Après la tragédie du ferry, la Corée s’interroge sur son miracle économique

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érémonie pour les victimes du naufrage du Sewol à Séoul le 17 mai 2014 (Photo : Ed Jones)

[18/05/2014 16:25:46] Séoul (AFP) Le naufrage d’un ferry transportant des centaines de personnes, en majorité des lycéens, a traumatisé la Corée du Sud, quatrième économie d’Asie, et ébranlé la confiance de sa population.

L’impact économique le plus tangible, à court terme, est la baisse soudaine de la consommation des ménages, dans un pays en deuil depuis la catastrophe du Sewol le 16 avril et la mort ou la disparition de 302 personnes, la plupart des adolescents en voyage scolaire.

Les habitants ont renoncé aux sorties et loisirs tandis que les autorités annulaient festivals et manifestations sportives et culturelles. Les usines et les bureaux ont eux aussi suspendu toutes fêtes d’entreprise.

“D’abord et avant tout, la confiance de la population a été atteinte”, déclare Chun Sang-Jin, professeur de sociologie à l’université Sogang à Séoul. “Et puis il y a un sentiment collectif de deuil et de culpabilité, qui ne s’accommode pas avec le fait de boire un coup, lâcher des blagues et faire la fête”.

Selon le cabinet d’analyses FnGuide, les maisons de courtage du pays ont réduit leurs prévisions de résultats du deuxième trimestre pour les entreprises dans les secteurs des télécoms, de l’alimentaire et de la distribution.

Les compagnies de cartes de crédit –principal moyen de paiement en Corée– rapportent une baisse des transactions allant jusqu’à 10%, une baisse des dépenses dont témoignent également les échoppes, boutiques et restaurants.

Le gouvernement, vivement critiqué depuis l’accident maritime, a annoncé plusieurs mesures pour permettre à l’économie de franchir sans trop de dégâts cette période de morosité.

– Marasme persistant –

Il a accru la part des dépenses publiques prévues pour les six premiers mois de l’année à 57% du budget total, contre 55% prévu au départ, ce qui représente un surplus de 7,6 milliards de dollars US.

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érémonie pour les victimes du naufrage du Sewol à Séoul, en Corée du Sud, le 17 mai 2014 (Photo : Ed Jones)

“Un affaissement de la consommation après la catastrophe du Sewol (…) pourrait freiner la reprise durement acquise de l’économie”, a admis le ministre des Finances Hyun Oh-Seok.

Il a ainsi promis des prêts à taux bas pour les petites entreprises et les magasins dans les secteurs du tourisme, des transports et des hôtels.

Les exportations et le secteur manufacturier sont les moteurs de l’économie sud-coréenne et un ralentissement de la consommation intérieure a donc un impact limité sur les chiffres du pays.

Mais un marasme persistant des dépenses des ménages aurait des conséquences sociales et politiques, selon les économistes et les acteurs du secteur.

“On s’inquiète bien évidemment de savoir combien de temps cela va durer”, indique Shin Hoon, un haut responsable de l’association des industries alimentaires de Corée.

Depuis le naufrage du Séwol, au large de la côte méridionale du pays, 284 corps ont été récupérés et 20 personnes sont portées disparues.

– “Sommes-nous un pays avancé?” –

La Corée a connu plusieurs catastrophes, tout aussi sinon plus meurtrières, dont l’effondrement du toit d’un grand magasin à Séoul, qui avait fait plus de 500 morts en 1995.

Et le pays est habitué à vivre sous la menace permanente d’une attaque de son voisin et frère ennemi, la Corée du Nord.

Mais le sentiment de tragédie et de deuil qui enveloppe le pays depuis le 16 avril est exceptionnel.

Un chagrin national dû sans doute au grand nombre de jeunes parmi les victimes, tous originaires de la même école, au sud de la capitale.

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écran de télévision, dans le gymnase de Jindo en Corée du Sud où les familles des disparus du Sewol attendent des nouvelles, montre le Premier ministre sud-coréen Chung Hong-Won annonçant sa démission, le 27 avril 2014 (Photo : Ed Jones)

La population a aussi découvert avec effroi que le bilan terrible de cette catastrophe était surtout le fait des hommes: régulations sur le transport maritime laxistes et de toute façon peu respectées, formation insuffisante de l’équipage à une situation d’urgence, et manque total de supervision de la part des autorités. Tout cela pour maximiser les bénéfices.

La Corée du Sud, pays moderne parvenu à la prospérité après des décennies de travail forcené, reste profondément confucianiste. Elle enseigne la piété filiale et l’obéissance mais insiste aussi sur la responsabilité des parents – et de l’Etat par extension – à agir comme “un gardien attentif et bienveillant”.

Un pacte que la population estime rompu.

“C’est un traumatisme collectif et il y a une culpabilité collective”, avance Hwang Sang-Min, professeur de psychologie à l’université de Yonsei. “Et je ne pense pas que quiconque jouisse d’un respect suffisant pour pouvoir enjoindre à la population d’aller de l’avant”.

“Nous sommes plongés dans nos pensées. Est-ce que tous les progrès accomplis ne sont qu’un leurre? Sommes-nous vraiment un pays avancé?”, s’interrogeait récemment le romancier Kim Young-Ha dans un article pour le New York Times.