OPINION Tunisie : Ennahdha… Sur quel pied danser?

ennahdha-191011.jpgVendredi dernier, la salle était remplie, sans plus. Bien moins de monde que lors du meeting avec Rached Ghannouchi au mois de mars dernier. Le parti politique tunisien donné favori perdrait-il du terrain? Peut-être particulièrement à Hammamet, ou est-ce juste dû au fait que les têtes d’affiches n’assistent pas à la réunion? Retour sur un vendredi de présentation de la liste de Nabeul 2 en lice pour l’Assemblée Constituante.

Le cérémonial des meetings Ennahdha sont toujours les mêmes. Des salamalecs, des versets de coran et des accolades. La présentation commence par l’hymne national. Un hymne différent qui ne ressemble pas à celui que chantent les Tunisiens. Enlève-t-on le fameux vers de Abou Alkacem Chebbi qui dérange? Non. Mais ce chant n’est-il pas censé être le même pour tous? De quel droit Ennahdha prend-elle des libertés avec un des emblèmes de la nation? Ne devrait-on pas inscrire l’hymne national dans la Constitution? Les libertés avec le drapeau ou l’hymne d’un pays ne devraient-ils pas faire l’objet d’une sanction? La question mérite d’être posée, surtout à quelques jours des élections de la Constituante.

Dans la salle, les présentations de la liste de Nabeul 2 commencent. La parole est donnée en respectant l’alternance femme/homme. Hajer Majdoub est médecin. Elle vit dans le Cap Bon depuis plus de 20 ans mais n’en est pas originaire. Mère de 3 enfants et voilée, le médecin ressemble peu à la tête de liste de Tunis, Souad Abderahim, une pharmacienne quadragénaire qui, le jour de la présentation du programme économique du parti à Tunis, a été invitée à monter sur scène auprès de Rached Ghannouchi, Mohamed Jebali et Samir Dilou. On lui avait rajouté une chaise à la dernière minute!

Penser que la participation de la pharmacienne est faite pour donner une bonne impression et montrer qu’Ennahdha est ouvert à toutes les Tunisiennes, c’est aller trop vite en besogne! Reste que lors d’une conférence sur les «Femmes et la Politique» au cours de la semaine écoulée, cette même militante, tête de liste de Tunis, a été prise à parti par d’autres militantes d’Ennahdha, des militantes nettement plus radicalisées. Distorsions au sein du parti ou luttes de pouvoirs? Toutes les suppositions sont possibles. Dans tous les cas, et pour en revenir à la liste de Nabeul 2, trois femmes sur trois sont voilées. Mais qu’est-ce à dire? A chacun sa liberté!

Hajer Majdoub appelle dans sa prise de parole la salle à aller voter en masse le 23 Octobre. Elle parle vivement à celles qui ne se sont pas encore décidées. Celles qui hésitent ou qui ont peur: «Ne vous fiez pas à la désinformation. Il n’y aura ni polygamie ni répudiation…», dit-elle. Pourtant, le message passe difficilement. Ces droits sont des acquis que les Tunisiennes ne sont pas prêtes à perdre. Nombreuses sont celles qui, semblant proches du parti, sont convaincues de ne pas voter pour lui. Entre celles qui ont peur pour elles et leurs filles et celles qui se refusent à mélanger la politique à la religion, elles sauront pour qui voter dans l’isoloir!

Y aura-t-il pour autant un vote “Femmes“ durant ces élections? Rien n’est moins sûr. Actuellement des spots radios et télévisions passent en boucle des messages pour inciter les femmes au vote. Par voie de SMS, Facebook et affiches, une campagne en cours finira le 20 Octobre. Celle-ci utilise un enfant comme prescripteur. S’adressant à sa maman pour lui demander d’aller voter, l’enfant compte sur elle pour exprimer ses attentes quant à l’édification d’une société meilleure.

