Tunisie : Nadda Ghozee, «Un tourisme, c’est avant tout une image»

nadaa-ghozi-travelport.jpgElle est prête à passer des escarpins aux espadrilles, et avec la même grâce, pourvu qu’ils lui permettent de servir la cause du tourisme tunisien. Nadda Ghozee, directrice générale de Select Travel & Tours», prend un virage dans sa carrière et fait prendre tout un tournant au secteur de l’agence de voyage en Tunisie en signant la chute du dernier monopole de l’Etat avec l’introduction en Tunisie de l’opérateur Travelport.

Entretien

WMC: Est-ce par inconscience ou un goût prononcé du challenge que l’on fait un lancement en pareille période de crise?

Nadaa Ghozee: La conjoncture nous sera favorable. Quand une entreprise est en période de sérénité, elle ne va pas chercher plus et mieux. Nous sommes dans une période houleuse et très dangereuse pour les agences de voyages.

Dans la précarité, ils ont de plus en plus besoin de réduire leurs charges et de générer plus de revenus. Travelport arrive donc à un moment opportun pour soutenir l’effort de l’agence de voyage.

Qu’est-ce que Travelport? En quoi consiste votre métier?

Nous sommes les repentants de Travelport en Tunisie. Notre métier consiste à donner toutes les informations nécessaires aux agences de voyage afin qu’elles répondent aux attentes des clients. Quand un client demande un billet d’avion, l’agent de voyage interroge un GDS (Global Distribution System) qui est en fait un énorme tuyau d’informations qui regroupe toutes les offres d’avions, de compagnies de croisières, des tours opérateurs, d’hôtels…

Quel est le montant de l’investissement en termes financiers? Quels besoins en termes de ressources humaines ?

Clairement, un effort de formation. A chaque GDS son langage. Nous commençons par la formation d’une équipe qui se devra d’être proche de l’agent de voyage. Une formation de près de 8 jours pour parvenir à convertir un agent d’un système vers un autre.

En termes financiers, Travelport Tunisie est rémunéré par Travelport International qui, lui, est rémunéré par les compagnies aériennes. Le GDS est un distributeur pour elles et il prélève un «fee» sur les transactions.

Jusque là, vous évoluiez dans une agence familiale réceptive classique.

Absolument. J’y travaille depuis 14 ans. En 2008, l’agence a été la première à faire les frais de la globalisation. Nous avions des partenaires qui ont été rachetés par Tui ou Thomas Cook. Nous ne pouvions plus en vivre.

Fort heureusement, cela coïncidait avec un moment où il y a eu une libéralisation partielle de l’Outgoing. Nous avons signé un partenariat avec GTA que nous représentons depuis plus de 5 ans. Ce métier nous a donné une position de distributeur de produit auprès de près de 200 agences de voyage.

Quelles projections faites-vous pour le tourisme tunisien face aux défis qui l’entourent et qui suscitent beaucoup d’inquiétudes?

Inquiétudes justifiées. Je pense que tant que nous n’aurons pas un gouvernement non provisoire, tant que nous resterons dans cette situation instable politiquement, nous ne pourrons pas sauver le tourisme tunisien.

Celui-ci est il menacé et par quoi?

Clairement et par une mauvaise image. Un tourisme, c’est avant tout une image. Nous n’avons pas moins de touristes car la mer a séché ou que le soleil ne brille plus…

Mais les professionnels ont une part dans cette mauvaise image qui se construit seule. Qu’ont-ils fait pour essayer d’en faire émerger une plus positive? Se plaindre des salafistes qui partent à l’assaut de l’avenue Habib Bourguiba ne suffit pas à la faire disparaître. Pourquoi les professionnels n’ont-ils pas investi la même rue le lendemain pour tenter d’atténuer cette image qui a frappé les mémoires?

C’est vrai. Je vous l’accorde. Même à la marche pour protester contre l’inaction du gouvernement, il n’y avait pas grand monde non plus! C’est une grande responsabilisé. Mais est-ce le vrai problème?

Le tourisme tunisien est confronté à deux sortes de problèmes. Le premier est structurel, puisque nous n’avons pas su développer de nouveaux produits, nous adapter au marché, … Mais il y a aussi un souci énorme d’image. Depuis 14 ans, je porte fièrement un drapeau. Aujourd’hui, en prenant l’avion pour faire les salons et foires, j’ai peur des questions qu’on va me poser.

N’y a-t-il pas dix fois plus de raison d’être fière?

Fière oui. Mais il y a deux ou dix ans, je disais sereinement vous êtes parfaitement en sécurité en Tunisie… Je ne suis pas quelqu’un qui avance des mots à la légère, et quand je le dis, je veux que ce soit vrai!

Aujourd’hui, je dis à mon client que les islamistes radicalistes sont une minorité, qu’ils s’agitent, que nous continuons à vivre normalement, que moi en tant que femme je n’ai rien changé à mon mode de vie… Mais les vrais questions se posent: Qu’est-ce qui va se passer demain et après demain?

Avez-vous peur en tant que femme?

Aucunement. Je ne pense pas qu’il y ait de vraies tentatives pour toucher à nos acquis, sauf peut-être dans la durée. Certains partis politiques essayent de toucher aux femmes dans les milieux défavorisées. Or, ce sont elles qui travaillent. Si on les empêche de travailler, il n’y a aura plus de gagne-pain dans cette famille!

De toute façon, je ne pense pas qu’elles se laissent faire et qu’elles ont parcouru tout ce chemin pour revenir en arrière… Je ne comprends pas que certaines femmes revendiquent l’interdiction de l’Ivg, ou demandent le retour de la polygamie. Je pense qu’elles sont aussi minoritaires et je ne peux pas les comprendre.

Pour finir, je vous demande 3 mots pour résumer les problèmes du tourisme tunisien: positionnement bas de gamme, manque de para-hôtelier et manque de sensibilisation des Tunisiens et Tunisiennes pour rendre agréable leur pays et villes.

3 mots pour les solutions : les femmes, les femmes, les femmes.


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