Textile-Habillement : Les jeunes créateurs tunisiens réclament la confiance des industriels

textile-13052011-art.jpgAvoir confiance en notre jeunesse créative c’est impératif pour construire un
modèle économique basé sur l’innovation; innovation devenue la base de tout
progrès et développement dans une économie ouverte aux marchés extérieurs. Ce
qui est évidemment le cas de notre pays, qui a besoin plus que jamais de ces
jeunes compétences, dans cette période cruciale de son histoire. Mais
faudrait-il que nos industriels comprennent cette dimension vitale pour notre
pays.

Dans le secteur textile-habillement, on avait appelé depuis des années à
réaliser ce saut qualitatif tant souhaité, celui du passage de la sous-traitance
à la co-traitance et au produit fini. Des entreprises innovantes, il en existe
mais leur nombre est très limité par rapport à un tissu industriel qui s’est
frayé son chemin, depuis déjà la promulgation de la loi 72, sur le marché
européen. Elles sont près de 2.100 entreprises qui opèrent dans le secteur
actuellement, employant plus de 200 mille personnes.

C’est un secteur qui a longtemps bénéficié de l’appui de l’Etat, ayant fait face
à des difficultés structurelles. Les entreprises du secteur ont été parmi les
premiers à profiter du Programme de mise à niveau industriel. Aujourd’hui, le
secteur textile-habillement tunisien a réussi à se positionner au 5ème
fournisseur de l’Europe -et 2ème fournisseur de la France- en habillement mais
aussi d’être classée 2ème exportateur par tête d’habitant au niveau mondial.

Au-delà de la sous-traitance…

Mais la Tunisie a toujours été perçue comme un hub de la sous-traitance.
Plusieurs enseignes internationales se sont installées sur le site Tunisie,
motivées qu’elles sont par la proximité et la main-d’œuvre qualifiée. Ce qui a
confiné une majorité de
textilens tunisiens à de simples exécuteurs de modèles
prêts conçus. Une réalité qu’on a voulu, ces dernières années, faire évoluer
pour faire connaître les compétences tunisiennes en matière d’innovation et de
créativité. Il ne s’agit pas non plus de supprimer la sous-traitance qui est une
composante très importante de l’activité du secteur, mais de la renforcer par
des services et des prestations, de montrer plus de rigueur dans le respect des
délais et un professionnalisme dans la maîtrise de la technique et plus
d’offensive dans l’approche des marchés extérieurs.

Une chose est sûre: le passage à la co-traitance et au produit fini requiert des
moyens financiers et humains importants. C’est un investissement colossal pour
l’entreprise, exigeant une refonte de son schéma d’investissement. Mais il
s’agit aussi d’un processus à forte valeur ajoutée, permettant à l’entreprise
d’évoluer et de faire des pas de géant dans l’industrie textile locale et
pourquoi pas étrangère, dans une seconde phase.

Cet objectif ne pourra se réaliser sans le recours à de jeunes compétences
créatives. Le secteur compte plusieurs instituts et centres de formation qui
font sortir chaque année des centaines de diplômés. Croire en ces jeunes
compétences est indispensable pour effectuer le saut qualitatif dans le secteur.
Mais faudrait-il aussi que les profils répondent aux besoins des professionnels.



Répondre aux besoins…

Récemment, une école de formation des métiers de la mode a ouvert ses portes au
Centre Technique du Textile. Sa création répondait à des besoins de formation
exprimés par les entreprises. Sa spécificité découle du fait qu’elle est créée
en partenariat avec Mod’spé Paris, une école de formation bien reconnue au
niveau mondial. Son intérêt repose sur le recours à des formateurs français
professionnels qui exercent déjà dans les grands groupes du textile-habillement
français, et qui forme pour le compte de Mod’spé Paris et de l’Académie
Internationale de la Coupe (AICP).

TTrois parcours modulaires qualifiants ont été lancés pour inaugurer cette
nouvelle école, à savoir le chef de produit, le modéliste industriel et le
styliste industriel. Les deux premiers parcours se sont déjà achevés. Treize
étudiants sont en train de suivre le troisième parcours. Nous en avons rencontré
quelques-uns au salon
Texmed 2011.

Cette rencontre fortuite nous a permis de cerner certaines problématiques
relevées par ces étudiants, dont la majorité a déjà suivi une formation dans les
instituts et les centres de formation professionnelle dans le secteur. Pour
Mounira Somai, la formation à l’école des métiers de la mode a été très
bénéfique. «Les connaissances que nous avons acquises n’ont rien à voir avec
celles que nous avions auparavant. On nous a appris à créer et à user de notre
intelligibilité et notre curiosité pour innover et donner une valeur ajoutée à
nos créations», lance-t-elle.

Un manque de confiance…

Les débuts n’étaient pas faciles pour ces jeunes créateurs. Avec un diplôme à la
main, ils espéraient intégrer des entreprises qui leur donneraient l’opportunité
de créer et d’innover. Mais la réalité en est tout autre. «Après avoir intégré
l’entreprise comme stylise, on m’accordait la tâche de graphiste. J’ai appris
qu’il y a un manque de confiance en la compétence des stylistes tunisiens. Les
entreprises ont recours, pour la plupart du temps, à des stylistes étrangers.
Pour d’autres, on ramène les cahiers de tendance de l’étranger et on demande au
styliste de les copier. Ceci nous a fortement intimidés», nous a affirmé le
styliste Zied Derouiche, qui a fait trois ans de stylisme dans un institut
spécialisé dans le secteur.

De son côté, Zoubair Kâanech nous a confie qu’il a suivi cinq années de design
textile, moins bénéfique que les quelques mois qu’il a passé à l’école des
métiers de la mode. Cette formation pratique lui a permis d’acquérir des notions
nouvelles et un esprit nouveau pour développer sa créativité. «Je pense que,
dans certaines entreprises, il y a une confusion voire une incompréhension entre
le rôle du styliste et celui du modéliste. Ce qui nous rend la tâche bien
difficile lorsque nous intégrons le milieu professionnel», estime-t-il.


Chercher la reconnaissance…

Comme Zied, Zoubair souligne qu’il y a un manque de confiance dans les
compétences des jeunes créateurs, affirmant qu’il n’arrive pas à trouver la
bonne opportunité en Tunisie puisque les diplômes tunisiens ne sont pas assez
reconnus. Il a été encouragé à suivre la formation au CETTEX, avec l’espoir que
l’obtention d’un diplôme tuniso-français lui permettra une reconnaissance de ses
compétences. Zoubair a l’ambition de créer un bureau d’études qui regroupera ces
collègues de l’école des métiers de la mode. «J’ai déjà lancé auparavant un
bureau qui n’a pas marché. Mais je pense qu’en étant un groupe, où chacun a un
point fort à mettre en valeur, ceci est réalisable», espère-t-il. Une ambition
qu’il souhaiterait concrétiser avec l’appui du CETTEX.

Ces témoignages font émerger aussi des problématiques au sein du système de
formation publique dans le secteur. Une formation que ses élèves jugent comme
non adaptée aux besoins du moment, et en décalage avec les besoins du marché.
Espérons que cette lacune sera rectifiée au plus vite pour permettre au secteur
de se repositionner efficacement, et que les industriels reprendront confiance
dans les jeunes compétences et donc de leur ouvrir grandes les portes de la
créativité.