Tunisie – Ennahdha : Variation autour de la question des femmes

habib-ellouze--2013.jpgAprès le défenseur de l’excision, Wajdi Ghoneim, à qui l’on a déroulé un tapis rouge pour une série de conférences dans différentes mosquées du pays, voici venu le tour de Habib Ellouze, un des plus radicaux leaders du parti Ennahdha, de s’exprimer sur la question au travers d’un entretien accordé au journal Le Maghreb.

La déclaration qui fait scandale résume la pensée du député à l’ANC qui estime que l’excision des filles s’apparente davantage à un traitement médical, notamment dans les régions chaudes du globe, et que cela n’est pas un moyen de réduction de plaisir sexuel chez les filles. Il a souligné que l’Occident a accordé plus d’importance qu’il n’en faut à cette pratique alors qu’en réalité, il ne s’agit là que d’une opération esthétique.

Si la messe est dite ou plutôt redite, l’ex-chef du parti Ennahdha et membre de son «Majliss Echoura» n’en est pas à sa première déclaration scandaleuse, c’est le parti Ennahdha qui pose gravement problème. Comment un parti peut-il continuer à offrir du blanc au noir en passant, sous prétexte de liberté d’expression, par toutes les variations de gris? Comment le jour même, Rached Ghannouchi déclare devant un parterre de femmes exclusivement de son parti, deux jours après le 8 mars, que «la femme est la base de toute renaissance», en même temps qu’Ellouze se laisse aller à des propos aussi saugrenus que dangereux?

Ceci dit, et sans s’attarder sur les propos haineux de Habib Ellouze, c’est la question de la femme et de ses droits qui pose problème avec un parti qui souffle le chaud et le froid, joue sur la vague de la complémentarité au détriment de l’égalité, travaille à passer des lois limitatives aux droits des femmes dans les couloirs de l’ANC où ne finit pas de s’écrire la nouvelle Constitution, et refuse, selon les récentes déclarations du ministre des Affaires religieuses, la convention «CEDAW» qui garantit pourtant les principes de l’égalité des droits et du respect de la dignité humaine, et élimine toute forme de discrimination à l’égard des femmes. Une convention qu’a ratifiée fièrement la Tunisie au lendemain du 14 janvier et qui représente une vraie avancée pour le pays.

Le parti islamiste couvre une révolution contre les femmes, et les attaques contre leurs acquis deviennent de plus en plus nombreuses. Derniers abus en date, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem, a démis de ses fonctions une femme diplomate dans le doute et sur fond de calomnies et sans ouvrir une enquête administrative. Le rythme des décisions s’accélère étrangement quand il s’agit de femmes pour «moraliser» l’administration qui croule sous les dossiers de corruption !

Marteler des idées dévastatrices est une technique infaillible

Dans la vie de tous les jours, c’est le mariage «orfi» qui avance à grand pas, les petites filles qu’on drape de voiles et inscrit dans des écoles avec aux programmes inadaptés, des jeunes filles qu’on envoie en «jeriah» pour le plaisir des soldats en Syrie, les femmes qu’on agresse alors qu’elles restent un pilier colossal de la société. Une vraie force de travail subissant toutes les affres de l’injustice sociale et les violences verbales et physiques.

Que les femmes profitent de leur clitoris pour jouir et vivre pleinement de leur sexualité jusqu’à l’enfantement si l’amour, la vie, la nature et le bon Dieu le permettent ou pas, n’est pas du ressort d’un parti politique qui a été élu pour relever d’autres défis. Ceux qui doutaient de l’utilité du scandale et des manifestations de la société civile suite à la visite de Wajdi Ghoniem comprennent-il peut-être mieux aujourd’hui comment les idées se distillent avec le retour en charge de Habib Ellouze. Par la technique de la banalisation, les forces rétrogrades parviennent à avancer et à repousser les limites. Marteler encore et toujours des idées dévastatrices est une technique infaillible!

Nous sommes désormais loin de l’époque où Rached Ghannouchi, plus conciliant en période électorale, déclarait sur une chaîne radiophonique que son parti pouvait envisager d’étudier même la loi sur l’héritage. Rien n’est figé dans l’islam, disait-il! Tout est figé dans les mentalités des hommes et dans la misogynie ambiante!

Mais une certaine catégorie de femmes n’est pas en reste non plus! Au récent meeting pour célébrer la Fête de la femme, des militantes d’Ennahdha se targuaient de refuser l’égalité, le droit à l’avortement… devant la vice-présidente de l’ANC et la députée Yamina Zohghlamni qui défendent le droit des femmes mais ont tendance à renier les faits en justifiant les menaces qui pèsent sur elles par la diabolisation.

N’ont-elles pas la force de réduire ces contradictions au sein de leur propre parti et de faire avancer le débat avec leurs propres militantes? Ne jouent-elles pas le jeu en acceptant d’être l’alibi? Ne réalisent-elles pas que c’est à elles de lutter pour changer les mentalités en refusant l’exclusion et en se dressant, du fait de leur pouvoir d’action et d’influence, contre un gouvernement myosine où seule un ministre est toléré sur 37 portefeuilles!

Soixante ans après la promulgation du Code du statut personnel, nous sommes encore et plus que jamais au stade des “femmes alibis“. Pourtant, la résistance est là! Les femmes tunisiennes représentent près de 60% de la population estudiantine et sont souvent majeurs de leur promotion et notamment dans la magistrature (40%). Elles sont majoritaires chez les médecins et dans les professions paramédicales ainsi que dans le corps enseignant… Elles résistent mais il y a encore du chemin à faire.