Professeur Benton E GUP de l’Université de l’Alabama : Une certaine lecture de la crise financière

A son dernier déjeuner débat mensuel, la Tunisian american
chamber of commerce (TACC) avait reçu, le mardi 26 mai, Professeur Benton E. GUP,
du Collège de commerce et d’administration des affaires Culverhouse à
l’Université d’Alabama qui a donné une conférence sur le déroulement de la
crise, les mesures publiques qui l’ont suivie et bien entendu les conditions de
la reprise.

benton_gup1.jpgLe
Professeur Gup est spécialiste de banque et de finance, et bien entendu
privilégie les faits dominants d’ordre bancaire et financier dans la
détermination de la crise. A aucun moment il ne remet en doute les préceptes
de l’Ecole libérale à laquelle il est formé. Le retour des Etats de son
point de vue dans l’arène économique n’est pas une négation de la thèse du
marché qui se régule de lui-même. Ce n’est qu’un aspect factuel et non point
un coup de barre définitif qui annoncerait le retour de l’économie mixte et
de l’Etat comme régulateur et opérateur.

Les faits sont là et s’imposent à tous. La part des banques d’affaires qui
ont bénéficié d’une franchise totale de réglementation, ces fameuses «shadow
banks» est prépondérante. Mais le marché global n’est pas pour autant lavé
de toute cécité dans l’allocation hasardeuse des ressources. En moins d’une
décennie, on encaisse, coup sur coup, la bulle technologique puis Enron et
consorts et patatras la grande dépression.

L’initiative privée, il n’y a rien à y redire. Et pour le marché global,
désolé il faudra oublier. La spéculation à outrance n’a pas créé de la
valeur, elle a fait que les shadow banks pour un dollar de capital accordent
33 dollars de crédits au mépris de toute attitude prudentielle. Elle a
usurpé de la valeur.

Le conférencier, avec beaucoup de réserve académique évoque la croissance
urbaine en Amérique et fait toutefois l’impasse sur la bulle immobilière. Il
omet, de notre point de vue, un élément de taille. Ajouter qu’il néglige
également la défaillance des agences de notation et ne cite les «subprimes»,
ces crédits outranciers, que comme un point de détail de la crise.

Professeur GUP pense que le système a traversé une crise de croissance. Ne
passe-t-il pas à côté d’une métamorphose plus profonde. Alignement
doctrinaire ou lecture biaisée de la réalité ? Explications.

Quel rôle ont joué les «shadow banks» dans le déroulement de la crise ?

Elles ont joué un rôle majeur qui est plus important que celui des banques
de dépôts (banques à réseaux), car elles ont procuré au système des
ressources abondantes qui ont permis d’amplifier la crise. Ajouter qu’elles
n’obéissent à aucune réglementation ni à l’échelle nationale ni de par le
monde. De ce fait, elles ont abusé de l’effet en prenant des engagements au
multiple de leurs ressources.

Il y a 8.000 banques aux USA. Moins de 20% d’entre elles détiennent environ
80% des actifs. Cette concentration a-t-elle aussi joué un rôle ?

Cela a activé l’extension de la crise à l’économie réelle. Si les grandes
banques ont eu la possibilité de se refaire car elles ont été renflouées,
les banques de petite et moyenne taille manquent encore de liquidités et ne
peuvent distribuer autant de crédits que le demande leur clientèle qui se
retrouve ainsi frustrée de ressources. Ces banques ont un network local, ne
peuvent donc diversifier leur portefeuille d’actifs, et si jamais le marché
de l’immobilier ne se redresse pas, elles connaîtront de graves difficultés.

Le principe comptable de la «juste valeur» (Fair value ) a-t-il, selon vous,
également joué un rôle?

Oui, je le pense. On va prendre un exemple de banque qui a 100 à l’actif
financé par 10 de capital et 90 de dépôts de clients ou d’investisseurs. Le
principe de juste valeur veut que la banque valorise l’actif au prix du
marché. Alors, quand la crise est survenue, les crédits «subprimes» ont été
dévalorisés. La banque a dû réduire la valeur de ces titres et en face
réduire son capital. Dans certains cas, le capital a été complètement
englouti et cela quand bien même les clients continuent de rembourser. La
banque se trouvait dans une gêne financière, indûe.

Vous évoquez le boom de l’habitat du fait de la vague d’urbanisation
américaine. Qu’en est-il de la bulle immobilière ?

Depuis 1970 à ce jour, la population américaine est passée de 200 à 300
millions d’habitants. C’est un bond de 50% en moins de 40 ans. Il y a eu un
flux d’émigration considérable. Les émigrants ont une préférence pour les
Etats du Sud du pays. Cela a fait «exploser» les villes. Los Angeles et ses
environs comptent à l’heure actuelle 17 millions d’habitants ! Phoenix ou
Orlando, des villes, convenons-en, d’importance moyenne ont vu leur
population dépasser les 5 millions d’habitants. Ajouter à cela un certain
engouement des Américains du nord pour des maisons de vacances dans les
régions côtières du sud du côté est (la Floride) comme du côté ouest (la
Californie) et vous comprendrez un peu le boom immobilier qui s’est produit
aux Etats-Unis.

