Le parlement a adopté, le 24 juillet 2025, un projet de loi portant amendement des articles 96 et 98 du Code pénal, en vigueur depuis 1985. Cette révision vient en principe mettre fin à une ancienne polémique en ce sens où l’armada des 700 mille fonctionnaires du pays s’est constamment référée à ces articles pour justifier son immobilisme et manque d’initiative.
Selon le député Yassine Mami, qui a voté pour la révision de cet article, «ces articles avaient instauré un climat de peur et de méfiance au sein des institutions publiques, dissuadant les fonctionnaires de toute forme d’initiative ou de souplesse dans la gestion des dossiers. Résultat : des services bloqués, des projets retardés, des citoyens découragés».
Ce que change concrètement l’article 96
Dans le détail, l’ancien article 96 prévoyait jusqu’à dix ans de prison, une amende, ainsi qu’une exclusion définitive de la fonction publique à l’encontre de tout agent qui, sans base légale explicite, procurait un avantage à autrui ou à lui-même, même en l’absence d’intention frauduleuse.
L’article 96 newlook, c’est-à-dire révisé, introduit plusieurs changements majeurs. Ainsi, la peine de prison encourue a été réduite, passant de dix à six ans. L’amende, auparavant calculée soit sur la base du dommage causé à l’administration, soit sur l’avantage obtenu, est désormais limitée à la valeur du préjudice matériel effectif. Le champ d’application de la loi a également été élargi : au lieu de détailler les fonctions au sein des structures publiques, le texte vise désormais tout fonctionnaire ou employé dans une entreprise à participation publique.
Par ailleurs, la définition de l’infraction a été recentrée. Elle ne couvre plus toute obtention d’avantage injustifié ou toute violation réglementaire, mais uniquement les cas où un agent abuse de sa fonction pour causer volontairement un préjudice matériel à l’administration, en échange d’un avantage indu. Une précision importante a été introduite concernant les entreprises publiques : en cas de préjudice, l’amende sera calculée au prorata de la part détenue par l’État dans leur capital. Cette reformulation vise ainsi à mieux encadrer l’infraction et à en restreindre le champ d’application.
L’article 98 adapté au nouveau cadre
L’article 98 newlook, c’est-à-dire amendé, sera adapté au nouvel article 96. Il rappelle notamment la prise en compte de la proportion de participation publique dans le calcul des amendes et encadre davantage l’application des peines complémentaires.
Il stipule, entre autres, que le tribunal, dans tous les cas prévus à l’article 96 (nouveau), doit statuer, en plus des peines prévues dans cet article, sur la restitution de ce qui a été saisi ou détourné ou de la valeur du bénéfice ou du profit obtenu, même s’il a été transféré aux ascendants, descendants, frères, conjoint ou beaux-parents de l’auteur, et que cet argent reste tel quel ou soit converti en d’autres gains.
Ces personnes ne seront exemptées de cette disposition que si elles prouvent que la source de ces fonds ou gains n’est pas le produit du crime, compte tenu du deuxième alinéa de l’article 96 (nouveau). Dans tous les cas mentionnés dans l’article susmentionné, le tribunal peut prononcer l’une des peines complémentaires prévues à l’article 5 du présent Code à l’encontre de la personne dont l’implication a été établie.
Une distinction inédite entre bonne foi et malveillance
Par-delà cet assouplissement de la loi, un des principaux résultats de cette modification sera le suivant. La nouvelle loi va contribuer à l’acquittement et à la libération de nombreuses personnes accusées et emprisonnées, par l’effet de cet article. Elle contribuera à mettre fin à ce que les fonctionnaires prétendent être « l’état de terreur » dans lequel ils auraient évolué.
Autre nouveauté de taille apportée par cet amendement. La nouvelle loi fait une distinction claire entre deux profils de fonctionnaires : d’une part, l’agent public de bonne foi, qui prend des décisions dans une logique de service public ; et d’autre part, celui qui abuse de sa position pour servir ses intérêts personnels.
Une réforme jugée encore incomplète
En dépit de l’importance de cet amendement tant attendu, des experts estiment que cette révision n’est pas suffisante. Ils pensent que si les fonctionnaires tunisiens sont parvenus, au regard de l’ampleur des affaires de corruption, du blocage des projets, de détournements de fonds publics…, à porter tant de préjudices aux services publics, ils pourraient être encore plus pernicieux avec une loi plus souple et plus clémente. Le principe étant « Illi ysrak yghleb Illi hahi » (le voleur triomphe toujours du moralisateur).
Tout en reconnaissant que cet amendement est un pas en avant sur la voie de la moralisation des fonctionnaires et de la bonne gouvernance, la nouvelle loi gagnerait, néanmoins, à être accompagnée par des mécanismes de motivation et de rémunération selon le mérite, l’ultime but étant d’encourager les fonctionnaires à prendre des initiatives et à veiller au bien public.
Une réforme à inscrire dans une transformation globale
L’enjeu serait d’agir, également en amont, c’est-à-dire sur la formation des fonctionnaires dans l’université, particulièrement à l’École nationale d’administration (ENA), aux institutions de formation spécialisées, celles des juges, des douaniers, des policiers, des fiscalistes…
Il s’agit aussi d’intensifier au sein des services publics les mécanismes de contrôle et de surveillance et d’adopter, à cette fin, des technologies modernes : digitalisation, intelligence artificielle, caméras de surveillance…
L’article 87, le frein ignoré ?
Quant à nous, nous pensons que l’amendement des articles 96 et 98 ne serait qu’un pétard mouillé, voire un trou dans l’eau tant qu’un autre article dissuasif du Code pénal demeure en vigueur, en l’occurrence, l’article 87. Cet article prévoit des peines d’emprisonnement et d’amende, avec une peine doublée si l’auteur est un fonctionnaire. Il vise spécifiquement les situations où une personne abuse de son influence ou de ses relations (réelles ou supposées) avec un fonctionnaire public ou assimilé, dans le but d’obtenir des droits ou des avantages pour autrui, même si ces avantages sont justifiés.
Cela pour dire, in fine, que le meilleur moyen de dissuader la mal gouvernance et la corruption ne serait pas de réviser uniquement les lois qu’on peut toujours contourner mais plutôt d’accélérer la digitalisation de l’administration tunisienne et l’instauration de la traçabilité des documents.
Abou SARRA
EN BREF
- Le parlement a adopté l’amendement des articles 96 et 98 du Code pénal.
- Objectif : alléger les peines et redéfinir l’abus de fonction.
- La réforme distingue désormais l’intention frauduleuse de l’erreur administrative.
- L’article 96 réduit la peine maximale de 10 à 6 ans.
- L’article 98 encadre les peines complémentaires et les restitutions.
- Mais des experts dénoncent une réforme incomplète si l’article 87 reste en vigueur.
- Le véritable changement passerait par la formation, la digitalisation et la traçabilité.