Quand l’économie mondiale se met à la finance islamique

Par : Tallel

De Weber à Huntington, les intellectuels du monde occidental ont martelé l’idée
selon laquelle la religion musulmane ne serait pas soluble dans le capitalisme
–sous-entendu, dans la modernité. Pourtant, force est de constater la
prolifération de mutations économiques et sociales allant dans le sens inverse
de ces déclarations, via l’élaboration d’un système financier où l’islam est à
la base de chaque produit.

Parce que le Coran interdit la pratique outrancière de l’intérêt sur des fonds
monétaires (riba, qui littéralement signifie « augmentation »), les groupes
bancaires ont créé des produits répondant spécifiquement aux besoins des
croyants. Née dans les années 60 en Egypte et en Malaisie sous l’impulsion
d’économistes ayant constaté la méfiance de populations locales vis-à-vis du
système bancaire traditionnel, les fonds islamiques pèsent à ce jour 500
milliards de dollars, et bénéficient d’une croissance annuelle moyenne de 15%.

L’exigence de transparence des transactions, de symétrie de l’information entre
les parties, de solidarité et de justice sociale que l’on retrouve dans les
grands principes de la finance islamique font écho aux débats actuels sur
l’absence de moralité du capitalisme.

La finance islamique draine pourtant son lot d’imperfections : ses contrats de
crédit apparaissent, encore souvent, plus coûteux que les produits financiers
conventionnels. Certains observateurs dubitatifs dénoncent même un pur montage
marketing visant à appâter le musulman pieux. L’alternative peine d’ailleurs à
se mettre en place de façon homogène dans le monde musulman, confirmant la
grande diversité de celui-ci. Pionniers de la finance islamique, les pays du
Golfe et la Malaisie caracolent en tête pendant que les pays du Maghreb,
pourtant de bons clients potentiels, n’en sont qu’à leurs balbutiements.

Les pendules de l’économie mondiale en crise à l’heure de la finance islamique

«La finance islamique, loin de représenter un recul, ou une abdication face à la
religion, est, au contraire, le signe que l’on peut, avec un peu d’imagination
et de savoir-faire, marier tradition et modernité, religion et économie», a
écrit Hervé de Charette, ancien ministre des Affaires étrangères français (1).

Apparu dans les années 70 à grande échelle (2), le concept de finance islamique
a connu un véritable essor depuis, surfant sur la vague du boom pétrolier dans
les émirats, survivant au déclin –certains diraient l’échec- de l’islam
politique, et profitant du regain de religiosité mondial caractéristique des
années 2000. Il existe aujourd’hui environ 345 institutions de finance islamique
répertoriées dans quelques 70 pays du monde.

Le potentiel du marché bancaire islamique est estimé à 4.200 milliards de
dollars par le cabinet d’expertise Standard & Poor’s. Ces prévisions sont
d’autant plus plausibles que les fonds islamiques ont prouvé leur résistance en
traversant tête haute la tempête subie par la mondialisation financière. «Dans
des pays comme le Royaume-Uni, les actifs islamiques ont continué de croître
malgré la sévérité de la crise des subprimes et malgré le credit crunch qui s’en
est suivi», peut-on lire dans le rapport Jouini-Pastré de 2009.

Cela n’a pas échappé aux ténors de la finance occidentale : HSBC, le Crédit
Suisse, ABN-AMRO et Deutsche Bank ont créé dès les années 90 des branches dites
de «finance islamique», visant à récupérer dans leurs filets des expatriés pieux
& fortunés de Londres, Paris, Amsterdam ou Madrid, ainsi que la haute
bourgeoisie des Emirats et du Maghreb. Ce calcul s’est rapidement avéré très
rentable.

Contents de pouvoir proposer une voie alternative à la crise économique, les
leaders occidentaux n’hésitent pas à surfer avec opportunisme sur la vague
islamique. La Grande Bretagne a été la grande pionnière en la matière : des
assouplissements fiscaux ont été mis en place afin de « promouvoir le
Royaume-Uni comme un centre de la finance islamique » (Rapport du Budget 2009).
Début 2008, Rowan Williams, archevêque de Canterbury et chef spirituel des
anglicans, a même choqué l’opinion en se déclarant favorable à l’application de
la charia pour les affaires financières.

Depuis ces mouvements outre-manche, Christine Lagarde a multiplié les
déclarations en faveur de la finance islamique et rédigé un programme fin 2008
instaurant la neutralité fiscale des opérations dites de «murabaha» et la
déductibilité de la rémunération versée par les sukuks. «Nous adapterons notre
environnement juridique pour que la stabilité et l’innovation de notre place
financière puissent bénéficier à la finance islamique» a déclaré la ministre des
Finances en juillet 2008.

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(1) En préface de l’ouvrage La finance islamique à la française: un moteur pour
l’économie, une alternative éthique, paru aux éditions Secure

(2) La finance islamique existait déjà dans les années 60, mais sous une forme
tout à fait locale. La première banque islamique a été créée en 1963 en Egypte.

(Source :

http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2009/08/20/quand-l-economie-mondiale-se-met-a-la-finance-islamique_1230104_3232.html
)