«Too big to fail». Ce principe n’a pas joué en faveur de Lehman Brothers
qu’on a laissée couler. Pourquoi ?

L’histoire nous dira si c’est une grave erreur ou pas. Pour ses
actionnaires, c’était une banque «Too big to fail». Mais en réalité, elle
n’avait pas la dimension d’une banque systémique. Son crash n’a pas empêché
le système de continuer à tourner.

Elle a pourtant déclenché la crise de confiance, non ?

-c’est vrai !

La crise des subprimes, c’est 200 milliards de dollars d’impayés. Elle a
généré 24.000 milliards de dollars de chute de capitalisation boursière.
Comment expliquer que le marché détruise de la valeur ?

Les marchés, c’est connu, montent et baissent. C’est dans l’ordre des
choses. Mais regardez, à présent le marché anticipe la reprise et les gens
spéculent sur les valeurs qui pourraient reprendre de la plus-value.

Les agences de notation n’ont elles pas été défaillantes ?

Les Agences comme se basent sur les séries historiques et non sur des
prévisions. Alors fatalement elles peuvent se laisser surprendre.

De l’extérieur l’Amérique apparaît comme le prédateur de l’épargne
financière du monde. Quelle part de vérité ?

Non, ce n’est pas vrai. Gardez à l’esprit que les plus grandes banques du
monde sont surtout européennes et ensuite américaines. En 2007, la première
banque du monde était la banque royale d’Ecosse, suivie de Deutsche Bank
puis de HSBC et de Barclay’s. Citigroup n’arrive qu’en 7ème position, et
toutes ces banques internationales ont participé de près ou de loin à la
crise. Nous ne sommes pas prédateurs, nous sommes contributeurs à la finance
mondiale.

A l’heure actuelle, les banques américaines se sont recapitalisées et
concentrées. Est-ce que c’est sécurisant ?

Ce n’est pas un phénomène propre aux Etats-Unis. Il se réalise dans d’autres
pays dans le monde. En Angleterre, quelques banques majeures dominent le
marché, c’est pareil pour l’Allemagne ou la France. Ce phénomène est de
nature économique, il est dicté par les rendements d’échelle. Et cela vaut
pour d’autres secteurs tel l’automobile par exemple. Ce peut-être
stabilisant en certaines circonstances et inversement. Il y a des activités
où il n’est plus envisageable d’opérer à petite échelle.

Les pouvoirs publics américains ont utilisé les instruments monétaires et
fiscaux. Mais y aura-t-il un 2 ème «New Deal» ?

L’urgence était de stabiliser le système financier. A présent on peut
considérer que c’est fait. Ensuite, on s’est occupé de stimuler la reprise.
En matière d’investissement public, des fonds ont été alloués aux Etats pour
des investissements d’infrastructure. Mais je ne vois pas de New Deal se
profiler à l’horizon.

Le nouveau modèle économique des banques sera-t-il celui de la banque à
réseau?

C’est partiellement vrai. Il y a beaucoup d’établissements de crédits qui se
profilent derrière la dénomination «Banque» et il est possible que toutes
les activités relèvent d’un agrément unique. La question est dans les
esprits mais pas encore dans les textes. Il faut réfléchir à un cadre
juridique qui puisse uniformiser la profession.

Le plan de sauvetage des banques américaines a-t-il épongé toutes les
créances «toxiques» ?

Non, elles sont encore. L’assainissement est en cours mais prendra du temps.
Avec la reprise le taux de récupération pourrait s’améliorer

La profession bancaire américaine acceptera de se ranger définitivement sous
une réglementation contraignante ?

Nous avons l’habitude de vivre en régime réglementé. Et cela remonte à 1800
! Il existe différents paliers de réglementation tel la loi fédérale, les
lois des Etats, celle de la FED, la Commission du marché financier. Le tout
est de les consolider et de les harmoniser. Cela doit prendre du temps pour
les uniformiser. Mais ce qu’il faut par ailleurs, c’est une coordination
internationale pour avoir des standards communs planétaires auxquelles
plieraient les banques globales. C’est en cours de négociation avec le
comité de Bâle, et ça va dans la bonne direction.

Quel est votre pronostic sur la relance ?

On commence à voir le bout du tunnel aux Etats-Unis et même en Russie qui a
connu une profonde dépression. Maintenant, il faut que le retournement soit
général. Et ça se fera à la cadence de chaque pays. Elle reste fragile mais
ça vient. Elle peut être contrariée par des facteurs externes tel la hausse
des prix du pétrole laquelle peut grever les revenus des gens et réduire
d’autant leurs autres dépenses affaiblissant la reprise. Il y aura donc
certaines disparités entre les pays dans les rythmes de reprise et je pense
que 2010 sera l’année du retour de la croissance comme le pensent la plupart
des observateurs.