À l’heure où la Tunisie traverse des mutations profondes et doit faire face à de nombreux défis, l’Union européenne réaffirme son engagement en faveur d’une coopération juste et équitable où les intérêts des deux partenaires historiques sont préservés.

Dans l’entretien ci-après, Giuseppe Perrone, ambassadeur de l’UE, détaille les priorités de son mandat : ​​relancer le partenariat stratégique, renforcer la coopération économique, énergétique et éducative, et placer la jeunesse tunisienne au cœur des projets communs.

Excellence, quelles sont vos priorités par rapport à l’actualité et à votre mandat ? 

Les priorités de mon mandat sont étroitement liées à la relation stratégique entre la Tunisie et l’Union européenne, une relation historique que je souhaite voir évoluer vers une véritable intégration.

Lorsque je dialogue avec les citoyens et les autorités tunisiennes, je perçois une ambition forte de renforcer ces liens. Le peuple tunisien est profondément proche de l’Europe, sans doute plus que d’autres peuples de la région, et les autorités partagent ce désir de consolidation.

Il revient bien sûr à la Tunisie de définir jusqu’où elle souhaite aller dans cette intégration.

Mon rôle est d’accompagner cette dynamique avec une vision stratégique. Il ne s’agit pas de promouvoir un programme spécifique, car certains projets réussissent mieux que d’autres. Ce qui compte, c’est de poser les fondations d’une relation bilatérale solide, fondée sur la confiance et le respect mutuel.

« Le peuple tunisien est profondément proche de l’Europe, plus que d’autres peuples de la région. Cette proximité nourrit l’ambition de renforcer le partenariat bilatéral. »

La question de la circulation des personnes illustre bien les différences de perception entre l’Europe et la Tunisie. Vous avez évoqué le fait que la Tunisie est l’un des pays les plus occidentalisés du monde arabe. Il est vrai que ce rapprochement a connu des revers ces dernières années, mais l’Europe aussi doit se positionner sur le niveau d’intégration qu’elle est prête à accepter. Ne croyez-vous pas ?

Nous avons toujours entretenu des relations privilégiées avec la Tunisie, en explorant diverses formes de partenariat. Ce désir de perfectionnement est toujours présent. Il existe une conscience claire du caractère unique de la Tunisie, de sa culture et de son histoire.

Les conditions sont réunies pour approfondir ce partenariat, à condition de respecter la volonté des Tunisiens. Le niveau d’ambition ne peut être dicté unilatéralement : il doit être coconstruit. Je conçois cette relation comme une coopération respectueuse, où les deux parties décident ensemble du niveau d’engagement.

Alors que nous célébrons les 30 ans de l’accord d’association, nous sommes dans une position idéale pour relancer ce partenariat, avec une ambition élevée de part et d’autre. Je suis optimiste, tout en étant conscient des défis. Mais je crois fermement en la possibilité d’établir une relation fondée sur le respect mutuel.

Comment renforcer cette relation au-delà des échanges commerciaux loin de certaines perceptions, comme celle d’un prétendu tutorat européen sur la Tunisie?

Sur le plan pratique, il faut envisager des actions concrètes à court et moyen terme. Cela implique une stratégie tactique, mais aussi une communication adaptée. Le partenariat ne repose pas sur une hiérarchie, mais sur l’écoute et l’adaptation mutuelle. Il s’agit de bâtir une vision partagée du futur, à travers un dialogue continu avec les Tunisiens.

Le commerce est la colonne vertébrale de notre relation. Le marché européen est le principal débouché des entreprises tunisiennes, représentant 70 % de leurs exportations.

Dans un contexte international marqué par des tensions sur le libre-échange, l’Union européenne reste un partenaire fiable, offrant des règles d’origine préférentielles, notamment dans le secteur textile. C’est une preuve tangible de notre engagement.

« Le marché européen représente 70 % des exportations tunisiennes. Le commerce demeure ainsi la colonne vertébrale du partenariat. »

Ce partenariat peut-il résister aux crises géopolitiques et économiques actuelles ?

Je pense que ces défis représentent une opportunité. Dans un monde où les incertitudes se multiplient, il est crucial de renforcer les éléments de stabilité et de confiance. La Tunisie sait qu’elle peut compter sur l’Union européenne, engagée dans le libre commerce et l’ouverture de ses marchés.

Nous soutenons activement la capacité exportatrice des entreprises tunisiennes. Nous avons récemment inauguré, avec la ministre de l’Industrie, de nouveaux équipements fournis par l’Union européenne pour renforcer l’infrastructure qualité soit l’amélioration et le développement des systèmes pour assurer la qualité et la sécurité des biens et services.

