Reportage : Dubaï ou la folie du “never seen before” !

dubai-borj1.jpgDubaï
est aujourd’hui une destination touristique. La frénésie de la construction
qui s’est emparée d’elle a irrémédiablement transformé le visage de la
ville. En moins de 10 ans, pas moins de 150 hôtels sont venus composer une
offre touristique des plus complètes. Golf, croisière, shopping, centres de
congrès, spa… seul produit absent à l’appel : les casinos, et pour cause !

Dubaï fonctionne sur le principe du «client est roi». Dès que l’on est
touriste ou «expat», entendez par-là touriste longue durée, et que l’on
dépense de l’argent, on est traité en VIP.

Les endroits les plus branchés de la ville vous envoient un Sms de
remerciements et des vœux de prospérité une demi-heure après la fin du
repas. Histoire de fidéliser et de gonfler l’égo.

Dans cet univers de luxe et de dorure se cache aussi une violence douce et
sournoise qui peut débouler, au moment où l’on s’y attend le moins.

Elle se traduit par la violence contre un employé dans une bijouterie ou
encore par une violence verbale contre de jeunes indiens travaillant sur un
chantier et profitant d’une pause, sans doute méritée, pour abuser du regard
sur les rondeurs de jolies blondes offertes au soleil. La scène se déroule à
la plage. L’intervenant est un jeune dubayote de 29 ans. Il s’estime
responsable et «dans son devoir de protéger l’image de marque de Dubaï. Ce
travailleur n’est pas payé pour gêner les touristes». L’incident est clos.
Sur les écrans de télévision, des campagnes de sensibilisation au bon
traitement des employés passent en boucle.

Le client est roi. Vraiment ?

La ville mise sur le tourisme et y a réussi, jusqu’ici. En deux temps, trois
mouvements, les plus grandes chaînes hôtelières internationales édifient des
palaces. Les marques les plus prestigieuses se bousculent au portillon. En
quoi Dubaï est-elle différente d’une autre destination touristique ? Quels
sont les attraits que présente la ville ? Dubaï avec des charters venant de
Russie, ses méga hôtels et centres d’animation touristiques serait-elle en
train de devenir la nouvelle destination de ‘’tourisme de masse luxueux’’ ?

La ballade dans «Médinat Jumeirah» vaut le détour. (Ce centre est le concept
plus proche de notre Yesmine Medina à Hammamet). Elle est édifiante sur un
point. Le meilleur des cultures environnantes y est valorisé. Le concept
repose sur une identité orientale profondément réfléchie. Deux hôtels cinq
étoiles (Elkasr et Medinet Essalem) encerclent un somptueux centre
d’animation touristique situé en bord de mer.

Au-delà du projet, on soupçonne, peut-être à tort, une véritable volonté de
construire une image de marque de la culture arabo-musulmane. Dans les
centres de ce «hadicarft shopping center» on tente aussi de protéger un
savoir-faire millénaire, précieux et raffiné en danger. Dans les souks, ce
sont des produits d’artisanat d’Inde, d’Iran et du Maroc qui sont fortement
présents. Le complexe d’animation touristique est parfaitement conçu.
Certains trouveront le résultat approximatif ou superficiel alors que
d’autres applaudiront la démarche. En tout cas, il s’y dégage une ambiance
kitch, plaisante et harmonieuse.

Ce jour-là, le centre accueille le congrès de la poésie arabe. Dans la
presse, l’évènement est surmédiatisé. Dans l’un des salons qui abrite la
manifestation, on me chuchote que le Cheikh Al Maktoum s’est rendu à une
session dédiée à notre poète national Abul kacem Ecchebi.

Bien plus loin dans la ville, les plus beaux bateaux du monde entier sont
exposés dans le cadre du «Boat Show». L’opération draine un monde fou venu
de toute la région, malgré la crise. L’exposition se déplacera à Abu Dhabi
la semaine suivante.

Entre-temps, dans le centre d’animation culturelle et touristique, les
jeunes mamans sortent avec enfants et baby-sitters. Les touristes déambulent
nombreux et abasourdis par tant d’opulence. Il faut croire que la partie est
gagnée d’avance. On arrive à Dubaï, comme conquis d’avance. Des images plein
la tête, des records en mémoire et des images fortes d’une ville réelle bien
loin d’être un mirage. Les budgets de communication de l’émirat sont parmi
les plus élevés du monde et ses services les plus performants.

