Sihem Boughdiri Nemsia, ministre des Finances vient d’annoncer non sans fierté que la Tunisie a remboursé tous ses emprunts. Elle ne nous donne pas les détails et ne nous dit pas s’il y a rééchelonnement ou pas et jusqu’à quelle année si rééchelonnement, il y a. Cela étant, devons nous considérer le remboursement de nos dettes comme un miracle et une grande réalisation, alors qu’il est plus que naturel que l’Etat honore ses engagements avec ses emprunteurs ? Et est-ce que l’année 2024 sera aussi « rentable » sur le plan fiscal pour l’Etat et surtout rassurante pour un endettement extérieur et intérieur pour que la ministre continue à annoncer hardiment le remboursement des dettes de l’Etat ? A ce jour, il y aurait 10 000 MD d’endettement extérieur dont la provenance n’a pas encore été dévoilée !

Revenons encore une fois sur le budget de l’Etat de 2024. Il s’agit d’un montant de 77.868.000 MD composé en grande partie de recettes fiscales de l’ordre de 44.050.000 MD et de ressources d’emprunt de l’ordre de 28.188.000 000 MD dont 12 MD en interne et 16 MD de l’international.

Les recettes fiscales de l’année 2024 représentent 98% des recettes propres et 56% du budget total. Les dettes à mobiliser pour l’année 2024 représentent 37% du budget total avec l’hypothèse, pour l’établissement du budget de l’année 2024, d’un cours du baril de pétrole à 81 dollars et d’un taux de croissance de 2,1%.  Ce qui, soit dit en passant, n’est pas garanti !

“La Tunisie a remboursé toutes ses dettes, mais qu’en est-il vraiment ?”

Maintenant, revenons un peu en arrière pour essayer de comprendre de quels moyens l’Etat tunisien a disposé en 2023 pour couvrir ses dettes extérieures. Les revenus travail des TRE, les recettes en devises du secteur touristique et des activités exportatrice ont offert des ressources importantes mais insuffisantes puisque le pays a toujours besoin de toutes sortes d’importation et en prime les matières premières, hydrocarbures, céréales, médicaments et intrants.

Il y a eu aussi les prêts. Celui de l’Afreximbank dédié à mobiliser des ressources d’emprunt extérieures pour financer le budget de l’État pour l’année 2023, à un taux d’intérêt variable estimé à 10,28%. Il est prévu de rembourser cet emprunt sur une durée de 5 ans, avec deux années de grâce. La ministre des Finances avait déclaré à l’assemblée, lors de l’adoption du projet de loi le concernant, que la Tunisie avait besoin du crédit parce qu’on devait rembourser un emprunt important au mois de juin 2023.

“L’endettement extérieur de la Tunisie est un fardeau trop lourd pour l’économie du pays.”

Il y a eu aussi le prêt contracté auprès de l’Arabie Saoudite qui avait dans un premier temps proposé, en 2021, un dépôt sur une année de 500 millions de $ avec un taux d’intérêt de 7% à la BCT, ce que le gouvernement a renégocié dans le sens d’un prêt de 400 millions de $ remboursé sur 7 ans avec un délai de grâce de 2 ans et un taux d’intérêt de 5% conjugué à un don de 100 millions de $.

Qu’en sera-t-il en 2024 ? année durant laquelle, le pays devrait faire face à des remboursements de 3,9 milliards de dollars sachant qu’en 2023, le montant de la dette extérieure était de 2,8 milliards.

Comment sauver le pays avec la logique de « A chaque jour suffit sa peine » ?

Dans cette logique de « A chaque jour suffit sa peine » à quoi devraient s’attendre les gouvernants de 2025 ? Ils hériteront eux aussi de dettes faramineuses qu’ils devraient rembourser. Que feront-ils pour y parvenir en l’absence d’une croissance conséquente et d’une véritable politique de développement économique et de création de richesses ? Priveront-ils les Tunisiens de pain ? De médicaments et d’hydrocarbures ?

En 2023, la pression fiscale a augmenté de 0,2% passant de 24,7% à 24,9%, les recettes touristiques ont augmenté atteignant le montant de 6.943 MD. En 2022, elles n’ont pas dépassé les 5.162 MD. Le revenu travail a aussi légèrement progressé passant de 7.366 MD en 2022 à 7.515 MD en 2023.

“La Tunisie doit trouver un moyen de sortir de la spirale de l’endettement.”

La Tunisie devrait-elle, faute d’investissements et d’une réelle croissance économique, compter sur des facteurs exogènes qui restent hasardeux pour améliorer ses performances économiques et lui octroyer les ressources nécessaires de subsistance ?

