L’Institut national de la statistique (INS) vient de publier les chiffres du commerce extérieur arrêtés à fin juin 2025. Derrière statistiques et pourcentages, un constat s’impose : le pays s’enfonce dans un déséquilibre qui menace à la fois la croissance, la stabilité monétaire et la sécurité alimentaire.
En un an, le déficit commercial a bondi de 9,6 milliards de dinars à 11,9 milliards, soit une aggravation de 2,3 milliards. Ce chiffre, loin d’être anecdotique, illustre une tendance préoccupante : la machine exportatrice tunisienne ralentit, pendant que les importations explosent.
Quand les importations galopent et les exportations s’essoufflent
Dans une économie ouverte, il est logique que les importations augmentent lorsque la demande intérieure se porte bien. Mais encore faut-il que les exportations suivent le rythme. Dans les faits, la réalité des échanges commerciaux en Tunisie n’est pas des plus reluisantes : Les importations grimpent de 45 % en valeur, les exportations reculent légèrement… mais reculent tout de même. Cette divergence alimente un déficit commercial qui pèse sur les réserves en devises et fragilise le dinar.
Secteurs clés l’huile d’olive recule, le textile décroche
Le recul touche des secteurs stratégiques et en prime l’agroalimentaire : l’huile d’olive, fleuron des exportations tunisiennes, enregistre une chute considérable. La baisse des prix a entraîné une diminution des recettes d’exportation, malgré une augmentation des quantités exportées. Ses ventes à l’étranger passent d’un peu plus de 3,6 milliards de dinars en 2024 à 2,5 milliards en 2025, soit 900 millions de moins. Une contre-performance qui s’explique par la volatilité des prix internationaux.
L’analyse sectorielle révèle des dynamiques très contrastées :
- En hausse : le secteur mines, phosphates et dérivés progresse de +8,6 % et les industries mécaniques et électriques enregistrent une avancée de +6,5 %.
- En forte baisse : l’énergie plonge de -34,8 %, en raison d’un effondrement des ventes de produits raffinés (381,3 MD contre 1 143,1 MD un an plus tôt) ;
- Recul des industries agroalimentaires de -17,5 %, tiré par la baisse des exportations d’huile d’olive (2 506,1 MD contre 3 636,2 MD) ;
- Textile, habillement et cuir : repli plus modéré de -0,2 %.
Le taux de couverture poursuit sa descente
Le taux de couverture des importations par les exportations s’effrite dangereusement : 75,6% en 2025, contre 79,4 % en 2024 et 78 % en 2023. En 2022, il dépassait encore ce seuil. Ce glissement, discret mais constant, traduit une perte de compétitivité et une dépendance accrue vis-à-vis de l’étranger.
Importations : derrière les chiffres, des choix politiques
Les données brutes cachent des décisions stratégiques – ou leur absence. S’agissant des Céréales : en volume, les achats passent de 2,375 millions de tonnes en 2024 à 1,953 million en 2025. Un recul paradoxal, alors même que les besoins restent élevés. Officiellement, la bonne récolte nationale compenserait, mais les risques de tensions sur le marché ne sont pas écartés.
La réduction des quantités de sucre importées, est-elle aussi notable. Après un peu plus de 300 000 tonnes importées en 2023, le volume tombe à 159 000 tonnes en 2024, provoquant des pénuries, puis à 142 000 tonnes cette année. Avec une production locale quasi inexistante, cette raréfaction semble relever d’une stratégie implicite de réduction des subventions, au prix d’une tension sur les prix à la consommation. Encore heureux que les produits pharmaceutiques soient disponibles en légère hausse de 4,4 à 4,8% en valeurs stables.
Matières premières : signes d’essoufflement industriel
La baisse des importations de papier, carton, coton et fibres textiles végétales reflète le ralentissement du secteur textile. À l’inverse, le bois, l’aluminium et certains métaux progressent, signe que d’autres branches industrielles résistent encore.
Mais le signal le plus préoccupant vient des équipements industriels : les importations de chaudières, réacteurs et machines mécaniques reculent fortement. Moins d’équipements, c’est moins d’investissements productifs… et donc un risque de croissance bridée à moyen terme.
Une trajectoire risquée
Le commerce extérieur est souvent un thermomètre de l’économie. Or, les chiffres de 2025 indiquent que la Tunisie s’engage sur une trajectoire où le déficit se creuse, les secteurs exportateurs perdent du terrain et l’investissement industriel ralentit.
Si cette tendance se confirme, le pays risque non seulement d’accroître sa dépendance aux financements extérieurs, mais aussi de voir ses marges de manœuvre budgétaires et monétaires se réduire encore. Dans un contexte mondial instable, ce n’est pas seulement une alerte statistique : c’est un avertissement stratégique.
Amel Belhadj Ali
Commerce extérieur Tunisie : les 5 chiffres à retenir à fin juin 2025
1️⃣ 11,9 milliards de dinars → Montant du déficit commercial, un record historique, en hausse de 2,3 milliards par rapport à 2024.
2️⃣ 75 % → Taux de couverture des importations par les exportations, contre 79 % un an plus tôt.
3️⃣ -34,8 % → Chute des exportations d’énergie, plombées par l’effondrement des ventes de produits raffinés (381,3 MD contre 1 143,1 MD).
4️⃣ -17,5 % → Recul des exportations d’industries agroalimentaires, essentiellement dû à la baisse des ventes d’huile d’olive (2 506,1 MD contre 3 636,2 MD).
5️⃣ +8,6 % et +6,5 % → Progression respective des exportations de mines, phosphates et dérivés et des industries mécaniques et électriques, rares secteurs en hausse.