Russie : “Demokratia”, le jeu qui tourne en dérision la vie politique

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, de NeskinSoft

[05/03/2014 19:13:14] Moscou (AFP) Acheter des voix d’électeurs et détourner des fonds puis devenir un tsar : le jeu vidéo “Demokratia”, qui se moque de la vie politique en Russie, rencontre un franc succès au pays de Vladimir Poutine.

Au total, Demokratia a été téléchargé par au moins 1,5 million d’internautes russes, attirant chaque mois environ 100.000 nouveaux adeptes, selon son créateur, la compagnie NeskinSoft.

Pour construire une démocratie à la russe, le joueur doit combiner trois éléments identiques qui à leur tour évolueront en objet de plus grande valeur, comme dans le jeu américain Triple Town.

En partant de trois billets verts qui font un mouton, trois moutons un électeur, trois électeurs un bureau de vote, le joueur arrive au sommet du pouvoir.

Et dans un pays sans longue tradition démocratique, on ne s’embarrasse pas de scrupules: “Attendez, on commence le bourrage des urnes!”, “Participation de 146%!”: annoncent des figures qui ressemblent fort à des personnalités politiques russes.

– un colonel du KGB –

Le joueur détourne des budgets, viole la Constitution, achète un député. Certains éléments, comme un “juriste emprisonné” (allusion à l’opposant numéro un Alexeï Navalny, qui est avocat) peuvent servir à combattre les “méchants” pro-pouvoir, comme un “colonel du KGB” (les services secrets dans lesquels le président Vladimir Poutine a fait carrière).

La “démocratie” est construite quand il n’y a plus de case libre sur le plateau.

“Demokratia” a pour logo un ours — un des symboles nationaux mais aussi celui du parti au pouvoir — aux couleurs blanc-bleu-rouge du pays, chargé d’un sac rebondi.

Celui-ci peut symboliser la corruption. Le créateur de “Demokratia”, Valentin Merzlikine, se dit en effet partisan d’Alexeï Navalny, un opposant farouche à Vladimir Poutine, qui s’est fait connaître en dénonçant des faits apparents de corruption au sein des élites en place, sur son blog, fac-similés de documents à l’appui.

Merzlikine, un programmeur moscovite de 37 ans, a pris la décision étrange de déménager un Belarus, pays qui n’est pourtant guère donné en exemple en matière de démocratie.

Alors que de nombreux militants et leaders d’opposition ont été poursuivis ces deux dernières années en Russie, il a voulu “lancer un jeu qui amuserait des opposants russes”, explique-t-il au téléphone à l’AFP, sans qu’on puisse mesurer l’ironie de ses propos.

“Demokratia” sort le 10 décembre 2011, le jour où, après des soupçons de fraude électorale, a eu lieu la première d’une série de manifestations sans précédent, qui allait secouer le pays jusqu’au retour en mai à la présidence de Vladimir Poutine.

La contestation était née de soupçons de bourrage d’urnes et d’autres manipulations aux législatives de décembre.

De la réalité au jeu, il n’y avait qu’un pas: “dès les premières semaines 100.000 téléchargements ont été enregistrés”, se souvient Merzlikine.

– Pussy Riot –

Depuis, “Demokratia” a subi une vingtaine de rééditions, se peuplant de nouvelles personnalités au gré de l’actualité: des jeunes femmes du groupe contestataire Pussy Riot à la chanteuse américaine Madonna qui a pris publiquement leur défense.

Au sommet, la pyramide ne s’arrête plus au “président”: trois “Poutine” font un “tsar”, lequel évolue en “Mahatma Gandhi”, “Jésus”, voire deux icônes russes que sont le poète Alexandre Pouchkine et le cosmonaute Iouri Gagarine…

“Demokratia” est l’un des rares jeux vidéo de conception locale à contenu politique à avoir rencontré un tel succès.

“Demokratia est très populaire parce que c’est un jeu à la fois provocateur et sans propagande”, estime un analyste de la compagnie Hungry Shark.

En Russie, où neuf internautes sur dix disent s’y adonner régulièrement, “les jeux vidéo sont aujourd’hui plus importants que le cinéma et la littérature”, estime le blogueur Dmitri Goblin Poutchkov.

Conscient de l’enjeu, le pouvoir essaye de contre-attaquer.

Créé dans ce but et vanté par les médias officiels, le jeu “Snowdev Run” où un ex-agent du KGB sauve Moscou de zombis. Il “glorifie Vladimir Poutine, mais ne rencontre pas de succès”, selon le portail newsland.ru.

Tout le monde n’est pas séduit toutefois par le second degré de Demokratia.

“Indépendamment de ce que je pense de Poutine, c’est un jeu amoral et cynique”, écrit ainsi Evguéni Frolov sur le site spécialisé MacRadar.

Demokratia a été d’ailleurs refusée par deux réseaux sociaux très populaires, Odnoklassniki et Mail.ru, raconte Valentin Merzlikine.