Tunisie – Agressions contre les journalistes : Vers une grève générale?

Sauf intervention possible des pouvoirs publics, mais qui ne pourrait ne pas
être accompagnée d’un cortège de garanties visant la protection des
journalistes, l’intention semble aller tout droit vers l’appel à une grève
générale de l’ensemble du secteur de l’information. C’est que la dernière
agression en date des hommes de la plume, lors de la marche pacifique de l’UGTT
samedi 25 février, a fait réellement déborder le verre. Aussi, l’UGTT d’une part
–qui a exigé l’ouverture d’une enquête et la poursuite des agresseurs–, et le
SNJT (Syndicat national des journalistes tunisiens) d’autre part –qui propose
l’organisation d’une grève générale– sont-ils plus que jamais déterminés à
mettre un terme à cette pratique antidémocratique fort répandue du temps du
régime déchu.

Nouvelles lignes rouges?

Cela a commencé il y a plusieurs mois de là avec les hommes (et les femmes) de
la culture. D’abord, l’agression, injustifiée à ce jour, du cinéaste Nouri
Bouzid en plein jour. Puis a éclaté ‘‘l’affaire’’ du film de Nadia El Féni qui a
valu à la salle de cinéma l’Africa de bien lourds dégâts. Et enfin, côté
culture, l’affaire de Nessma TV liée à la projection de la BD Persepolis, du
reste une affaire encore en cours. Déjà, avec l’affaire Nessma, les journalistes
ont été placés dans le collimateur: l’agression subie par le directeur d’Al
Maghreb,
Zyed Krichène. Mais c’était, dans un premier temps, un avertissement
adressé aux hommes de la culture.

Est arrivé après le tour des journalistes. Quelque deux ou trois mille personnes
ont manifesté il y a environ deux semaines devant le siège de la Télévision
tunisienne afin de protester contre ce qu’ils ont qualifié de manque
d’objectivité et de neutralité dans le traitement de l’information. Des mots,
pour ainsi dire, creux et insensés puisqu’on ne désigne pas le mal – si mal il y
avait. On ne peut voir là qu’une intention claire de dresser de nouvelles lignes
rouges devant le travail des communicateurs.

La manifestation contre la Télévision tunisienne a vite été relayée par le grand
scandale du quotidien Attounsia dont on a, en un temps record, vite fait de
jeter le directeur en prison à cause d’une photo qui –disons-le très
franchement– n’a nui aux intérêts de personne ni n’a dérangé personne. Durant
plus de 50 ans, tous les journaux tunisiens ont régulièrement publié des photos
de femmes (des stars internationales) partiellement nues sans que cela ait
froissé la susceptibilité de quiconque. Pourquoi aujourd’hui, alors? (rappelons
que l’affaire d’Attounsia est elle aussi en cours).

Et enfin, la goutte qui a fait déborder le verre, à savoir l’agression de
quelques journalistes (coups et insultes) lors de la marche pacifique de l’UGTT,
samedi 25 février. Cette marche, voulue pacifique et censée être unilatérale, a
finalement fait l’objet d’une confrontation entre les syndicalistes et les
partisans du parti
Ennahdha. Mais alors, pourquoi en profiter pour agresser les
journalistes venus faire leur travail?

La vraie faute!

En fait, le procès intenté contre le directeur d’Attounsia (ainsi que toutes ces
affaires mentionnées plus haut) procède d’une nouvelle idéologie qui, depuis une
année déjà, se met petit à petit en place. En termes plus clairs, c’est un
modèle iranien, afghan ou saoudien qu’on se propose d’installer dans la société
tunisienne. Mais dans cette manière d’agir, on remarque beaucoup de
précipitation. Il n’y a pas eu encore d’élections définitives dans le pays.
Elles sont attendues dans un an ou un peu plus. Cela veut dire que le peuple
tunisien n’a pas encore dit son mot définitif quant à la manière dont il voudra
être gouverné. Que le principe devant régir les affaires politiques et sociales
du pays soit démocratique, islamiste ou islamique, peu importe (du moins pour le
moment). Mais qu’on mette déjà en pratique les contrecoups ou les garde-fous
d’une orientation politique non encore élue au suffrage universel, voilà la
vraie faute!

Attention à la grève!

L’impact des grèves n’est jamais le même pour chaque secteur. Lorsque les
éboueurs décident d’observer une grève, l’impact immédiat c’est les ordures sur
tous les trottoirs. Quand c’est le transport qui la décide, c’est la paralysie
qui touche à l’économie même du pays. Mais quand c’est le secteur de
l’information qui la décide, le danger est alors incommensurable. Quand on
observe une grève, c’est qu’on demande la réparation d’une injustice, ou
l’amélioration d’une situation. Or, la grève du journaliste va sonner autrement
dans les oreilles: ce serait abandonner la partie et se déclarer vaincu! Mais
cette brèche va très vite être comblée par ceux qui n’attendent que ce moment
pour imposer leurs points de vue et leur stratagème.

Il faudrait se dire que si les journalistes décident la grève, ils ne vont faire
peur à personne. A personne! Ils vont tout simplement offrir sur un plateau en
or la chance de s’exprimer (et imposer leurs lois) aux ennemis des libertés et
de la démocratie.

Aujourd’hui –et c’est malheureux de le constater– nous sommes entrés tous en
conflit les uns contre les autres. Les défenseurs des libertés face aux
obscurantistes de tous bords. Or, cette bataille, ce n’est ni l’éboueur, ni le
conducteur du bus, ni le banquier qui vont pouvoir la gagner; seuls les
journalistes –via une information réelle, consciencieuse, responsable– ont le
devoir de la mener de bout en bout pour éclairer l’opinion publique en
permanence, et faire en sorte que ce soit le peuple tunisien en entier qui
décidera de son sort.

Attention: la grève des journalistes risque de nuire aux intérêts de tout le
pays!