregistrement avec les bonus, une dédicace… la créativité est sans limites.

Il y a aussi les dons qui s’apparentent à des pré-ventes: vous voulez lancer un nouveau produit. Il vous faut un investissement minimum en matériel, machines, moules, etc. Vous parvenez à convaincre une multitude de gens à verser de l’argent pour obtenir les premiers produits en priorité avant les autres : bien joué ! Le don avec contrepartie se transformera en vente lors de la livraison.

Il y a encore les prêts, rémunérés ou pas, et les participations au capital, ou tout au moins aux quasi fonds propres: le bon vieil appel public à l’épargne de grand papa, sans la notice COB (AMF excusez-moi, tout évolue !), avec tout de même un business plan à défendre et une plateforme tout de même CIF (un intermédiaire agréé). A ce niveau, cela nécessite un peu plus d’encadrement. Quoique, vu les montants souscrits individuellement, cela peut aussi bien être considéré comme le prix de la participation à une nouvelle aventure, le coût d’une dizaine d’euros pour monter dans le train au départ, pouvoir dire “j’y étais”… à peine le prix d’une place de cinéma pour une aventure que l’on espère plus longue qu’une unique séance.

Attention à ne pas tuer le poussin dans l’œuf!

Bien sûr, c’est nouveau. On laisse les défricheurs tailler dans la nouveauté à la serpe. Puis arrive le temps des contrôleurs. Fiscalement, comment va-t-on bien pouvoir taxer tout cela? Et les risques alors, comment les encadrer? Cela peut s’avérer dangereux, celui qui donne peut tout perdre. Oui! D’ailleurs, c’est pour cela que ça s’appelle un don. Oui! Mais celui qui souscrit au capital peut aussi tout perdre. Certes! Celui qui investit en bourse aussi d’ailleurs, mais il est prévenu et cela change tout ! Pourquoi ne pas juste le prévenir, alors?

Mais il y a aussi les règlementations existantes, celles qui ont été imaginées dans un autre temps, une autre époque et qui peuvent être autant de freins à l’évolution du “crowdfunding” si elles restent en l’état.

Aujourd’hui déjà, les plus belles levées de fonds de cette manière se font aux USA, au-delà de ce qui pouvait être espéré au départ par les créateurs solliciteurs. Normal ! Ils sont un peu en avance et leur marché est quand même important et ouvert à la nouveauté. Attention donc à ne pas trop réglementer, vouloir tout régenter et contrôler, limiter les accès, les montants… au risque de voir les leveurs de fonds en herbe aller lever ailleurs, c’est tellement facile ! Internet n’a plus de frontières!

Et la reprise d’entreprise dans tout cela?

Il n’est pas rare de faire un petit tour de table de “love money” pour boucler son financement de reprise d’entreprise. Pourquoi donc ne pas élargir le cercle et convaincre ses futurs “amis” d’internet ? J’y vois plusieurs avantages. Le premier est d‘élargir les possibilités de levée de fonds de montants plus importants. Le deuxième est que pour convaincre, la méthode “crowdfunding” est participative. Cela signifie que l’on est souvent obligé d’améliorer en permanence son projet de manière un peu itérative suivant les conseils des uns et des autres, les amis du web, qui ont des idées et contribuent ainsi à en faire un meilleur projet. Ils peuvent même plus tard devenir des vrais amis et d’excellents conseils. La troisième est ce qui est plus généralement appelé l’hybridation : quand vous avez réussi à convaincre de nombreux nouveaux “amis” du web de la crédibilité de votre projet au point qu’ils y mettent un peu de leurs économies, il devient plus facile de convaincre des banquiers, des fonds… “Ah bon ? Il y en a 1500 qui ont versé en moyenne 500 euros… pourquoi pas moi ?”. Je passe sur la dernière qui plaira plutôt aux fainéants : on fait tout cela de chez soi (je plaisante bien sûr!).

A ma connaissance cela n’a pas encore été fait ainsi, mais je peux me tromper. Alors pourquoi ne pas essayer et vous y lancer en premier? Vous aussi êtes un défricheur du XXIème siècle?

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