Le président de la République Kaïes Saïed a rendu, le 8 septembre 2023, une visite inopinée à la Banque centrale de Tunisie (BCT). Cette visite a suscité un vif débat sur le rôle que doivent, jouer, dorénavant les monétaristes dans la gestion de l’économie du pays.

 

Lors de cette visite, les tunisiens se sont focalisés sur les manquements signalés par le chef de l’Etat au niveau de la Commission Tunisienne des Analyses Financières (CTAF), structure interdépartementale basée à la BCT. Celle-ci n’aurait pas signalé, dans les temps, les transferts effectués par la Poste de Tunisie en faveur des migrants. Cependant, il semble que ce ne soit pas la principale raison de son déplacement.
Préparer le terrain pour une décision majeure

Selon certains observateurs, le motif majeur de cette visite serait de préparer le terrain pour l’amendement de l’article 25 de la loi 2016-35 régissant le statut de la Banque centrale de Tunisie.

Cet article stipule que « la banque centrale ne peut pas octroyer à la trésorerie générale de l’Etat des facilités sous forme de découverts ou de crédits, ni acquérir directement des titres émis par l’Etat ».

Cet article ne semble du goût du Chef de l’Etat car « il profiterait aux banques et leur ferait bénéficier de marges d’intérêt ».

Morale de l’histoire, le Président Kaïes Saïed, qui a l’habitude de mettre en garde avant de prendre une décision, donne l’impression qu’il ne peut plus gober cette loi sur l’indépendance de la BCT.

C’est dans cet esprit qu’il est peut-être permis de comprendre la remarque du chef de l’Etat quant il avait dit « La BCT bénéficie de l’autonomie, sans être indépendante par rapport à l’Etat ».  Son objectif serait d’après les analystes, non pas de mettre fin à cette indépendance, mais de la relativiser et de l’adapter aux besoins réels de l’Etat. Il s’agit aussi de mettre de l’ordre dans un secteur bancaire qui donne l’impression qu’il évolue plus dans un bantoustan que dans un Etat souverain et organisé par des lois.

L’absence de policy-mix serait le talon d’Achille de la Tunisie

Nous pensons quant à nous que cette polémique suscitée à propos de l’indépendance est due principalement à deux facteurs majeurs.

Le premier concerne l’inexistence en Tunisie du fameux dosage macroéconomique “policy-mix“, c’est- à-dire une sorte d’équilibre macroéconomique assuré par une étroite coordination entre les politiques budgétaire (gouvernement) et monétaire (BCT) afin d’atteindre des objectifs politiques.

La politique budgétaire du ressort du gouvernement et son équipe se soucie de réaliser les meilleurs scores en matière de croissance, d’emploi et d’équilibre des échanges extérieurs tandis que la politique monétaire, représentée essentiellement par la BCT, a pour mission d’agir sur l’offre de la monnaie dans le but de remplir son objectif de triple stabilité : stabilité des taux d’intérêt, stabilité des taux de change et stabilité des prix.

Malheureusement ce qu’on remarque en Tunisie, c’est une défiance totale et un manque de coopération entre budgétistes et monétaristes.

Pour ne citer qu’un incident récent, réagissant, au mois de janvier dernier, à la décision de la Banque centrale de Tunisie (BCT) d’augmenter le taux directeur de 75 points, le portant à 8%, le ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saïed, a déclaré qu « il comprend parfaitement les nouvelles mesures mises en place par l’Institut d’émission (…), mais on aurait pu augmenter le taux directeur de 25 points seulement au lieu de 75 ». Entendre par-là que le ministre, et à travers lui le gouvernement, n’est nullement content de cette décision.

En plus clair encore, il y a une divergence totale entre les budgétistes et les monétaristes. Pour y remédier, on a proposé à un certain moment la création d’un cadre interinstitutionnel de coopération devant favoriser une concertation régulière entre les deux parties sur les objectifs macroéconomiques. Avec le temps, cette panacée miracle est restée au stade d’une simple idée.

Faible rendement des budgétistes et des monétaristes

Le deuxième facteur concerne le faible rendement des budgétistes et des monétaristes. Les deux parties n’ont pas à leur actif des réalisations notoires qu’on peut signaler.

Pour les budgétistes, l’échec est total. Ils ont amené le pays à la banque route avec comme corollaires, surendettement, déficits jumeaux, déficits de l’ensemble des entreprises publiques, exacerbation de la pauvreté, chômage, corruption généralisée.

Les monétaristes n’ont pas également à pavoiser : les principales réformes attendues, à savoir, la réforme de change et celle de l’inclusion financière sont toujours des projets qui végètent dans les tiroirs, la création d’une agence de Trésor spécialisée dans la gestion de la dette et la création d’une banque régionale sont, constamment, renvoyées aux calendes grecques. Aucun effort n’a été également déployé pour réduire la surbancarisation. Il n’est pas besoin de rappeler qu’un tout petit pays comme la Tunisie a le même nombre de banques (24) qu’un grand pays comme l’Afrique du sud.

La BCT aurait dû se pencher, également, sur d’autres contreperformances, s’agissant, entre autres, de la mauvaise qualité des actifs et du service outre la mauvaise gouvernance, particulièrement des banques publiques, En témoignent les récents dépassements signalés à la Banque nationale agricole (BNA) et à la Banque de l’Habitat (BH).

Cela pour dire au final que la polémique sur l’indépendance de la BCT n’est que la partie visible de l’iceberg. C’est l’arbre qui cache la forêt. Elle masque des dysfonctionnements majeurs au niveau tant des budgétistes que des monétaristes.