Cela permet aux entreprises tunisiennes de mettre en exergue leurs produits. Alors que certains pays restreignent leurs échanges, l’Union européenne adopte une posture inverse : elle ouvre ses marchés et soutient l’industrie tunisienne, véritable pilier du développement économique du pays.

 Qu’en est-il des secteurs des services et de l’agriculture, nombreux sont les opérateurs tunisiens qui considèrent que le marché européen est difficile d’accès pour eux surtout s’agissant des services ?

Nous allons en discuter lors du Conseil d’association prévu en octobre à Bruxelles, après six années d’interruption. Ce sera l’occasion de relancer la coopération bilatérale et d’adapter notre partenariat aux nouveaux défis mondiaux.

Nous sommes ouverts à écouter les propositions tunisiennes sur les biens, les services, et tous les domaines concernés. Ce dialogue est essentiel pour construire ensemble l’avenir de notre partenariat.

« Avec 3 milliards d’euros d’investissements prévus, l’énergie devient un secteur gagnant-gagnant qui ouvre la voie aux renouvelables et à l’intégration régionale. »

Quelles retombées concrètes attendez-vous des initiatives récentes, notamment dans le domaine de l’énergie ?

Le forum d’investissement de l’an dernier a marqué un tournant, principalement dans le domaine de la transition verte. Il a permis de renforcer la collaboration bilatérale sur les plans économique et énergétique. Un mémorandum d’entente sur l’énergie a été signé, prévoyant environ 3 milliards d’euros d’investissements entre 2022 et 2026.

L’énergie devient ainsi un secteur gagnant-gagnant. Le forum a ouvert la voie à des projets concrets dans les renouvelables, en soutenant le régime des concessions et la préparation du réseau à leur intégration.

L’objectif est d’aider la Tunisie à atteindre 35 % d’énergie renouvelable. Pour cela, nous mobilisons des instruments financiers innovants, tels que le SUNREF (Sustainable Use Of Natural Ressources and Energy Finance) soutenu par l’Agence Française de Développement (AFD) qui finance des projets d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique.

« Le projet Elmed et les financements européens visent à intégrer la Tunisie au réseau énergétique européen, renforçant son autonomie et ses exportations. »

Comment l’Union européenne agit-elle concrètement pour encourager l’investissement en Tunisie, notamment dans le secteur de l’énergie ?

L’objectif principal de tous ces mécanismes, notamment ceux liés à la Facilité européenne de développement, est de réduire le risque perçu par les investisseurs et ainsi de stimuler l’investissement en Tunisie.

C’est, à mon sens, un levier fondamental. Dans le domaine de l’énergie, plusieurs programmes majeurs sont en cours. L’Union européenne a mobilisé 200 millions d’euros pour la modernisation du réseau électrique tunisien.

Cela inclut l’acquisition de logiciels de gestion pour la STEG, en partenariat avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, ainsi que la modernisation du centre de dispatching, financée conjointement avec l’Allemagne.

L’engagement dans ce secteur est considérable. Il n’y a pas longtemps, la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, a souligné l’importance d’Elmed, un projet transformateur établissant la première connexion énergétique directe entre l’Afrique et l’Europe à travers la Tunisie et l’Italie, et réunissant plusieurs partenaires autour d’un objectif commun : renforcer la capacité de production d’énergie renouvelable en Tunisie.

Ce projet, en coopération avec l’Italie, bénéficie d’un engagement financier conséquent de la part de l’Union européenne. Il vise à rendre la Tunisie autosuffisante sur le plan énergétique, tout en soutenant sa capacité d’exportation.

Il s’agit donc d’un double objectif : autonomie et ouverture. Cela implique également un travail sur le régime des concessions, la construction d’infrastructures, et l’amélioration de l’efficacité énergétique. L’ambition est claire : intégrer la Tunisie au réseau énergétique européen. C’est un objectif ambitieux, mais surtout bénéfique pour la Tunisie.

Entretien conduit par Amel BelHadj Ali

EN BREF

  • Tunisie et UE marquent 30 ans de partenariat.
  • Giuseppe Perrone appelle à une intégration respectueuse et coconstruite.
  • Commerce : l’UE absorbe 70 % des exportations tunisiennes.
  • Énergie : 3 milliards € prévus entre 2022 et 2026, objectif 35 % renouvelables.
  • Modernisation du réseau tunisien : 200 millions € engagés.
  • Projet Elmed : première interconnexion énergétique Afrique–Europe.