Ils sont brillants, ils sont déterminés, ont de l’imagination, des ambitions, ils rêvent, ils créent, ils innovent et veulent conquérir la lune.

Ils sont engagés, politisés, ont des idéaux, croient en une Tunisie meilleure, aux valeurs démocratiques et en l’État de droit. Ils ont intégré des partis politiques, ont participé aux manifestations, ont fait part de leurs idées, leur vision d’une Tunisie où ils aimeraient se projeter, mais …

Certains sont désœuvrés, manipulés, endoctrinés, rétrogrades, misogynes, ils préfèrent le burka et le kamis au costume cravate et aux jeans, ils pensent que la place des femmes est à la maison et que dévoiler leurs cheveux est une fitna. Ils sont dans l’orthodoxie religieuse et toute remise en question ou débat visant les pratiques ou les préceptes religieux les horripile !

“La jeunesse tunisienne est hétérogène mais a un seul point commun : une volonté farouche de quitter la Tunisie !”

D’autres, sont « manfoutistes », branchés, bons vivants, mènent une vie trépidante, adorent les sensations fortes consommant toutes sortes de stupéfiants des plus légers aux plus durs (Hachich, cocaïnes, héroïnes, Subutex et autres). Ils s’éclatent dans les soirées, ne jugent pas et ne veulent pas être jugés. Ils ont, en partie, été à bonne école, celle des télés poubelles qui ont décidé que la débauche doit être la règle sociale numéro 1 et que le peuple tunisien est majoritairement dépravé, libertin, vicieux et potentiellement délinquant!

C’est là un descriptif sommaire de la jeunesse tunisienne, une jeunesse hétérogène mais qui pourtant a un seul point commun : une volonté farouche de quitter la Tunisie !

Pourquoi ?

Pourquoi notre jeunesse est de plus en plus déconnectée de la mère patrie ? Pourquoi ne se projette-t-elle plus dans un pays où elle est censée prendre la relève ?

Pourquoi nos jeunes médecins doctorats en poche briguent des postes en France, en Allemagne et ailleurs ?

Pourquoi nos startuppers brillants partent rejoindre les rangs de grandes firmes étrangères, s’installent sous d’autres cieux et ne développent pas leurs structures en Tunisie ?

Les jeunes politisés qui rêvaient une Tunisie meilleure sont aujourd’hui désenchantés. En 2011, ils avaient pourtant cru en un pays démocratique et prospère où les libertés sont respectées et où la justice primait.

“Pourquoi nos jeunes médecins doctorats en poche briguent des postes en France, en Allemagne et ailleurs ?”

Ils se sont réveillés sur une Tunisie où les institutions sont fragilisées et où, à quelques exceptions prés, quelques partis politiques sont des sectes dirigées par les messagers de la haine et de la destruction.

Des dirigeants cupides, vindicatifs et pire que tout d’une incompétence à faire pâlir les plus médiocres au monde. Les jeunes qui avaient des idéaux ont vu leurs rêves brisés sur l’autel de l’opportunisme politique, de la partisanerie, du népotisme et de l’avidité !  Ceux qui vivaient à l’étranger et sont rentrés après 2011 pour participer à l’édification d’une nouvelle Tunisie sont vite repartis désillusionnés, amères et déçus.

Les jeunes porteurs de projets ont eux, aussi, réalisé que lancer un projet n’est pas aussi aisé qu’ils le pensaient et que le nombre de paperasseries entre le choix du statut de l’entreprise, la recherche de lignes de financement et les autorisations innombrables à “arracher” à une administration récalcitrante et frileuse peut venir à bout de la volonté des plus obstinés et des plus déterminés.

Parmi eux, beaucoup et en prime les startuppers ont choisi de quitter le pays et ont préféré réaliser leurs rêves ailleurs parce qu’aussi, courageux soient-ils, ils ne pouvaient faire acte de résistance face aux briseurs de rêves ! Les médecins, eux, partent, ce n’est pas uniquement parce qu’’ils sont mal payés, mais surtout parce qu’ils sont maltraités et ne disposent pas d’une infrastructure minimale pour mener leur travail à bon escient !!!

“Les jeunes porteurs de projets ont réalisé que lancer un projet n’est pas facile et que les obstacles administratifs sont décourageants.”

D’autres jeunes endoctrinés par les discours brûlants des nouveaux prêcheurs, pour la plupart ignares en “fikh” et en savoir religieux, sont partis en croisade en Syrie poussé par les vassaux islamistes des puissances mondiales et leurs serviteurs dans la région. On leur a fait croire que c’était pour défendre l’islam, et pour s’assurer une place au paradis.

