Quelles sont les chances de survie du régime syrien?

Le parti baâth au pouvoir en Syrie, chevaucheur de mythes depuis plus de 40 ans, a régné par la hache. Asservi la société entière. Investi tout l’espace public. Lézardé les liens sociaux. Bâillonné les voix libres et indépendantes. Abondé dans la phraséologie révolutionnaire. Verrouillé la vie politique locale. Et les lieux d’émergence potentielle de l’opposition. De la société civile. De la dissidence. Mais comme toujours, le fond finit par remonter à la surface.

syrie-manifest-110212.jpgLe régime, adossé à la minorité alaouite (15% de la population) durant des décennies, environné de complots internes et externes, vilipendé par de larges secteurs de l’opinion publique nationale et internationale, est actuellement en butte à une véritable insurrection. Encouragée et magnifiée, il faut l’avouer, par un environnement régional -Turquie, Jordanie et pays du Golfe surtout- soucieux de casser l’axe Damas-Téhéran-Beyrouth, d’installer de nouveaux rapports de force dans la région, de contenir le couloir propagateur des valeurs de la République islamique d’Iran et de redistribuer les cartes dans la bagarre multipolaire en cours. Eh oui, les temps changent, les alliances aussi!

C’est la tradition… En Orient, la rue intrigue, tripote, demande, consomme, calomnie et ruse pour éviter d’être trop gouvernée… Les voisins renardent, jouent un jeu de dupes, affaiblissent, attisent, excitent, aiguisent les appétits, ouvrent les bouches, profitent de la boîte de Pandore de la contestation et règlent de vieux comptes… C’est dans l’ordre. Dans une région du monde où les défis stratégiques et diplomatiques abondent, affirme un universitaire tunisien, habitué des arcanes moyen-orientales. Pour qui le temps passe vite en politique… Car, dit-il, hier encore courtisé, adulé, encensé et respecté, voici aujourd’hui Damas pestiféré, délégitimé, jeté aux orties.

Damas peut compter sur un soutien politique et confessionnel…

Finalement, quelles sont les perspectives de survie du régime Assadien? Quels sont ses atouts? Ses profondeurs stratégiques? Peut-il reprendre l’initiative de ses adversaires? Comment expliquer l’acharnement dont il est l’objet sur le plan international? Qui sont ses véritables alliés au niveau régional? Quels sont ses appuis politiques et sociologiques dans la bataille interne en cours? Arrivera-t-il à naviguer au milieu de tant d’intérêts et de passions contradictoires?

L’équipe au pouvoir en Syrie, frondeuse des intérêts occidentaux dans la région, drapée des oripeaux du nationalisme arabe, nous dit-on, et de l’aura de la lutte contre l’Etat d’Israël à travers un soutien assidu à la résistance libanaise et aux mouvements palestiniens radicaux, fait partie d’une sainte alliance régionale, qui a accompagné le triomphe des résistants du sud-Liban, relevé le gant devant l’arrogance de l’Etat hébreu et endossé la veine de la colère et du défi des masses arabes, orphelines depuis la déconfiture du projet nassérien, la défaite de l’OLP à Beyrouth en 1982 et l’enlisement des accords d’Oslo.

En fait, l’Iran des Mollahs, le parti chiite Eddawa au pouvoir en Irak, la communauté Alévite en Turquie (20 millions) et le Hezbollah au Liban, organiquement liés au régime alaouite de Damas sur le double plan politique et confessionnel, soudés grâce à des liens ancestraux et à des codes d’identification propres aux minorités religieuses, qui ont subi, depuis mille ans l’ostracisme, les brimades et le mépris du pouvoir central sunnite, sont la niche et la base arrière des baâthistes syriens, les réducteurs d’incertitude indispensables à la cohésion des partisans du régime, la grande coopérative résistancialiste aux projets hégémoniques des uns et des autres, les dispensateurs des symboles des déshérités de la région et la profondeur stratégique du président Bachar Al Assad, affaibli, stigmatisé, acculé, cloué au pilori, certes, mais dont les crocs contiennent encore quelques ultimes doses de venin. Dans une guerre de mots. De leviers. De résurrection. De renseignements. D’endurance.

In fine, si les monarchies sunnites du Golfe et leurs mentors occidentaux crient victoire, appellent à l’internationalisation des affaires intérieures syriennes et goûtent à leur revanche en voyant le principal allié de la République islamique d’Iran s’empêtrer dans des déboires internes, pousser la complainte du disgracié et recevoir le plus grand nombre de volées de bois vert, les intérêts des maîtres de Damas demeurent quand même endurants. Grâce, affirment des stratégistes, au soutien indéfectible de la Russie et de la Chine au Conseil de Sécurité et à la solidarité millénaire des coreligionnaires chiites et alaouites, partisans de la maison du prophète.

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