Pour une grande frustration, c’en est bien une : les conseils ministériels se tiennent sur le secteur du phosphate, depuis une dizaine d’années, mais sur le terrain, aucune amélioration de la production ou du moins un retour aux niveaux de production enregistrés avant le changement du 14 janvier 2011 n’est visible.

Consacré à l’examen des moyens de booster ce secteur, le conseil ministériel restreint du 11 avril 2023, tenu sous la présidence de la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, n’a pas échappé à la règle. Le communiqué qui a sanctionné cette réunion est tout simplement insipide, dénué de toute information instructive.

Le phosphate victime de l’incompétence des gouvernants

On y lit : « la réunion a permis d’examiner les indicateurs de production de phosphates, les moyens à même de les améliorer ainsi que les principales difficultés auxquelles fait face ce secteur ».

Et le communiqué d’ajouter : « les plans d’action de la Compagnie des Phosphates Gafsa et du Groupe chimique tunisien et les projets permettant de renforcer leur productivité ont été à l’ordre du jour de la réunion ministérielle. Dans ce contexte, l’accent a été mis sur la nécessité de rétablir le transport du phosphate par voie ferroviaire en vue de booster la productivité du secteur minier».

Ce communiqué vient refléter l’incapacité du gouvernement à trouver une solution à ce secteur alors que la conjoncture internationale est très favorable pour l’écoulement de ce produit sur les marchés. Et pour cause.

Une conjoncture internationale extrêmement favorable

Le prix de la tonne métrique de phosphate a plus quadruplé en trois ans, passant de 83 dollars en février 2021 à 345 dollars en mars 2023.

Deux facteurs militent en faveur de l’exportation du phosphate tunisien : les sanctions imposées à un grand producteur de phosphate comme la Russie en raison de sa guerre contre l’Ukraine, et le recul des exportations chinoises. Ces facteurs devraient, en principe, encourager la Tunisie, 10ème producteur mondial actuellement, à tout faire pour retrouver son statut de 4ème producteur mondial.

Pour les analystes du secteur, cette tendance à la hausse devrait se poursuivre en raison de l’augmentation, d’ici 2024, de la consommation mondiale d’engrais phosphatés dont l’un des composants essentiels est le phosphate. En effet, d’après les projections de l’Institut d’études géologiques des États-Unis (US Geological Survey), organisme gouvernemental américain qui se consacre aux sciences de la terre, cette consommation devrait augmenter de manière très sensible d’ici cette échéance. L’Asie et l’Amérique du Sud représenteront la majorité de cette croissance en demande de phosphate.

En tant que pays producteur et exportateur de phosphate, ce trend haussier du cours de ce produit minier à l’export devrait intéresser la Tunisie et la motiver pour relancer la production.

Est-il besoin de rappeler que la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) produisait, avant 2010, 8 millions de tonnes et avait une stratégie pour produire 15 millions de tonnes à l’horizon 2015 avec 7 000 employés seulement. Elle n’en produit aujourd’hui que 3,8 millions de tonnes (chiffre de 2021) avec un effectif qui avoisine actuellement les 27 000.

La Tunisie pourrait récolter 3 milliards de dollars par an si…

Des experts estiment qu’avec cette hausse de la demande du phosphate (6% par an) adossée à une flambée des prix à l’international, la Tunisie, pour peu qu’elle augmente sa production à 10 millions de tonnes par an, pourrait en récolter annuellement 3 milliards de dollars en devises. Une telle recette, relèvent-ils, est largement suffisante pour lui épargner les chantages que lui font actuellement les Occidentaux et leur bras financier, le Fonds monétaire international (FMI) pour l’obtention de facilités de 1,9 milliard de dollars remboursables sur trois ans avec comme corollaires, la précarité et des remous sociaux aux conséquences imprévisibles.

Morale de l’histoire : le gouvernement tunisien a franchement à sa portée les moyens de sortir le pays de la crise, mais faut-il pour cela faire des concessions au profit des habitants du bassin minier, s’agissant notamment de l’attribution en leur faveur d’une partie des revenus du phosphate. Et ce n’est que justice. Mieux, les «Gafsiens» sont des Tunisiens et ils ont le droit au développement et à l’amélioration de leurs conditions de vie.

D’ailleurs, dans le cadre de la continuité de l’Etat, le gouvernement de Najla Bouden  devrait honorer un engagement de principe pris par le gouvernement de Youssef Chahed. Lors d’un conseil ministériel restreint tenu le 7 juin 2019, il avait été décidé, apparemment pour des raisons électoralistes, de basse de facture, d‘engager une étude sur la possibilité de faire bénéficier les habitants du bassin minier d’une partie des revenus du phosphate, une revendication exprimée depuis le changement du 14 janvier 2011.

On ne le répétera jamais assez. Le phosphate tunisien a été, depuis une dizaine d’années, l’otage des remous sociaux. Il n’est pas besoin de rappeler qu’à l’origine du recul de la production de phosphate, il y a eu plusieurs blocages, dont les insurrections, répétées et non contrôlées, des populations du bassin minier, et la politique improductive des gouvernants du pays tendant à prioriser la paix sociale dans le bassin minier sur la rentabilité du secteur.

Plus grave encore : aucun gouvernement n’a osé se pencher sérieusement sur la problématique du secteur et sur les moyens de la résoudre. Tout se passe comme si le phosphate, en dépit des avantages énormes qu’il représente pour l’économie du pays, n’est pas toujours une priorité pour le président Kaïs Saïed et son gouvernement.

Et c’est vraiment dommage. Quel gâchis !