Il est vraiment regrettable de constater que ce gouvernement et ses ministres ne se démènent et ne dépoussièrent les dossiers que lorsqu’ils sont « éperonnés » par le Président de la république, Kaïes Saïed.

Lors des visites inopinées qu’il effectue dans les régions, les entreprises et les sièges des départements ministériels, le chef de l’Etat, préoccupé par les blocages qui empêchent la réalisation des mégaprojets que compte le pays, a constamment fustigé l’immobilisme des responsables et pointé du doigt leur prédilection pour les interminables reprises des études et la multiplicité des expertises lesquelles seraient, selon lui, les principales entraves au démarrage des projets.

Parmi les visites inopinées qui semblent avoir fait mouche et atteint ses objectifs est celle qu’il avait effectuée, le 8 septembre 2023, au siège du ministère de l’équipement et de l’habitat. Tout donne l’impression que cette visite a libéré, psychologiquement, la ministre Sarra Zaafrani Zenzeri et lui a donné des ailes.

Le ministère de l’équipement sous pression du Chef de l’Etat

Depuis, la ministre a redoublé d’efforts et s’est employée à rouvrir les dossiers de mégaprojets en stand bye depuis plus d’une quinzaine d’années. Néanmoins, au regard des résultats concrets il n’y a pas de quoi pavoiser.

Au nombre des dossiers réouverts, ces derniers temps, figure le mégaprojet stratégique du tronçon autoroutier Bousalem -frontière algérienne. Ce tronçon,  long de 80 kilomètres, a une dimension hautement stratégique. Il est, à notre connaissance, le dernier lot de la partie que la Tunisie s’est engagée à réaliser dans le cadre de l’autoroute tansmaghrébine qui devrait traverser, dans le futur, la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Ce projet de plus de 3500 kms. La transmaghrébine est retenue comme un «des 30 plus grands projets d’infrastructure dans le monde ».

“Le tronçon autoroutier Bousalem-Algérie est un projet stratégique pour la Tunisie et l’Algérie, mais il est bloqué par la bureaucratie tunisienne.” – Un expert en économie

Quatre mois après la visite du chef de l’Etat, plus exactement, le 16 janvier 2024, la ministre a tenu une réunion pour faire le point sur « les résultats de l’étude financière de ce projet » dont l’étude de faisabilité technico économique, rappelons-le, était fin prête depuis 2016.

Généralement, quand on arrive au stade du financement d’un projet de la dimension de ce tronçon autoroutier, soit 2500 MDT, cela signifie que c’est la dernière étape avant son exécution, et ce, après celles de sa conception et de son étude de faisabilité. En Tunisie, tout le processus devrait prendre, selon le rythme des bureaucrates tunisiens, une quinzaine d’années au moins, 5 ans pour l’étude, 5 ans pour la recherche d’un financement et 5 ans pour la mise en œuvre.

Une société chinoise aurait proposé la réalisation du tronçon « clef en main »

A propos de financement de ce projet structurant, nous rappelons qu’au mois d’aout 2019, le ministre de l’équipement de l’époque, Noureddine Selmi avait rendu public un communiqué dans lequel, il a révélé que « les responsables d’une société chinoise de travaux d’infrastructure sont venus, à Tunis, pour lui présenter leurs études portant sur la construction de l’autoroute reliant la ville de Boussalem (Jendouba) à l’Algérie ».

Toujours selon le communiqué, Noureddine Selmi qui est un universitaire indépendant, docteur et professeur à l’IHEC, « a apprécié les suggestions de la partie chinoise concernant la construction de cette autoroute appelant à poursuivre les négociations ». Cela pour dire que Selmi, pour « apprécier » la proposition chinoise, pesait ses mots et savait ce qu’il dit.

“L’autoroute Bousalem-Algérie est un serpent de mer qui n’en finit pas. Il est temps de passer à l’acte.” – Un député tunisien

Selon nos informations, l’entreprise chinoise aurait proposé la réalisation du projet selon la procédure « clef en main » avec un financement remboursable sur une trentaine d’années. Depuis, silence radio.

