Tunisie – Environnement : Un jeune de 39 ans applique à la lettre le théorème de Lavoisier

Par : TAP

recyclage-680.jpgAbdelkader Missaoui, 39 ans, diplômé de la Faculté des sciences de l’environnement, a réussi à créer un projet rentable, en donnant une seconde vie aux déchets.

Au moment où de nombreux Tunisiens se contentent de se plaindre de la pollution et de la prolifération des décharges, ce bosseur, obsédé dès son jeune âge par la transformation des objets usagés, a pensé convertir le problème en une solution et valoriser ce qui semble être sans valeur pour certains.

Parti de rien, cet originaire d’un petit village de Sbeitla à Kasserine, gère, aujourd’hui, une société de collecte, de transport et de tri des déchets non dangereux et recyclables, qui “vaut 500.000 dinars”.

C’est une simple phrase “les déchets, source de richesse” inscrite sur un mur de l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED), qui a déclenché chez lui, la volonté de donner une seconde vie aux déchets, notamment, ceux des emballages (papier et carton) qui représentent 24%, des déchets ménagers solides, produits en Tunisie (2,423 millions de tonnes par an).

“Recycler pour vaincre le chômage”

Le jeune promoteur qui croit au principe du père de la chimie moderne, Antoine Laurent Lavoisier, “rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, a pris les choses en main, dès qu’il a quitté les bancs de la faculté.

En se lançant dans ce projet de collecte et de tri des déchets encombrants, en particulier, ceux des entreprises, il a épargné à ses 6 frères et sœurs, également diplômés de supérieur, de longues et fastidieuses recherches d’emplois, dans un pays qui rêve de vaincre le chômage, dont le taux est estimé à 17,6 % (800 000 sans-emplois).

Dès son petit âge, il était convaincu, que “les gens consomment et jettent, pêle-mêle, des objets de valeur et même précieux, dont ils ne connaissent pas l’utilité”.

“Dans nos poubelles, se trouvent des mines d’or qu’on peut, exploiter, quasiment pour rien et faire fortune”, raconte ce jeune dirigeant qui se déplace, aujourd’hui, constamment, entre plusieurs gouvernorats (Sousse, Bizerte, Sfax), pour gérer ses centres de tri.

“Je rêve d’en créer un, dans chaque gouvernorat, car je sais que de tels projets réussissent et contribuent, à résoudre le problème de pollution, dont souffre notre pays, faute de systèmes de gestion des déchets efficaces”, dit-il.

Missaoui, à l’apparence modeste et décontractée, a installé son bureau, dans un coin d’un dépôt très spacieux à Sidi Hassine Essijoumi (Ben Arous), qui abrite son centre de tri des déchets, lequel emploie 10 femmes et plusieurs chauffeurs de véhicules de transport. Il se vante de s’être lancé dans le monde des affaires, armé de sa volonté et de son “intelligence”, pour gagner son indépendance et devenir “maitre” de son projet.

“Il suffit d’avoir l’idée, la volonté et le souffle, pour aller de l’avant et réaliser ses rêves”, affirme cet homme, en se souvenant qu’au départ, il ne disposait que d’une somme de mille dinars, pour démarrer son projet et qu’il n’était pas partisan des crédits.

“J’ai choisi un créneau qui ne séduit peut-être pas, les jeunes chômeurs, mais je vous assure que c’est très rémunérateur. C’est une chance, aussi, de sauver notre environnement, qualifié par plusieurs, de cause perdue de la révolution”.

Il reconnait avoir bénéficié, tout de même, à ses débuts, d’une formation à l’initiative privée, de la part de structures d’appui aux jeunes promoteurs. Mais, tout le reste est “une histoire de self-made-man”.

“Un projet qui joint l’utile à l’agréable”

Le jeune promoteur raconte que son travail lui a permis à la fois de gagner de l’argent et de créer des emplois pour les membres de sa famille et aussi pour d’autres personnes.

Son centre de tri à Essijoumi, emploie actuellement, une dizaine de femmes qui sont payées entre 300 et 350 dinars par mois. Les chauffeurs de véhicules de transport des déchets, qu’il a recrutés touchent des salaires de 500 à 800 dinars, d’après ses dires.

90% des déchets peuvent être valorisés

Missaoui, qui poursuit ses études pour obtenir son doctorat et ne cesse d’approfondir ses connaissances sur le recyclage, pense qu’en Tunisie, “90% des déchets sont recyclables”.

“Personnellement, mon bureau et ma maison sont entièrement équipés de meubles que j’ai recyclés moi-même. Nous n’avons rien acheté, ma femme et moi, sauf l’électroménager”.

“Gaddour”, comme l’appellent ses proches et ses amis, ne cache pas son obsession pour la transformation des déchets. “J’ai parfois envie de déverser toutes les poubelles et de fouiner dedans, car je suis toujours certain de trouver des objets précieux, à transformer”, lance-t-il, sans réserve.

Et d’ajouter “oui, je suis un chiffonnier, mais un chiffonnier intelligent qui ne cherche pas la survie, mais plutôt la valeur ajoutée, l’innovation et l’art de transformer des choses délaissées, en objets utiles et agréables”.

Investir dans le tri et le recyclage, c’est gagner!

Si la tendance en matière de gestion des déchets dans les pays développés est aux trois “R” (Réduce, Recycle et Reuse: réduire, recycler et réutiliser), Missaoui est convaincu qu’en Tunisie on est encore, loin de réaliser cet objectif.

Ce père de deux enfants, activiste de la société civile, ne perd, pourtant, pas espoir. Aujourd’hui, son projet prospère et le jeune dirigeant ne craint aucune concurrence, car la valorisation et le recyclage des déchets reste encore, un domaine sous-exploité, en Tunisie, en dépit de sa rentabilité.

Au contraire, à chaque fois qu’il rencontre un jeune chômeur, “il lui raconte son exploit et lui conseille de faire de même”.

C’est un domaine qui peut faire travailler des milliers de chômeurs, dit-il, non seulement au niveau de la collecte mais dans le recyclage et la valorisation.

En Tunisie, nous avons un potentiel énorme, en matière de recyclage et de valorisation, affirme-t-il, citant l’exemple de la filière de collecte et de recyclage des emballages en plastique qui assure, aujourd’hui des sources de revenus pour de nombreuses familles. Interrogé en tant que défenseur des causes de la nature, sur la situation de l’environnement en Tunisie, Missaoui répond qu’elle est “catastrophique”.

D’après lui, le ministère de l’environnement ne s’occupe pas vraiment d’environnement. “Il ne sanctionne pas les contrevenants et ne récompense pas les bons élèves, alors peu importe de quel département, il relève”.

Pour Missaoui, il s’agit d'”arrêter l’hémorragie et les atteintes à l’environnement. Il faut agir très vite, car dans ce domaine vital, contrairement à d’autres, les retards seront payés chers et les séquelles prennent du temps à être cicatrisées. Si nous coupons des arbres, nous créons un désert, car ils ne repousseront pas du jour au lendemain, mais au bout de longues années”.

WMC/TAP