Ils ont massacré des populations innocentes et ont servi de chair à canon au service des intérêts géoéconomiques des plus grands ! Il y en a qui ont regretté, beaucoup ont péri et d’autres ont été emprisonnés.

Ceux restés en Tunisie ont cru par leur seule foi, aveugle qui plus est, pouvoir changer la structure sociale et l’héritage civilisationnel des Tunisiens. Ils ont mobilisé la religion au service de croyances rétrogrades et désuètes.

Aujourd’hui, des jeunes filles préfèrent porter le burka et des jeunes hommes le kamis. Ce sont les “afghanisés” de la Tunisie et le plus dramatique est qu’ils défendent leurs postures sur les bancs des universités, lieux de savoir, d’intelligence et de clairvoyance !

Les autres, ces jeunes qui avaient 11, 12 et 13 ans en 2011, ont vécu toutes les péripéties de la chute de l’ancien régime et l’avènement brutal d’une nouvelle ère. Une ère de libertés exaltées, ou tout était permis, rien n’était interdit !

L’effondrement du mur de la peur a fait place à l’intronisation des libertés absolues débridées, inconditionnelles dans l’ignorance totale de la loi et des valeurs éthiques de la société. Au nom du droit à la différence, toutes les attitudes et les pratiques libertaires trouvaient défenseurs auprès d’associations financées par des fondations étrangères qui voulaient normaliser l’anormal.

Une normalisation pernicieuse et néfaste. Normalisation de tendances, d’orientations, de pratiques qui ne peuvent en aucun cas être considérées comme “normales”. Ces jeunes ont été les victimes des nouveaux arrivants sur la scène politique tunisienne qui avaient pour maxime : “Faire et laisser faire” mais aussi de télés poubelles où les délinquants toxicomanes et les débauchés étaient ennoblis et présentés en tant qu’exemples par des feuilletons médiocres et bas de gamme, jouant sur les sensations fortes et titillant les instincts les plus bestiaux chez les téléspectateurs ! Le pire est que les annonceurs suivaient !

“Pourquoi l’endoctrinement des jeunes tunisiens dans l’extrémisme religieux ou la débauche a été aisé ?”

Pourquoi l’endoctrinement des jeunes tunisiens dans le sens de l’extrémisme religieux ou de la débauche a été aisé ? Pourquoi, la « tunisianité » dans son sens le plus noble du terme conjuguant racines culturelles et civilisationnelles à la modernité et au progrès a échoué ? Par quoi expliquer cette fragilité identitaire de nos jeunes qui permet leur persuasion par tous ceux qui leur font des offres trompeuses ? Et qu’est ce qui fait que certains jeunes échappent aux filets des extrémismes de tous bords et peuvent mener une vie équilibrée et réussie ?

C’est à cela qu’auraient dû trouver réponse tous les gouvernements parachutés sur la scène publique depuis 2011 plus soucieux de se maintenir au pouvoir que de régler les problèmes réels du pays et une intelligentsia qui ne veut pas trop “se casser la tête” réservant analyses et diagnostics aux amis proches et très souvent aux représentants de chancelleries étrangères ! Parce que la fragilisation identitaire des jeunes trouve ses racines dans des cursus scolaires dénués de tout apprentissage du sens critique, de la libre expression, où la philosophie, les arts, la culture, le théâtre, le sport, sont considérés comme accessoires et l’histoire du pays de 7000 ans -l’ère capsienne- est gommée !

Ce sont des gouvernements experts dans l’art des discours populistes où les mots sont aussi creux que les réalisations qui ne se soucient pas des préoccupations des jeunes qui considèrent le chômage comme un problème prioritaire, la situation économique du pays mauvaise et le travail de contrebandier « répréhensible mais compréhensible ».

Ceci, pour ne citer que quelques résultats d’une enquête menée par Afrobarometer en 2023 !

Le plus dramatique est que les dirigeants tunisiens se soucient plus de réaliser leurs propres rêves que de répondre aux attentes de leurs peuples et en prime les jeunes !

Le grand Antoine de Saint-Exupéry disait “La politique, c’est l’art de consulter les gens sur ce à quoi ils n’entendent rien, et de les empêcher de s’occuper de ce qui les regarde car les mensonges et la crédulité s’accouplent et engendrent l’opinion”.

Il a tout dit.

Amel Belhadj Ali

https://www.afrobarometer.org/publication/ad603-la-jeunesse-tunisienne-est-instruite-et-inclusive-mais-manque-dopportunites-demplois/

*Larif Beatrix, 1987