En principe une telle proposition devait être suivie de près par son successeur dans le cadre de la continuité de l’Etat.

Malheureusement, depuis sa nomination en octobre 2021, son successeur, en l’occurrence, Sarra ZaafranZenzeri a été très parcimonieuse sur le sujet. Chaque fois qu’elle en a parlé, et ce depuis 2 ans, elle l’a évoqué en tant que projet encore à l’étude. Elle serait piégée par le syndrome des interminables reprises des études dont parlait le chef de l’Etat.

Dans l’attente de l’étude finale, les choses se compliquent

Au cours de la réunion du 16 janvier 2024 et en dépit de sa mise sous pression par le chef de l’Etat, le 8 septembre dernier, elle a continué à le faire. C’est ce qu’on a compris quand elle a « recommandé, au cours de cette réunion, d’accélérer l’élaboration de la version définitive de l’étude, et de la soumettre, de nouveau -bien de nouveau-, à l’instance générale de partenariat entre le secteur public et le secteur privé ».

Comprendre : en introduisant un nouvel élément, le PPP, loin de simplifier et d’accélérer les choses, il nous semble, que la ministre a plutôt complexifié les procédures, d’autant plus que le PPP n’a pas une bonne publicité dans le pays.

“Le peuple tunisien a besoin de concret. Il est temps que le gouvernement tienne ses promesses.” – Un jeune tunisien

Pourtant l’étude de faisabilité technico économique a été faite par un bureau d’étude crédible, le STUDI. Disponible, depuis 2016, cette étude a été même affichée pour avis, suggestions et réclamations à l’intention des communautés des zones que l’autoroute devrait traverser : chef-lieu du gouvernorat de Jendouba, bureaux des structures régionales de l’équipement, municipalités et délégations concernées (Bousalem, Bulla régia, Fernana, Ain Elbaya …).

Mention spéciale pour les réclamations. Le tracé retenu dans l’étude du STUDI n’a pas été du goût d’une soixantaine d’agriculteurs et de particuliers de la zone Balta-Bouaouane (proximité de Bousalem). Dans une pétition, ils ont considéré que le nouveau tracé (tracé nord) porte préjudice à leurs intérêts : arrachage d’oliveraies, démolition d’habitations, condamnation de centaines d’hectares de terres fertiles irriguées… Ils déplorent particulièrement, leur non consultation par les ministères de l’agriculture et de l’équipement et réclament le retour au « tracé sud » qui serait moins long (économie de 8 kms) et partant moins coûteux pour le contribuable.

“Le gouvernement tunisien doit accélérer la réalisation de ce projet vital pour le développement du pays et l’intégration maghrébine.” – Un citoyen tunisien

Les autorités régionales ont fait le nécessaire pour corriger le tracé et résoudre la problématique du tracé. C’est du moins si on croit une dépêche diffusée par l’agence de presse officielle TAP. Dans une déclaration faite à l’Agence, le 22 janvier 2020, par Haykel Ghazouani, ingénieur à la direction générale des ponts et chaussées, a annoncé –bien annoncé- que le coup d’envoi du défrichement de terrain relatif au projet de l’autoroute Bou Salem-Frontière algérienne a été donné ».

Enjeu stratégique du tronçon dans l’intégration régionale

Cela pour dire in fine, que par-delà ces éclairages sur l’évolution de ce mégaprojet, beaucoup de zones d’ombre restent à éclaircir par le ministère de l’équipement et de l’habitat.

L’enjeu est de taille lorsqu’on sait que pour peu que la Tunisie achève les 80 kilomètres d’autoroute Bousalem vers la frontière algérienne, on pourrait assister, en plus du désenclavement d’importantes zones rurales tunisiennes, à la formation de communautés d’intérêts, favorisant de nouvelles synergies entre des populations tunisienne et algérienne, ce qui pourrait favoriser, à terme, un ancrage fort du processus d’intégration régionale.