Les touristes sont abasourdis par la profusion. Les eaux coulent à flots,
les jardins sont luxuriants, le service y est impeccable et la sécurité
totale. Ils sont étonnés par le zeste de folie qu’il a fallu pour imaginer
tout cela. Dubaï finit par impressionner. Peut-être est-ce déjà dans le
mythe créé que s’est joué la partie ?

Dans le «Bordj El Arab» qui fête cette année son dixième anniversaire, plus
de 1.800 employés travaillent dans ce qui se définit comme un temple du
luxe. Les employés représentent 92 religions et de plus de 100 nationalités
différentes. Les médias ont convenus d’appeler cet hôtel le seul 7 étoiles
du monde, mais «Un 7 étoiles, cela n’existe pas», précise Maissa Terkawi
Kassem, PR Manager Corporate Communications de Jumeirah Group, que cette
mention fait sourire. «Nous sommes un 5 étoiles. Un vrai palace où le
service est l’un des plus performants du monde».

Pas étonnant que cet hôtel ne connaisse pas la crise. Le service est au cœur
de la machine. «Même le programme de training de n’importe quel client est
gardé en mémoire dans le centre de fitness. «Nous sommes 3 employés pour un
client», résume Kais Lahiani, Guest Services manager, un Tunisien
travaillant depuis 3 ans dans cet hôtel.

Il  y en a pour tous les goûts

Pour réaliser le travail titanesque qui a été réalisé dans l’émirat, il faut
s’éloigner de la ville. C’est en la quittant, avec sa folie, son faste et sa
charge euphorisante pour une incursion dans le désert que l’on mesure les
véritables défis relevés. Dans ma douce retraite sur les dunes de sable, il
me paraît invraisemblable que Dubaï, il y a encore quelques années, n’était
qu’un bout de désert. Marchant sur le sable fin, j’imagine très
difficilement que là où s’érige désormais la «Dubai Media City» ou «Dubai
Health City» n’était qu’une succession de dunes magnifiques. Il est bon de
se reposer de cette ville. Juste se débarrasser de ses excès écrasants.

De retour dans la ville, je me rends au vernissage de l’exposition «Chagall
Picasso». L’événement est mondain. Les femmes sont en robe longue et les
hommes en costume papillon. Ici et là les gens partagent un instant de
convivialité. Durant mon court séjour, je ne savais où donner la tête. Dubaï
recevait une exposition internationale de bateaux de plaisance, un festival
des arts culinaires, le Festival de la poésie arabe, et j’en passe…
L’événementiel est au cœur du dispositif de la stratégie de Dubaï. Les
événements les plus prestigieux du monde sont désormais présents dans la
ville. Dubaï pourra-t-elle se révéler une capitale culturelle pour autant ?
Seul l’avenir nous le dira !

En sortant de la galerie, j’aperçois des lumières briller dans une autre
galerie à côté. Tapotant à la porte, on me répond que cette exposition sera
ouverte dans quelques jours. J’insiste et c’est la petite fille du roi
Fayçal d’Arabie Saoudite, Reem Al Fayçal qui m’ouvre la porte. Associée à
deux autres partenaires, la jeune femme souhaite animer dans cette galerie
des expositions exclusivement dédiées à l’art de la photographie. (Voir
interview). Le vernissage d’une exposition consacrée aux pays du Golfe dans
les années soixante était prévue pour la semaine suivante. Le projet d’une
exposition sur la récente guerre de Gaza fait grincer, dores et déjà, bien
des dents.

En attendant, Dubaï profite aisément d’une tendance qui se confirme de plus
en plus, à savoir l’augmentation du tourisme interrégional dans le Monde
arabe. D’autre part, la destination, autant que les destinations
avoisinantes, s’attaque à des marchés longtemps ignorés dans le passé comme
les pays de l’Est, ou l’Iran. La tendance s’oriente vers la construction de
complexes touristiques complètement intégrés qui répondent aux besoins d’un
tourisme familial spécifique. Atlantis en est peut-être l’exemple le plus
édifiant. Ouvert il y a à peine quelques mois, le centre était plein à
craquer de familles venues d’Inde, du Pakistan, d’Arabie Saoudite, d’Iran…

Dans un contexte de crise pas très réjouissant, Dubaï, qui collectionne les
projets les plus fous, finira ceux qui sont entamés. Entre le «Dubaï land»
et la première vente de Christie’s, il y en a pour tous les goûts.

Les goûts et les couleurs, justement, ne se discutent pas. Le principe de
cet équilibre repose, vous l’avez compris, sur le «never seen before».
L’enjeu est de surprendre, dérouter et répondre aux exigences les plus
folles. Jusqu’à quand Dubaï pourra-t-elle mener la cadence ?

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