Tunisie-économie : Sommes-nous dans le populisme socioéconomique?

fmi-120712-220.jpg«Relever de 25 points de base le taux d’intérêt directeur pour le porter à 3,75%, c’est bien, mais cela reste très modeste et ne résout pas les difficultés dans lesquelles se débat aujourd’hui l’économie tunisienne et ne réduit pas les risques sur ses fondamentaux», a commenté Ezzeddine Saïdane, expert financier et économique à propos de la dernière décision de la BCT d’élever son taux directeur.

Il faut tout d’abord revenir en arrière pour évaluer les conséquences de la gestion des taux directeurs et leurs baisses sur le secteur bancaire et sur l’économie. «Toute rémunération de toutes les formes d’épargne est devenue négative. Ce qui pousse à la consommation et décourage l’épargne. Comme le PIB ne progresse pas, la consommation a augmenté et les importations des biens de consommation courante se sont accrues».

Alors qu’il aurait mieux fallu tempérer du côté de la consommation effrénée en réduisant les importations aux produits de première nécessité, le gouvernement fait aujourd’hui du populisme socio-économique en préférant satisfaire les velléités consommatrices du peuple faute d’oser suivre une politique prudente pour préserver ses intérêts à moyen et long termes.

Les crédits à la consommation ont flambé suite à la stratégie de baisse des taux directeurs, suivie ces deux dernières années. «Les taux d’intérêts étaient très faibles et même négatifs, ce qui a poussé à accorder plus de crédits et a acculé la BCT à injecter 5 milliards de dinars sur le marché monétaire (5.000 milliards de millimes). Les réserves de change, malgré les prêts accordés à la Tunisie, ont considérablement diminué. C’est presque l’effondrement à cause des importations à outrance et de la régression des exportations», explique notre expert.

Le taux d’épargne recule de 22% du PIB à 16%

Mais l’une des conséquences les plus graves de la baisse du taux directeur reste le recul du taux d’épargne de 22% du PIB à 16%, ce qui pose un véritable problème pour le financement des investissements et de l’économie. Cette situation impose à l’Etat de sortir sur les marchés internationaux. D’ailleurs, la décision a été prise pour le faire en 2013. Mais avec quelles garanties et sous quelles conditions au vu de la notation négative de la Tunisie? Si en 2012, les USA se sont portés garants -en contrepartie de quoi SVP-, qui se portera garant en 2013?

Le dernier rapport édité en juillet 2012 (il est publié tous les 6 ans) par le FMI concernant la Tunisie est plus qu’alarmant, il appelle à la recapitalisation des banques publiques et va jusqu’à soulever le doute quant aux chiffres données par la BCT concernant les créances accrochées. «Pour couvrir les faiblesses existantes dans la qualité des crédits et pour absorber d’éventuelles pertes futures, dont celles liées à la sous-déclaration, le système dans son ensemble pourrait avoir besoin de fonds propres additionnels dans une proportion dépassant 5% du Produit intérieur brut (PIB)», peut-on lire dans le rapport. «3,2 milliards de dinars (3.200 milliards de millimes) rien que ça pour recapitaliser le système bancaire, ce qui équivaut à 5% du PIB. La Tunisie en a-t-elle les moyens?», s’interroge M. Saïdane.

En effet, quel investisseur irait mettre son argent dans des banques pratiquement en faillite? Les porteurs d’actions pour celles cotées en Bourse? Où l’Etat devrait-il mettre sa main dans la pâte et investir dans la réforme du système bancaire plutôt que dans le dédommagement des milliers de bénéficiaires de l’amnistie générale? Les priorités du pays étant plus, aujourd’hui, dans le maintien des équilibres économiques qu’ailleurs et la préservation de la paix sociale que dans la récompense des anciens «militants politiques…».

Le FMI va dans ce sens, car dans son rapport, il stipule clairement: «Le secteur bancaire pourrait avoir d’énormes besoins de recapitalisation pour couvrir les pertes passées ou dans l’éventualité où la conjoncture économique se dégraderait. Le bilan des banques publiques doit être restructuré et la gouvernance de ces établissements doit être améliorée de sorte qu’ils puissent fonctionner sur une base commerciale».

Le FMI dénonce également le manque de transparence des banques tunisiennes et l’absence de la supervision bancaire depuis 2006. Ce qui ne correspond pas aux principes de bonne gouvernance ou de transparence «vendus» depuis au moins 10 ans en Tunisie. Le FMI va jusqu’à soupçonner les créances accrochées des banques publiques d’atteindre les 8% du PIB, soit 5 milliards de dinars (5.000 milliards de millimes).

C’est donc aux marchés des capitaux, aujourd’hui, de promouvoir l’investissement; quant aux banques, elles doivent axer leurs opérations sur la récupération des créances et l’amélioration des données en dotant leurs banques de systèmes d’informations correspondant aux standards internationaux.

Grands temps donc d’être plus prudents en matière d’injection de liquidités dans le secteur bancaire, et d’accord de prêts à la consommation pour éviter que la faiblesse de l’économie induise la dévaluation de la monnaie nationale et mène à une inflation d’ores et déjà annoncée.

La BCT a annoncé au mois de février dernier son intention de renforcer la supervision bancaire et d’entamer un projet de réformes important des structures et établissements financiers. Chedly Ayari a annoncé, quelques semaines après sa nomination à la tête de la Banque centrale, le lancement d’une série d’audits externe la touchant ainsi que les trois banques publiques, la BNA, la BH et la STB. Il faut espérer que les inspections touchent au même titre les banques privées afin de vérifier la conformité avec la législation et le respect des procédures et la réglementation bancaires.

Pendant ce temps et alors que les équilibres économiques du pays sont sérieusement menacés, ce sont les bruits de bottes de la lutte contre la corruption que nous entendons de part et d’autres et «l’extermination» des symboles de l’ancien régime comme si dans l’état actuel des choses, nous étions en mesure de juger de qui a assuré mieux que l’autre… Et comme si la lutte contre la corruption, qui doit être du ressort des juges et non des ministres, devrait prévaloir à la lutte contre les déséquilibres régionaux, le chômage, la précarité ou la maladie.