Au terme de plusieurs journées de rencontres sur le terrain, les intentions d’abstention semblent se confirmer. Le parti de ceux qui ne savent pas encore pour qui voter serait-il encore le plus important? Les récents événements liés à Sousse et à la diffusion du film «Persépolis» ont-il décidé les hésitants? Les salafistes ont, suite à une semaine sous haute pression, donné une idée funeste de leur vision de la Tunisie. Ces évènements ont-ils réveillé ceux qui avaient plutôt tendance à leur faire confiance?

Il est trop tôt pour le constater. A quelques jours de la date des élections, cela sonne le glas. A qui profitera cet abstentionnisme? A qui profitera l’opportunité offerte par Nessma Tv aux islamistes? Les partis démocratiques ne sont-ils pas aussi tous un peu responsables de ce boulevard ouvert devant Ennahdha? Cette dernière ne nargue-t-elle pas les Tunisiens en affichant autant de réussite faisant peu d’égards aux résultats des urnes avec notamment les récentes déclarations assez arrogantes de Rached Ghannouchi? Pour la dernière ligne droite, l’enjeu est d’expliquer que ne pas voter, c’est donner tout de même sa voix! Les partis politiques et listes indépendantes se les disputent, voix après voix sur le terrain.

Retour à Hammamet où le meeting d’Ennahdha bat son plein. Dernier dans la liste Nabeul 2, Ahmed Gaaloul est considéré comme une des têtes pensantes du parti. Le militant est originaire de Hammamet et y est populaire. Il s’empresse d’attaquer son discours par le tourisme en précisant qu’«Ennahdha n’a pas d’attitude envers le secteur mais plutôt un projet». Il reviendra sur un incident qui a eu lieu quelques jours auparavant. A la présentation du programme de son parti à un Forum devant des professionnels, Ahmed Gaaloul n’a pas réussi a exposé son projet. Il n’a pu établir le contact à cause d’un excès de méfiance, d’incommunication et d’adaptation de son discours.

Pour construire une Tunisie meilleure où il ferait bon vivre, il faut rassurer et convaincre. Et Ennahdha n’y parvient pas. Bien qu’elle ne cesse de soigner son image en mettant en avant un modèle «soft» et adapté à la démocratie en citant souvent l’APK et l’exemple turc, le doute persiste. Si les Tunisiens croient en Ennahdha pour ce qu’elle apporterait au niveau «Morale» croiront-ils pour autant en ces programmes économiques et son modèle sociétal dans son ensemble? Contrairement aux radicaux dont elle veut se démarquer et qui, eux, ne semblent pas craindre la mauvaise publicité, Ennahdha tente de rassurer en cherchant une forme consensuelle pour affronter l’avenir. Elle n’y parvient pas forcément!

La présentation de la liste en lice pour gagner les élections de l’Assemblée Constituante au Cap Bon, au même titre que tous les discours et autres déclarations de ses militants, est précédée par une mention, toujours la même: «La nouhallilou ma haramahou elleh». Et c’est bien là que la communication et la confiance se brisent.

Comment ne pas penser au double langage? Comment se prémunir contre ceux qui auraient l’intention de marquer la nouvelle Tunisie de leur empreinte idéologique? De gré ou de force… Au vu de l’escalade de ces dernières semaines, on pencherait plus du côté de la force! Au regard des récentes déclarations de Rached Ghannouchi, on serait tenté de penser arrogance. Le leader d’Ennahdha a parlé hier sur les ondes d’une radio française d’une forte présence en déclarant «qu’ils gouverneront longtemps»! Des déclarations pour influencer sur la dernière ligne droite ou une déclaration preuve que le mouvement Ennahdha ne peut pas être accrédité du taux qu’il avance? Tant que nous n’aurons pas le résultat des scrutins, personne ne connaîtra le poids réel de l’islamisme politique en Tunisie et nul ne pourra répondre, ni se hasarder sur l’avenir du pays.

Entre ceux qui surestiment et ceux qui sous-estiment le poids des islamistes, il y a un gap qui marquera assurément une nouvelle page de l’histoire de la Tunisie.