De quels indicateurs économiques positifs, un pays tel que la Tunisie peut se prévaloir pour crier haut et fort sa réussite à avoir honoré ses dettes ? Devons-nous considérer cela comme une grande réalisation susceptible de déclencher un processus d’investissement et de croissance record ? (Sic)

L’année 2023 est terminée avec un taux de croissance de 0,9%, un taux de chômage de 15,8%, un déficit budgétaire de -7,7%, une inflation moyenne de 9,3%, des dettes de l’ordre de 80,2% par rapport au PIB, plus que le taux de 2022 de 79,9% et un taux d’épargne qui a régressé passant de 8,7% en 2022 à 8,4% en 2023 !

A lire ces indicateurs quelles réalisations y voit-on ? Il n y a quand pas même de quoi pavoiser !

Entre 2010 et 2022, la Tunisie a perdu 982 sites industriels représentant 17% de ses entreprises de plus de dix employés !

D’après un rapport de « Crisis Group » publié le 22 décembre 2023, la Tunisie a, entre 2010 et 2022, perdu 982 sites industriels représentant 17% de ses entreprises de plus de dix employés. La croissance moyenne du PIB est tombée à 1,6% sur la période 2011-2019, contre une moyenne de 4,4% au cours de la décennie précédente. Entre 2010 et 2022, la masse salariale de la fonction publique est passée de 10 à 15% du PIB du fait de la pression exercée sur l’Etat pour qu’il fournisse des emplois aux chômeurs, tandis que les investissements publics et privés ont chuté de 23 à 12% du PIB !

Ces dernières années et principalement en 2023, les dégradations de la note souveraine de la Tunisie par les agences de notation ont continué de plus belle ! « Au mois de janvier 2023, Moody’s a également baissé la notation de quatre banques tunisiennes exposées au risque de liquidité, du fait des conditions de financement externe difficiles auxquelles le pays était confronté » relève le rapport de Crisis Group.

“L’endettement de la Tunisie est un danger pour l’avenir du pays.”

Une baisse qui a rendu plus difficile l’octroi par les banques de lettres de crédit aux exportateurs tunisiens et a découragé de nombreuses compagnies d’assurance de garantir les capitaux étrangers investis en Tunisie, réduisant ainsi l’investissement direct étranger.

En juin 2023, Moody’s a dégradé la note souveraine de la Tunisie à Caa2 avec des perspectives négatives. Conséquence : la Tunisie n’a pratiquement plus accès à aucun financement de la dette sur les marchés internationaux sauf si elle accepte des taux d’intérêt prohibitifs (plus de 20%).

Pour l’année 2024, le gouvernement compte recourir à des dettes extérieures de l’ordre de 16.445 milliards de dinars qui devront couvrir 1.975 MD d’emprunts cédés et rétrocédés et 14.470 MD de soutien budgétaire. Pour les couvrir, on prévoit 122 MD du FMA, 218 MD de la banque mondiale, un prêt de 1.264 MD de l’Afreximbank avec un taux d’intérêt exorbitant, cela s’entend, des prêts de l’ordre de 1.594 MD de l’Arabie Saoudite et 965 MD de l’Algérie !

“La Tunisie ne peut pas continuer à s’endetter de manière excessive.”

Les montants cités plus hauts couvrent seulement 6.000 MD des ressources extérieures, les prêts seront évidemment remboursés à court ou moyen termes quant aux 10.000 MD restants, nous n’avons aucune idée sur le plan ingénieux du gouvernement Hachani pour les avoir ! Sortir sur les marchés internationaux reviendrait à hypothéquer l’avenir des 5 générations à venir !

Que faire alors ?

Aucune réponse convaincante ne nous parvient de ceux qui détiennent l’avenir de la Tunisie entre leurs mains. Les seules déclarations sont celle relatives à une souveraineté que nous risquons réellement de perdre si l’ARP adopte la convention entre un fonds d’investissement arabe et notre pays et qui risquerait de nous mettre au rang de vassal par rapport au pays en question !

Quel honneur et quelle dignité pour un pays qui refuse de négocier avec une institution internationale de laquelle il est membre et dans laquelle il a une quotepart, qui pourrait par populisme tomber sous le joug du dictat des spéculateurs internationaux ou de fonds arabes en provenance des pays du Golfe qui lui imposent des conditions humiliantes qu’il s’agisse d’aide ou d’investissements !

La Tunisie devrait-elle « sauver » (e) le présent en hypothéquant l’avenir ?