Argentine, Venezuela, des économies rebelles en pleine tourmente

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ésidente argentine Cristina Kirchner à La Havane le 25 janvier 2014 (Photo : Adalberto Roque)

[31/01/2014 20:06:26] Buenos Aires (AFP) L’Argentine et le Venezuela, deux économies rebelles de l’Amérique latine qui impriment une forte intervention de l’Etat et un sévère contrôle des changes générant un marché noir de devises, affrontent actuellement une tempête monétaire et inflationniste.

Partenaires au sein du Mercosur et alliés politiques, les deux pays ont appliqué des recettes économiques qui font grincer des dents les économistes libéraux. Tant qu’ils surfaient sur les prix des matières premières en augmentation constante, pétrole (Venezuela) et soja (Argentine), c’était tenable, mais les deux économies donnent aujourd’hui des signes de faiblesse.

L’Argentine de Nestor et Cristina Kirchner et le Venezuela d’Hugo Chavez (1999-2013) et Nicolas Maduro se “sont engagés dans des mesures de sauve-qui-peut, de colmatage et d’ajustements improvisés autour des enjeux classiques: inflation et fuite de capitaux”, estime Jérôme Sgard, économiste et professeur à Sciences Po Paris.

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ésident vénézuélien Nicolas Maduro (C) à La Havane le 29 janvier 2014 (Photo : Adalberto Roque)

Jeudi, le Fonds monétaire international (FMI) a mis sur un pied d’égalité la situation économique de l’Argentine et du Venezuela, relevant leurs difficultés en matière d’inflation, de balance des paiements et sur les marchés des changes, qui selon le FMI “affectent la confiance” et font de ces deux pays les plus menacés d’Amérique du Sud.

Mais “même s’il y a des similitudes, l?Argentine et le Venezuela sont deux problématiques distinctes”, observe Stéphane Straub, professeur au Toulouse School of Economics.

A la différence du Venezuela, qui dépend à 85% du pétrole -dont il détient les plus importantes réserves mondiales- pour ses entrées de devises, l’Argentine dispose en effet d’une importante production industrielle et agricole, souligne l’économiste argentin Nicolas Dujovne.

“A moyen terme, la production de brut n’est pas en augmentation et les prix des hydrocarbures pourraient bientôt fluctuer légèrement, ce qui peut causer une vulnérabilité” pour le Venezuela, estime Alejandro Werner, directeur du FMI pour l’Amérique latine.

Pour 2013, le Venezuela affiche un taux de croissance d’à peine 1,2%, loin de l’objectif de 3% fixé par le gouvernement. L’Argentine enregistre de son côté un PIB en hausse de 4,5%, selon la Cepal.

Autre différence aux yeux des observateurs et des marchés, l’Argentine va changer de président en 2015, alors qu’il faudra attendre 2019 pour les prochaines présidentielles au Venezuela.

Aujourd’hui, les analystes soulignent que le principal problème de ces deux pays réside dans la forte inflation, qui pollue le quotidien de 70 millions de citoyens et a fait de la course au dollar un enjeu-clé.

Le Venezuela détient le record en la matière sur le continent, avec 56,2% en 2013, mais l’inflation épargne le pétrole et un plein d’essence coûte toujours moins d’un dollar.

L’Argentine, en deuxième position, a accusé une hausse des prix pour 2013 estimée à plus de 25%. Et depuis six ans, l’inflation annuelle y dépasse 20%.

Pointe de l’iceberg de la politique de contrôle monétaire, le double taux de change. La monnaie locale étant très volatile, le dollar constitue la monnaie refuge et tous les moyens sont bons pour s’en procurer. Au Venezuela, depuis l’arrivée au pouvoir de M. Maduro en avril, le dollar est passé de 20 à environ 70 bolivars au marché noir (officiellement à 6,30 pour un dollar) et dans les “grottes” de la capitale argentine, le billet vert s’échange à environ 12,50 pesos, contre 8 au taux légal.

L’Argentine s’inquiète de l’érosion de ses réserves en devises, aggravée par les retards de commercialisation de récoltes de soja. Au Venezuela, les réserves en devises et en or sont passées de 30 milliards en 2012 à 21 en janvier 2014.

Pénurie

Dans les deux pays, les importations sont contrôlées et comme le Venezuela importe presque tout ce qu’il consomme, une pénurie frappe les aliments de base (sucre, lait, farine, huile), produits de beauté, jusqu’au papier WC.

Le frein aux importations et les surtaxes ont en Argentine un impact sur l’industrie qui a besoin de pièces ou matériel venant de l’étranger et les opérations chirurgicales dans les hôpitaux sont souvent retardées par manque de prothèses.

Qui est responsable? A Caracas comme à Buenos Aires, le pouvoir accuse les grandes entreprises qui augmentent les prix et un manque de patriotisme économique.

“Il est plus facile de rejeter la faute à l’extérieur que par exemple d’assumer l’aspect destructeur d’une politique de change dual, avec un marché parallèle, qui crée distorsions et corruption”, estime Stéphane Straub.

Luis Vicente Leon, analyste politique vénézuélien, critique “la politique de dépenses publiques déficitaire financée par l’émission de billets. C’est un cercle vicieux de pratiques gouvernementales incapables de fournir une stabilité économique au Venezuela”.

Pour Jérôme Sgard, les deux pays “auraient pu poursuivre avec leur modèle antilibéral et serrer la vis. Ils ont mis en danger leur modèle. Le sérieux imposait qu’ils procèdent à des ajustements”, aujourd’hui, “ils ne sont pas à l’abri d’une crise”.