Dans la seconde partie de l’entretien accordé par Giuseppe Perrone, ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, son excellence revient sur les volets concrets du partenariat tuniso-européen : jeunesse et mobilité, soutien aux réformes économiques, mais aussi gestion de la question migratoire. Perrone plaide pour une approche équilibrée et une vision commune à l’horizon 2030.
Comment capitaliser sur le potentiel des jeunes talents tunisiens pour en faire un moteur durable de l’économie nationale ?
Je crois fermement que la jeunesse représente pour la Tunisie un atout majeur à développer. Nous avons mis en place de nombreux programmes pour encourager la créativité et offrir des opportunités concrètes. Je citerai notamment les 170 millions d’euros de lignes de crédit accordées par la Banque européenne d’investissement, via le système bancaire tunisien, au bénéfice des petites et moyennes entreprises. Ce dispositif est accompagné de 8 millions d’euros d’assistance technique pour aider ces entreprises à en tirer pleinement parti.
Mais nous sommes aussi conscients du phénomène de fuite des cerveaux. Il est donc essentiel que la Tunisie bénéficie en priorité de cette créativité. Nous mettons l’accent sur ce que nous appelons la mobilité circulaire : permettre aux jeunes de vivre des expériences en Europe, puis de revenir en Tunisie pour contribuer à l’élan économique du pays.
L’Union européenne dispose d’un instrument unique pour cela : les appuis budgétaires. Ils permettent d’accompagner les autorités tunisiennes dans la mise en œuvre de réformes économiques et sociales qu’elles jugent essentielles. Nous investissons également dans le système éducatif tunisien : le programme PASE, doté de 65 millions d’euros, vise à renforcer les opportunités locales pour la jeunesse, en soutenant l’éducation et la formation.
Certains évoquent une contradiction entre le soutien européen et le choix des cabinets d’expertise. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que la Tunisie dispose de cabinets d’expertise et de consultants de grande qualité. Dans la mise en œuvre des programmes, les choix sont faits conjointement avec les autorités tunisiennes. L’Union européenne a des règles strictes, valables dans le monde entier, pour garantir la qualité des programmes. Ces choix ne sont jamais imposés unilatéralement.
Comment l’Union européenne s’assure-t-elle de l’impact réel de ses programmes en Tunisie?
Nous avons mis en place des mécanismes d’évaluation tout au long de la mise en œuvre, notamment à travers des comités de pilotage conjoints avec les autorités tunisiennes. De nombreuses agences tunisiennes participent à la mise en œuvre des programmes. Il ne s’agit pas uniquement de cabinets étrangers : nous collaborons aussi avec des entités locales, y compris des organisations de la société civile.
L’économie sociale et solidaire a généré des emplois directs. L’Union européenne est-elle prête à renforcer son soutien ?
Absolument. Notre objectif est de rendre les entrepreneurs autonomes à terme. Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre du programme Jeun’esse, qui a eu un impact fort, en particulier auprès des populations vulnérables : jeunes, femmes, personnes en situation de handicap. Le gouvernement tunisien prépare actuellement le cadre secondaire de mise en œuvre, que nous suivons de près.
Comment éviter que la question migratoire n’occulte les autres volets du partenariat tuniso-européen ?
Le Mémorandum d’Entente signé en 2023 est un accord stratégique structuré autour de cinq piliers, dont la migration n’est qu’un volet. Nous avons une coopération positive sur la lutte contre les trafics et la promotion de la mobilité circulaire. Ce qu’il faut combattre, c’est la migration illégale et sauvage.
Comment dépasser la vision selon laquelle la Tunisie serait devenue la “gardienne des frontières européennes” ?
Nous devons travailler ensemble pour lutter contre les trafics d’êtres humains et promouvoir une migration légale, encadrée, créatrice d’opportunités mutuelles. La mobilité circulaire est au cœur de cette démarche.
Comment l’Union européenne accompagne-t-elle les réformes économiques en Tunisie ?
Malgré une période internationale difficile, les investissements européens en Tunisie ont augmenté. L’UE accompagne les réformes en fournissant analyses et comparaisons, mais la décision finale appartient à la Tunisie. Notre rôle est de soutenir, pas d’imposer.
À quoi pourrait ressembler le partenariat Tunisie–UE à l’horizon 2030 ?
La commissaire Dubravka Suica présentera bientôt le Pacte pour la Méditerranée. Ce pacte offre à la Tunisie l’opportunité de construire une relation stratégique et structurante. La volonté est forte des deux côtés pour approfondir l’intégration.
Pensez-vous cela aisé à voir la montée des extrêmes droites en Europe ?
Certes, nous observons la montée de courants politiques extrêmes. Mais les dynamiques structurelles profondes orientent vers une meilleure intégration méditerranéenne. La Méditerranée est au cœur du Pacte et nous unit. Les récentes mobilisations pour la Palestine illustrent cette sensibilité croissante des Européens aux enjeux régionaux.
EN BREF
- La jeunesse est considérée comme l’atout majeur de la Tunisie.
- L’UE soutient les PME, l’éducation et la mobilité circulaire.
- Les programmes impliquent cabinets locaux et agences tunisiennes.
- L’économie sociale et solidaire bénéficie d’un appui structuré.
- La migration doit être encadrée, dans une vision gagnant-gagnant.