Gonzalo Escribano, universitaire espagnol : La Tunisie devrait négocier mieux que le Maroc sur les règles d’origine dans le textile

Par : Autres

Gonzalo Escribano, universitaire espagnol

La Tunisie devrait négocier mieux que le Maroc sur les règles d’origine dans
le textile

 

Enseignant à l’université
ouverte de Madrid, Gonzalo Escribano compare les accords d’association entre
l’Europe et les pays du Maghreb et les accords de libre-échange que ces
derniers ont conclus ou s’apprêtent à négocier avec les Etats-Unis.

Dix ans après avoir conclu un accord
d’association avec l’Union européenne, la Tunisie a entamé des discussions
exploratoires en vue d’un éventuel traité de libre-échange avec les
Etats-Unis. Les deux traités impliquent-ils les mêmes engagements, défis et
bénéfices ?


– D’abord, la proposition américaine est surtout économique avec un traité
de libre-échange dans le domaine de l’agriculture, des biens manufacturés et
des services. La vision européenne est plus globale. Le processus de
Barcelone dans lequel s’inscrivent les accords d’association a trois volets
: économique, politique et culturel.

Ensuite, la zone de libre-échange avec l’Europe n’est pas complète parce
qu’elle n’inclut pas, pour le moment, ni l’agriculture entièrement, et c’est
là un problème, ni les services. Là, nous Européens devons prendre les
Américains comme exemple pour inclure l’agriculture de façon pleine dans les
accords d’association. Je crois que l’Europe devrait être plus généreuse
dans le volet agricole avec la Tunisie et les autres pays de la région. Sur
les services, l’Europe n’a pas voulu trop presser. Mais la zone de
libre-échange avec les Etats-Unis donne un «alibi», elle pousse l’Union
européenne à aller plus loin avec les pays du Maghreb.

Enfin, le processus de Barcelone, qui a été promu par la diplomatie
espagnole, prévoit une assistance financière dans le cadre du programme
«Meda». Elle n’est peut-être pas suffisante mais elle reste significative.
Or ce genre d’aide est, presque, entièrement absent dans la proposition
américaine. C’est vrai qu’il y a le projet de coopération technique,
notamment pour créer des capacités, mais les Américains ne donnent pas
d’argent pour construire une route ou faire de la mise à niveau. C’est là
une faiblesse de la proposition américaine. Or, dans le libre-échange il y
aura toujours des gagnants et des perdants, et les perdants, il faut faire
quelque chose pour eux.
C’est vrai que la théorie économique nous dit que dans le long terme, tout
va se résoudre, mais combien est long le long terme. Keynes disait que dans
le long terme, nous sommes tous morts. Donc, d’un point de vue politique, il
faut faire quelque chose pour les perdants, dont l’agriculteur qui ne va
plus pouvoir produire des céréales parce qu’il ne sera plus compétitif.

Que pense l’Union européenne des accords de
libre-échange que les pays de la rive Sud de la Méditerranée commencent à
conclure avec les Etats-Unis ?


– Cela dépend des pays. Les pays centraux dans les relations
euro-méditerranéennes, comme l’Espagne, la France et l’Italie, ont des
points de vue entièrement différents. Les Italiens ne sont pas très
préoccupés et ne voient pas les Américains comme des concurrents. La
position des Espagnols est plutôt de chercher des accords, de dire «ce qui
est fait est fait» et de voir comment on peut en profiter.

Les Français sont peut-être les plus réticents. Des leaders et des
fonctionnaires importants de la Commission européenne ont même parlé de
trahison et d’incompatibilité entre les deux traités. Sont-ils incompatibles
? Je crois qu’il y a des problèmes dans certains domaines. Dans
l’agriculture, par exemple.

D’un côté, le traité avec le Maroc limite les exportations européennes de
céréales vers ce pays parce que «cela va perturber la production interne».
Mais de l’autre, le même pays a accepté que les Américains exportent
d’importantes quantités de céréales. De ce fait, l’Union européenne va
financer la mise à niveau de l’agriculture marocaine, et par conséquent
payer pour une partie des problèmes que les Américains vont occasionner.

Un autre problème assez important est celui de la protection industrielle et
intellectuelle. Les Américains et les Marocains ont signé des accords dans
ce domaine. Alors, les Français, qui ont d’importants intérêts au Maroc et
souffrent de contrefaçon de médicaments, de produits de luxe, etc.
pourraient trouver injuste de ne pas être protégés comme les Américains.

Pour les Espagnols les problèmes de l’agriculture et de l’industrie textile
sont peut-être les plus importants. Des sociétés espagnoles ont des accords
de sous-traitance avec des entreprises tunisiennes et marocaines. Il aurait
été intéressant que les entreprises textiles espagnoles délocalisées en
Tunisie et au Maroc puissent exporter vers les Etats-Unis; or elles ne vont
pas pouvoir le faire parce que les règles américaines d’origine son très
strictes. Il faut que tout le produit soit originaire de la Tunisie, du
Maroc ou des Etats-Unis.

Le Maroc a-t-il bien négocié son traité
avec les Etats-Unis ?


– Les Marocains auraient-ils pu mieux faire ? Il faut dire qu’ils ont assez
bien tiré leur épingle du jeu. Dans l’agriculture, ils ont obtenu de très
longues périodes de transition. Ils auraient peut-être pu mieux négocier
dans le textile. Le Maroc a obtenu une suspension des règles d’origine, ce
qui lui permettra d’exporter vers les Etats-Unis des produits textiles
utilisant des inputs espagnols, français ou allemands. Mais ce dispositif ne
durera que cinq ans.

La leçon pour les Tunisiens est de ne rien accepter qui soit en deçà de ce
que le Maroc a obtenu et si possible essayer d’avoir un peu plus dans ce
domaine, d’autant que l’industrie de la sous-traitance textile est très
importante en Tunisie. Mais ce sera dur, parce que les Américains ont de
très bons négociateurs.

Et je voudrais suggérer quelque chose à nos amis Tunisiens, dans la
perspective des négociations avec les Américains. Le Maroc n’a jamais
réalisé une évaluation économique, technique par des équipes économiques
performantes pour déterminer les effets du traité de libre-échange avec les
Etats-Unis en termes d’emplois, de revenus, d’impact sectoriel. La Tunisie
devrait le faire immédiatement d’autant qu’il y a des gens qui sont capables
de le faire. Il faut mettre en place des équipes d’universitaires et de
chercheurs et leur allouer un budget suffisant.

Bien sûr, l’économie ne va jamais nous dire la vérité, mais l’étude
permettra de démontrer par où peuvent arriver les problèmes.

 

Propos recueillis par

Moncef MAHROUG

 

  04
– 07 – 2005 :: 11:00  –  ©webmanagercenter